Ce tome contient les 3 histoires relatives à Cromwell Stone, chacune en noir & blanc de 46 pages, écrite, dessinée et encrée par Andreas (Andreas Martens de son complet). Andreas est également l'auteur complet de 2 séries à suivre : Arq (à commencer par "Ailleurs", débutée en 1997) et Capricorne (à commencer par "L'Objet", également débutée en 1997).
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- Cromwell Stone (1984)
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L'histoire s'ouvre avec une citation d'Howard Philips Lovecraft : "la plus ancienne et la plus forte émotion de l'humanité est la peur". Cromwell Stone est en train de progresser à pied sur un chemin en bord de côte, une corniche longeant une mer déchaînée et battue par les vents. Il trouve refuge dans la demeure de Gordon Globe et lui raconte ses mésaventures. Il y a quelques temps, il avait décidé de se rendre à Loatham (en Angleterre) pour retrouver Jack Farley, l'un de ses amis. Arrivé sur place, Stone avait eu l'impression d'une ville hostile, de menaces imprécises tapies dans les zones d'ombre. Ayant rejoint l'adresse que lui avait donnée Farley, il avait eu la surprise de constater que personne ne se souvenait lui (pas même son voisin) et qu'il avait disparu comme s'il n'avait jamais séjourné à Loatham. de fil en aguille, Stone avait finit par s'installer dans la demeure que Farley était censé avoir louée. Bientôt des phénomènes inexplicables se produisirent.
La citation de la première page ne laisse aucun doute quant à l'intention d'Andreas : il s'agit pour lui de réaliser un récit "à la manière de", de rendre hommage à Howard Philips Lovecraft, auteur entre autre de le mythe de Cthulhu, Par-delà le mur du sommeil, etc. le lecteur est donc beaucoup moins surpris que Cromwell Stone par ces phénomènes mystérieux qui laissent présager l'existence d'entités pas très bien disposées envers l'humanité, d'une géométrie défiant les lois basiques de l'espace, et d'un Ailleurs ou d'un Dehors menaçant. Andreas maîtrise à la perfection les obsessions de Lovecraft, il intègre la présence inquiétante de l'océan, ainsi que des personnages qui semblent en savoir beaucoup sans pour autant vouloir aider Stone.
Dès ce premier récit consacré à Cromwell Stone, le lecteur constate qu'Andreas rend hommage à HP Lovecraft en s'en inspirant, sans le plagier, ni le copier. le récit de Cromwell Stone ne reprend pas la mythologie de Cthulhu et suit sa propre logique, avec ses propres spécificités. Il s'agit d'une histoire originale et indépendante. La trame n'est pas très novatrice, mais son exécution est singulière. Andreas utilise des conventions de plusieurs genres différents, aboutissant à une histoire sortant de l'ordinaire. le récit se déroule vraisemblablement au début du vingtième siècle, et les personnages sont essentiellement masculins (il n'y a qu'une femme avec un rôle très secondaire le temps de 2 pages). Il n'y a pas de prouesses physiques, les différents lieux participent à la narration, la mise en scène et les dessins sont uniques en leur genre.
De la même manière que la référence à HP Lovecraft est incontournable à la découverte du récit, celle à Bernie Wrightson l'est pour les dessins. Andreas utilise des myriades de traits répétant le même tracé pour donner du volume aux surfaces et leur conférer une texture palpable. Il allonge légèrement les visages pour les rendre plus expressifs en particulier quand l'individu éprouve de la peur. Wrightson est un dessinateur de comics qui s'est fait connaître dans les années 1970 pour ses histoires d'horreur (Creepy presents Bernie Wrightson), pour avoir illustré une histoire de Stephen King (Creepshow) et surtout pour avoir réalisé des illustrations habitées du roman de Mary Shelley : Frankenstein.
De la même manière qu'Andreas s'inspire de Lovecraft sans le copier, il s'inspire de Wrightson sans le copier. Pour commencer Andreas est aussi méticuleux que Wrightson pour tracer ces nombreux traits courant de manière parallèle, figurant une luminosité complexe, mais il n'atteint pas le niveau de Wrightson qui s'en sert également pour rendre compte de la texture des matériaux, en plus de leur volume. Ensuite, dès la première page, le lecteur est frappé par la composition de chaque page : les compositions variées de cases aux formes différentes, et la l'habilité avec laquelle Andreas recompose le mouvement par le biais de l'agencement de ces cases.
