«
Pas après pas, l'horizon s'ouvrira » de
Joël Mansa nous invite à « La promenade, la rêverie et la poésie ont tout à partager. Elles sont, comme la méditation, de très bons remèdes à la brutalité de ce monde. »
Tel est le prologue de
Joël Mansa à son livre, qui se décline en sept rêveries initiatiques, consécutives aux ballades bordelaises que l'auteur nous confie comme autant de trésors.
Ainsi,
Joël Mansa, comme
Jorge Luis Borges marcheur lui-même, prend plaisir à ces escapades et revendique les mots du poète argentin :
« Ces sentiers qui bifurquent… Je sortis après dîner me promener et me souvenir… Mes pas m'amenèrent à un coin de rue. Merveilleusement libre de penser. Je respirais la nuit. »
Joël prend le relais de son illustre mentor, affirmant lui-même :
« C'est aussi parce que la promenade a beaucoup à voir avec la lecture. Lire et se promener ne sont qu'un même exercice de découverte, d'observation et de patience. »
Le quartier Sainte-Croix à Bordeaux est une source d'inspiration poétique, parmi les plus importantes. Et comme le confie le poète
Pierre Reverdy, qu'aime à citer Joël, « Chaque pas que nous faisons est plus qu'un voyage » allusion discrète au recueil Les jockeys camouflés.
L'auteur, dans sa méditation, nous entraîne devant des lieux chargés d'histoire, l'école des Beaux-Arts – la très ancienne église Sainte-Croix, avec ce grand écart du
voyage dans le temps. Puis nous glissons vers la modernité, le Théâtre National Bordeaux Aquitaine, aussi l'IUT Bordeaux Montaigne, le savoir et les arts – le rationnel et le rêve – l'étude ou la création. Et comme flânerie poétique sans cesse renouvelée, à l'angle du café du théâtre s'esquisse la rue Camille Sauvageau.
Puis la Petite rue Sainte-Catherine avec « un monde de matelots, de gabariers, de charpentiers, de calfats, de pêcheurs qui faisaient vivre les petits commerces dont cette rue débordait. »
Les multiples talents de
Joël Mansa ?
Mixité de l'histoire avec la poésie – connaissances intimement mêlées au délice des sensations – vagabondage de l'esprit s'élevant telle une colombe dans le ciel et qui accomplit sereinement sa destinée – ce compagnonnage de l'imaginaire projeté avec les déductions d'une vive intelligence : tout l'art de Mansa réside dans ces interstices de la mémoire livrant le nectar des siècles.
« Autrefois, sous la flèche de Saint-Michel, construite sur un charnier, il y avait une crypte. »
Tant de lieux, tant d'histoire à décrypter, de pensées à sonder, de mystères à ausculter : l'esprit si aigu de Joël capte l'air des temps et le libère des conventions et des artifices. Tel un alchimiste, l'auteur transcende et transfigure devant nous le réel pour le projeter dans le monde des vibrations subtiles.
Et nous parvenons à un lieu magique : le Port de la Lune ! En guise de conclusion provisoire, l'auteur nous susurre que « Si la lune a un port, moi, je veux y accoster ».
Alors tant de lieux à visiter encore, « où le silence est ici plus bruyant que la vie. » :
Le Parc de la Chêneraie au Bouscat, et son château de poche dans le style classique, le Castel d'Andorte. « Les fausses confidences ou le jeu de l'amour et du hasard auraient belle allure. Imaginons la scène. » Théâtre de la vie dans lequel chaque homme est un acteur, où chaque parole murmure sous les arcades du silence.
Aussi le Parc Rivière que
Jean-Jacques Rousseau aurait aimé, avec son île
De Saint-Pierre au milieu du lac de Bienne, telle qu'il l'évoque dans la cinquième promenade des
Rêveries du promeneur solitaire. Ce parc « invite au silence, à la patience, au lâcher prise. Et son caractère plus sauvage que les autres jardins de la ville incite aussi à plus de liberté. »
Comme l'écrivait ce poète, « Le miraculeux est dans le banal ». Une promenade suffit. Quelques minutes de paix.
C'est précisément le talent de cet opus poétique de Mansa : cueillir le miraculeux là où on s'attendrait à l'anodin, capter l'essence de la transcendance alors qu'on penserait à l‘ordinaire. L'écriture ciselée et légère de Joël semble facile, mais en filigrane une culture profonde des auteurs classiques émerge dont l'auteur retient l'essentiel.
Je ne détaillerai pas toutes les promenades, toutes les métaphores de ce livre touché par la grâce, car je vous laisse le soin de déambuler au travers des arcanes que l'auteur, subtilement, nous livre. Vous découvrirez peut-être comme moi que, derrière les mots se cachent des non-dits, des silences et toute la beauté de la vie faite d'imprévus. Une invitation au lâcher-prise, à se laisser aller à la providence cosmique.
Enjoy !