Un mélange de sérieux, de poésie (parfois sans rime ni raison), de jeux de mots (dans la valise), de références à la chanson populaire, une drôle d'histoire, un conte à lire, à déclamer, à chanter…
Commenter  J’apprécie         10
L'homme qui reculait
Reculait toujours.
Et un jour
– cela arrive parfois quand on marche en reculant –
Son corps buta sur une fontaine.
C'était d'autant plus étonnant que cette fontaine était plutôt un modèle ancien, pas trop rapide.
Mais l'homme ne l'avait pas vu arriver.
Le choc eut lieu vers 11h30 du matin.
« Aïe ! Une bonne heure pour l'apéritif ! »
Se dit aussitôt notre homme qui avait très soif.
Avec la fontaine
Ils parlèrent longuement de choses et d'autres.
Des paysages qu'ils avaient vus
Des villages qu'ils avaient traversés
Et des gens qu'ils n'avaient pas rencontrés.
Avec la fontaine
Ils parlèrent d'un corbeau, d'un renard et d'un fromage.
Puis, au bout d'une heure et demie
– disons à l'heure où l'heure de l'apéritif est passée –
L'homme se rendit soudain compte que la fontaine
Qui parlait avec un fort débit
– un débit d'eau bien sûr, pas un débit de lait –
Crachait une eau de plus en plus sale et malodorante.
Elle avait une fort mauvaise haleine !
Au début il n'en était pas sûr mais
Après s'être penché, il dut se rendre à l'évidence :
La fontaine était malade !
L'homme qui reculait, reculait.
Et tout en reculant
Il prenait le temps d'admirer le paysage
Qui changeait lentement
Mais sûrement.
Lui, il ne changeait pas.
Toujours le même.
Avec son petit chapeau
Avec son petit manteau
Qui aimerait bien avoir l'air
Et qui avait vraiment l'air.
Avec son joli veston
De chez Louiton
Un pote à lui qui avait eu du pot
En bossant le cuir au Maroc.
Et son pantalon
Au pli bien marqué au milieu.
Les mêmes chaussures
Toujours bien cirées
Brossées dans le sens du poil
Pour pas les vexer
Et qui avaient parfois tendance à reculer
Plus vite que ses pieds.
L'homme qui reculait avait pour habitude de voyager avec ses valises
Qu'il portait parfois sous les yeux pour bien les avoir à l’œil
Et qu'il laissait gambader autour de lui
Avant de les rappeler fermement
En sifflant – comme le train – trois fois.
Il pensait que cette marche à l'envers
Pouvait lui remettre les idées à l'endroit
Que de se mouvoir à contresens
Pouvait donner du sens à sa vie