Dès la première page, le lecteur est subjugué par l'intelligence narrative visuelle. La page est partagée en 2 selon une ligne oblique montante. le tiers supérieur se compose de 5 cases dont la taille va en diminuant montrant Cromwell Stone montant le long du chemin, avec un mouvement de caméra se rapprochant de son visage en tournant. Ces 5 cases sont donc opposées à celle plus grande en dessous montrant le chemin, les flots déchaînés, la falaise et la maison de Gordon Globe accolée à la paroi rocheuse.
Andreas réalise des planches denses, comprenant de 8 à 10 cases, aboutissant à une narration substantielle. Il utilise majoritairement des cases rectangulaires, tout en recourant à des cases trapézoïdales ou triangulaires quand la nature des événements le justifie. Lorsque la narration le rend nécessaire, il diminue également le nombre de cases par page pour transcrire la taille démesurée d'un élément.
Cette inventivité dans la composition des pages dépasse la simple expérimentation et prouve une maîtrise impressionnante du vocabulaire et la grammaire de la bande dessinée. Andreas utilise à bon escient, aussi bien un découpage en 6 cases verticales de la hauteur de la page (planche 43), qu'un découpage en 10 cases horizontales de la largeur de la page (planche 34). À l'opposé de dessinateurs recourant à des cases de la largeur de la page pour ne dessiner qu'un tête de personnage au milieu sans arrière plan, Andreas utilise toute la largeur, gérant l'écoulement du temps de manière subtile, l'élément dessiné à l'extrême droite pouvant survenir quelques secondes après celui dessiné à l'extrémité gauche, comme si le temps s'était écoulé au fur et mesure que le regard du lecteur progresse de gauche à droite. Il peut aussi utiliser une bande horizontale de 5 cases pour faire ressortir l'évolution des expressions du visage d'un personnage. Chaque page est une nouvelle leçon d'art séquentiel, sans ressembler à une vaine démonstration gratuite pour épater le lecteur.
Dès la première page, le lecteur constate également qu'Andreas a pris le parti de raconter son histoire de manière majoritairement visuelle, c'est-à-dire qu'à de nombreuses reprises les cases, voire les pages, sont dépourvues de texte. Il s'agit d'un parti pris courageux que de distiller une angoisse sourde au travers des dessins, sans aide du texte. Cela assure également Andreas qu'il ne courre pas le risque de paraphraser les textes de Lovecraft, de manière maladroite. Alors que Lovecraft évoquait souvent une horreur indicible, Andreas réussit à évoquer une horreur qui reste cachée, en la sous-entendant par le jeu des ombres, des mouvements et des cadrages, du grand art. Ces passages les plus visuels induisent également une implication plus importante du lecteur qui doit formuler intérieurement ce qu'il voit, et identifier la causalité d'une case à l'autre. le savoir-faire d'Andreas lui permet de réaliser des séquences muettes facilement intelligibles, il n'y a que deux ou trois occurrences où le lecteur doit déchiffrer la case du fait d'un angle de prise de vues trop inattendu ou trop extrême.
Après avoir terminé, le lecteur constate qu'il a plongé dans un environnement totalement prenant, d'une grande inventivité visuelle tant sur le plan des dessins, que de la composition des pages, et du découpage de chaque séquence, et qu'il a côtoyé l'indicible. Au-delà du frisson provoqué par le sentiment d'effroi, il ressent le fait que l'individu évolue dans un monde dont il ne connaît que peu de choses, et dont il en comprend encore moins. Dans ce récit atypique, il pourra regretter 2 ou 3 cases difficiles à déchiffrer, ainsi que ce thème de l'inconnu qui aurait gagné à être un peu plus développé.
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- le retour de Cromwelll Stone (1994)
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Plusieurs années après le premier tome, Phil Parthington a décidé de se rendre aux États-Unis, en faisant le voyage à bord d'un transatlantique, en compagnie de Marlène son épouse. Ils sont installés dans la suite présidentielle car Parthington est devenu un riche entrepreneur. Dès l'embarquement il repère monsieur van Koor qui le dévisage avec insistance. Lors de la traversée, la cabine de Parthington est cambriolée, le vol état interrompu par Cameron, le garde du corps de Parthington. La nuit, d'étranges créatures semblent rôder dans les flots noirs, autour du navire.
Le premier tome était placé sous le signe d'une citation d'Howard Phlips Lovecraft, celui-ci débute par une citation d'Harlan Ellison (auteur célèbre, entre autres de Dérapages, ou Dangereuses visions).
