Dans l'article "Le Sentiment de la ville", page 207
Nicolae Manolescu note : "Citadin, paysan : ce sont des notions typologiques dont on peut déduire certaines particularités de mentalité ou de comportement, mais qui ne nous autorisent en rien à faire des comparaisons de valeurs. "Un paysan, quand il se rend à Bucarest, ne fait que rechercher la compagnie d'autres paysans", dit, avec humour, dans la toute première phras
e, le narrateur du roman "
Le Grand Solitaire"" ("Un paysan, s'il vient à Bucarest, c'est toujours des paysans qu'il cherche." [Un țăran dacă vine la București, tot țărani caută]). Vraisemblablement la traductrice ne s'est pas référée à la traduction déjà existante de ce roman de
Marin Preda, par
Claude B. Levenson, chez Grasset (1975) et dont voici la première phrase : "Un paysan, s'il vient à Bucarest, c'est d'abord des paysans qu'il cherchera." Cela me permet d'interpeller sur une certaine forme de continuité encore fort lacunaire dans le fond de traduction littéraire du roumain. Pour quelle raison Dominique Ilea propose-t-elle une autre version du début du "Grand Solitaire"? Ignore-t-elle l'existence de la traduction de 1975, n'y a-t-elle pas accès, ne la trouve-t-elle pas pertinente ?
J'éprouve ce livre un peu comme un avatar du complexe d'infériorité roumain : alors que Manolescu a beaucoup écrit sur la littérature roumaine, notamment une histoire, ce recueil rassemble ce qu'il a écrit sur… la littérature française et, en plus, des auteurs assez rebattus (j'aimerais que quelqu'un me recense en millions le nombre de pages écrites sur
Balzac). Ceci étant, pour rester positif, je relève tout de même la bonne idée de mettre parmi les premiers auteurs évoqués
Villiers de l'Isle-Adam et surtout Allain-Fournier et son grand Meaulnes, livre souvent un peu relégué dans l'histoire de la littérature française et pour lequel j'éprouve beaucoup d'admiration sans l'avoir exprimée sur Babelio, tant tout a déjà été dit et très bien et tant je doute de pouvoir ajouter utilement quoi que ce soit. Pour citer Manolescu, entre la réalité et l'imaginaire, "Deux contrées voisines, et pourtant coupées l'une de l'autre à tout jamais, dans une continuité irréalisable, décevante, comme celle des eaux d'un étang avec la lune qui vient s'y refléter."