Le déni de grossesse est un sujet délicat et difficile auquel s'est attaquée
Violaine Bérot dans «
Tombée des nues », un petit ouvrage à la rédaction originale puisqu'il peut se lire de deux façons : soit de manière linéaire, en enchaînant les différents paragraphes numérotés, soit en se laissant guider par les numéros en fin de paragraphe, indiquant le prochain auquel se reporter. Une manière peut-être de prendre ce sujet plus à distance, c'est malin et intelligent.
En tout cas, quelle que soit la façon dont on aborde l'ouvrage, par jour ou par personnage, le sujet est traité de la même manière : les différentes réactions de sept personnages en apprenant que Marion, une femme d'un petit village montagnard, a accouché d'un enfant alors même que son compagnon Baptiste et elle ignoraient tout de sa grossesse. La lecture par numéros fait parler en premier la personne la plus étrangère à l'histoire, Suzanne Peyre, la femme du maire, la plus choquée par l'évènement et qui a des mots très durs à l'encontre du couple, les accusant de négligence. S'enchaînent ensuite les pensées de la sage-femme qui s'est occupée de Marion, soucieuse de l'état de détresse qu'elle devine chez la nouvelle maman, puis les parents de cette dernière, choqués d'abord puis ravis, ensuite Dédé et Tony, les amis solides du couple, avant de laisser la parole à Baptiste, lui qui ne voulait pas d'enfant mais qui pourtant tombe instantanément amoureux de son bébé, et à Marion, la victime de cette grossesse non attendue, et donc non désirée. La seule qui reste bloquée dans le malheur. Ces pensées s'enchaînent sans transition, se fondent les unes dans les autres, avec ce rythme propres à la litanie d'une parole uniquement intérieure, de la personne la plus étrangère à ce tourbillon pour terminer par la personne la plus concernée, Marion. Marion si touchante dans sa détresse, sa sidération, son refus de comprendre ce qui lui arrive (« j'avais mal aux mâchoires à force de retenir ma haine, je souriais, je ne cessais plus de sourire, je n'avais trouvé que cette parade, sourire, puisque j'étais incapable de hurler. ») et qui se retrouve si seule, si incomprise (« […] Marion va bien elle se remet, la voix qui les prononçait se distordait, ricanait, c'était Baptiste et ce n'était plus lui, la voix riait, se moquait, Marion va bien elle se remet, ça pouffait de rire dans mon crâne, Marion va bien elle se remet, alors je souriais, qu'aurais-je pu faire d'autre que sourire puisque j'allais bien, puisque je me remettais »).
Au-delà du sensationnel, l'événement interroge de façon intime les personnages, puisqu'il ravive certaines plaies, de l'institutrice impuissante à aider son élève battu par ses parents, aux grands-parents aux rapports compliqués avec leur fille qui ne s'est jamais sentie à la hauteur de leurs espérances, à ces futurs parents ignorants de leur statut en devenir, qui leur tombe dessus d'un coup. Mais surtout à cette mère qui ne l'a pas demandé, qui est abasourdie devant la violence de ce qui lui arrive, elle qui se demande si elle sera capable de ne pas faire du mal à ce bébé qu'elle ne peut appeler le sien. Un beau roman qui interpelle sur ce refus de voir ce qui pourtant devrait être frappant, une grossesse, sur le désarroi face à l'indicible, à l'impréparation que ce déni engendre (c'est déjà parfois difficile de devenir mère en s'y préparant pendant neuf mois, alors en quelques heures…), et qui est si bien rappelé par la sage-femme : « j'aurais tellement aimé pouvoir la rassurer, la déculpabiliser, parce que tout le monde pense que c'est normal pour une mère d'aimer son enfant mais ce n'est pas vrai, accepter son bébé ça peut prendre des jours et des jours, j'aurais voulu lui expliquer, on ne devient pas maman par magie, ça vient doucement, prenez votre temps. »