« Nous rentrons chez nous, en Bretagne, expliqua Jean .
-Ahh, la Bretagne, s'exclama Victor-Marie.
-Vous connaissez ? demanda Jean.
-Oui, un peu. Je suis allé à Nantes plusieurs fois pour acheter et vendre du vin. Vous êtes de quel coin, en Bretagne ?
-Moi je suis né à Saint-Servan, petit village à côté de Saint-Malo, et Julien est né à Cancale, de l'autre côté, en allant vers le Mont-Saint-Michel.
-Je connais le Mont ; je m'y suis rendu en pèlerinage il y a quelques années, avec ma sœur et mon beau-frère. C'est très beau.
-En effet, approuva Julien. Et Cancale, vous connaissez ?
-A part les huîtres, non, je l'avoue, répondit le négociant en souriant. A propos de nourriture, avez-vous faim ? Ma gouvernante nous a préparé une tourte aux champignons, du pâté de lapin et un bon morceau de fromage de brebis. »
Le quatrième jour, la brise fraîchit. Le canot manque chavirer mais les quatre hommes parviennent à le maintenir à flot. C'est alors que Williams crie, tendant son bras vers le large : « Un sloop ! Un sloop là-bas !! » Le voilier s'approche tellement qu'Antin l'identifie : comme eux, il vient de la Barbade et est commandé par un de ses amis, le capitaine Southey. Mais leur joie est de courte durée. Sans doute que le canot est rendu peu visible par les éclats du soleil sur l'eau. En tout cas, le sloop s'éloigne. Imaginez, les amis, le sombre désespoir qui s'abat sur la Betsy. « C'est le Ciel qui nous punit d'avoir tué mon pauvre chien, se lamente le capitaine, revoyant son regard implorant au moment suprême.
Le lendemain, ils sont contraints de jeter ses restes putréfiés à la mer. Le capitaine, assailli de remords, se tient immobile dans son coin. Les heures les plus terribles de leur vie s'écoulent lentement.
Le magistrat regarda Garçon droit dans les yeux et le questionna :
-Confirmez-vous avoir prononcé ces paroles ?
-J'me souviens pas, monsieur le juge ; c'était y'a longtemps.
-Les témoins sont pourtant précis.
-J'étais sûrement saoul, comme ce bon Goulet, rétorqua l'homme en terminant sa phrase par un rire gras, espérant qu'il serait relaxé pour les mêmes raisons que l'autre accusé.
-Les témoignages sont également précis à ce sujet : vous étiez, il paraît, plus en colère que saoul.
-En colère, pour sûr ! Ce Le Gal n'était qu'un gredin !
Corbin ne se démonta pas :
-Je vous repose ma question : reconnaissez-vous avoir proféré ces menaces à l'encontre de Le Gal ?
-J'ai peut-être dit quelque chose dans l'genre, mais ça veut pas dire que je l'ai tué.
-A votre avis, que signifient les mots « le bougre la paiera bonne » sinon que vous aviez l'intention de le tuer ?
Le lendemain, le juge auditionna les époux Richard qui confirmèrent en tout point la déclaration de la veuve Lucas. Ils déclarèrent également n'avoir jamais été inquiétés par qui que ce soit, ce dont ils se félicitaient, mais qu'ils continuaient d'être prudents. J'ai toujours pensé que ce Richard était un fieffé coquin et un menteur. Si la veuve Lucas disait vrai, et, a priori, nous n'avons aucune raison d'en douter, comment se fait-il que Richard n'ait pas été inquiété par les tueurs ? Il est connu dans la région, et facile à trouver. De deux choses l'une : soit Richard a eu des démêlés avec la bande et il n'en a rien dit ; soit, ce qui à mon avis est plus probable, il a trempé dans le crime d'une manière ou d'une autre.
Ils appareillèrent sous un ciel de plomb. La traversée jusqu'à la rive d'en face n'était pas très longue mais le vent creusait la mer et des vagues assez imposantes secouaient l'esquif. Il fallut toute l'expérience du vieux marin pour éviter la catastrophe. Il tenait son gouvernail d'une main ferme, un large sourire fendant son visage en deux.
« Ahh, j'adore m'empoigner avec les éléments ; leur montrer qui c'est le maître à bord, rugit-il de sa voix profonde. Riant aux éclats, il ajouta : gare à celui qui se laissera vaincre par Poséidon, ce dieu cruel et jamais rassasié. Ça me rappelle une histoire macabre. Vous aimez les histoires macabres ? demanda-t-il en se tournant vers eux.