Hélène Machelon est une autrice qui ose les sujets casse-gueules, ceux qui peuvent fuir les lecteurs par leur charge émotionnelle trop lourde à assumer ou par l'incompréhension dérangeante qu'ils peuvent susciter. Précédemment ses Trois petits tours racontait les quelques semaines ayant précédé la mort d'une fillette hospitalisée pour une leucémie. Avec
Flagrant déni, double prise de risque puisque le roman est centré à la fois sur la grossesse précoce d'une lycéenne et sur le déni de grossesse qui l'accompagne.
Juliette a dix-sept ans, c'est une jeune fille brillante qui après son bac ira poursuivre ses études dans une prestigieuse prépa lyonnaise. Des douleurs abdominales la conduisent à l'hôpital où sidérée, elle découvre qu'elle est en train d'accoucher malgré ses 48 kilos et son ventre plat.
Comment accouche-t-on lorsqu'on n'est pas enceinte ?
«A l'intérieur de son corps, un mouvement s'opéra. Son ventre incontrôlable se déplia, se déroula et Juliette perdit son centre de gravité. Ses organes descendirent, attiras par la terre, et de ses mains inutiles, elle voulut les retenir. La réalité prenait corps en elle. Traumatisante. Ce ventre se mit à s'animer, à grossir. L'adolescente, même si elle luttait de toutes ses forces, ne pouvait s'opposer à cette poussée qui la déformait. En silence, l'incrusté qui s'était tapi sournoisement pendant neuf mois, enfin débusqué, sortait de sa planque pour apparaître aux yeux du monde. Il n'était plus un passager clandestin. Il exultait. Prise d'assaut,
Juliette Le sentit bouger en elle. Dans sa chambre d'adolescente, quelques heures plus tôt, Juliette s'était mieux préparée à l'idée de mourrir qu'à celle de donner la vie. A choisir, elle préférait accueillir la mort. »
Les phrases d'
Hélène Machelon parvient à décrire très précisément l'onde de choc provoqué par l'arrivée de ce bébé non attendu, sur Juliette mais aussi sur sa famille, durant deux mois, la durée légale pour décider définitivement de garder son bébé ou de le mettre à l'adoption.
L'autrice trouve le ton juste. Les mots, les phrases sont à fleur des personnages et de leur ressenti, au plus près des corps, explorant avec intensité et justesse leur intimité. Les corps sont constamment présents, un fil conducteur même de la narration, apparaissant dans tous les titres des chapitres : « A son corps défendant », « Haut-le-corps », « Faire corps », véritable cartographie de l'évolution du récit.
Si le roman sonne aussi juste, c'est que jamais il ne verse dans du pathos dramatisant les enjeux malgré leur poids, jamais la sensibilité se mue en sensiblerie. Si l'on est touché par l'histoire qui avance. J'ai beaucoup apprécié que Juliette ne soit pas une adolescente posée comme sympathique. On comprend que son caractère est difficile, bien avant la grossesse, qu'elle est dure, ingrate avec ses parents y compris sa mère pourtant très patiente et dévouée qu'elle semble mépriser pour sa gentillesse à toute épreuve. La sympathie, qu'elle finit par susciter irrésistiblement, est construite évidemment par l'épreuve que constitue ce déni de grossesse et surtout par le cheminement qui va la faire évoluer et essayer de le dépasser.
Pas d'idéalisme béat dans le dénouement. Juliette fait un choix qui n'est ni « bon » ni « mauvais », juste le sien conforté par le soutien inébranlable de sa famille. Je regrette cependant que la bascule psychologique qui y mène Juliette soit trop rapidement amenée pour consolider sa crédibilité. A l'instar de la scène ( très jolie au demeurant ) qui explique le choix de la couverture, on sent trop les intentions de l'autrice, ce qui donne au dernières pages un côté « scolaire ». Disons que j'ai préféré la spontanéité très immédiate des deux premiers tiers du roman avec cette violence contenue et singulière qui sourd derrière le déni saisissant et la colère tranchante de Juliette.
Un récit à la fois sensible, délicat et fort qui montre comment réapprendre à vivre en portant fièrement ses cicatrices.
Lu dans le cadre de la Masse critique Babelio de janvier 2023