La citation : "Car nous sommes de minuscules créatures dans un univers ni bienveillant, ni malveillant... Il est simplement énorme et n'a pas conscience de nous, sauf en tant que maillon de la chaîne de vie." - Harlan Ellison
Pour cette suite, Andreas base son intrigue sur un développement organique du tome précédent, reprenant les mêmes personnages : Cromwell Stone, Phil Parthington, et même le préposé au quai de la gare de Loatham. Parthington a décidé d'emmener la clé de l'autre côté de l'Atlantique révélant ainsi qu'elle n'est pas perdue à ceux qui la recherchent. Cette forme de course-poursuite avec affrontements imprime une dynamique au récit, l'inscrivant dans le genre "Aventures".
Le thème sous-jacent du premier tome était l'impossibilité pour l'individu d'appréhender la réalité dans son entièreté, dans toute sa complexité. Ce deuxième tome met en scène l'indifférence de l'univers vis-à-vis de l'humanité. Il s'agit d'un point de vue athée, qui intègre la possibilité de l'existence de créatures supérieures (dans leur développement) à l'homme. Andreas surprend par l'intelligence de la conception des créatures extraterrestres associées à la clé. Il ne s'agit pas d'une menace venue du Dehors ou d'un Ailleurs à la Lovecraft, encore moins d'une race de démiurges humanoïdes, ou de vieillards chenus à la longue barbe blanche.
Andreas a conçu une race extraterrestre à la forme différente des humains, aux motivations étrangères à l'humanité, aux capacités de création qui n'ont rien à voir avec le principe anthropique (que l'univers tournerait autour de l'humanité). Cette composante du récit est à l'opposé d'une science-fiction ou d'un fantastique bon marché, ceux qui réduisent toute créature extraterrestre ou surnaturelle à l'état d'ennemi à 4 bras ou de gros monstre baveux, uniquement destiné à être massacré par le héros. Très rapidement, le lecteur prend également conscience que les différents personnages évoluent dans une situation dépassant le clivage basique bien/mal.
Cette richesse thématique n'obère en rien le niveau de divertissement et la qualité du spectacle visuel. Andreas utilise son riche vocabulaire visuel, et sa maîtrise de la grammaire spécifique de ce médium pour réaliser des séquences à couper le souffle, qu'elle qu'en soit la nature.
Parmi les éléments graphiques les plus remarquables, il y a sa minutie quasi obsessionnelle dans certains dessins. Celui représentant l'embarquement du couple Parthington à bord du transatlantique occupe une demi-page, avec des dizaines de figurants. Celle du débarquement (page 24) est tout aussi impressionnante dans sa représentation de la foule débarquant, suivant des chemins canalisés et logiques.
Dans le cadre de ce récit d'aventures, Andreas réalise des dessins grand spectacle d'une force et d'une ampleur à couper le souffle. Il y a un déraillement de train d'une force inouïe, dont la représentation échappe à tout stéréotype visuel (planche 20). Les planches 12 & 13 comprennent un dessin en double page représentant le transatlantique cerné par une flotte fantomatique, là encore avec une minutie dans l'encrage (une myriade de traits innombrables) qui oblige le lecteur à détailler ce dessin, scrutant ces formes, comme le font les marins sur le navire. Les pages 40 & 41 comprennent également un dessin double page, avec une vue du ciel d'une cité, où tous les bâtiments sont représentés avec une minutie maniaque.
En termes de composition de page, Andreas utilise à nouveau l'approche consistant à rompre avec les cases rectangulaires sagement juxtaposées, lorsque la nature de la séquence le justifie. Il y a ce passage où Parthington n'arrive plus à s'exprimer, sa raison se fragmentant, les cases semblent s'écrouler les unes sur les autres, perdant leur caractère bien ordonné, et leur forme bien cadrée. Il y a également cette progression de plusieurs personnages dans une végétation dense, où les bordures de cases sont faites de feuillages, et ont perdu leur rectitude pour montrer que la troupe progresse suivant une trajectoire sinueuse gênés dans leur cheminement par la végétation dense.
Comme dans le premier tome, Andreas réalise également des séquences muettes, d'une lisibilité exceptionnelle, avec une tension narrative née de la gestion de l'écoulement du temps entre chaque case, et de la manière dont les postures se répondent d'une case à l'autre. C'est le cas de la fuite éperdue de Marlène dans la nature, pour échapper à son poursuivant armé de grands morceaux de verre effilés.
Avec cette deuxième partie de la trilogie (réalisée 10 après la première), Andreas prouve son épanouissement artistique, à la fois en tant que scénariste et en tant qu'artiste. À la lecture, il y a une fusion parfaite entre Andreas scénariste et Andreas artiste. Il étend le récit du premier tome de manière organique et naturelle, tout en élargissant le champ du thème principal et des techniques narratives visuelles. Il subsiste l'influence de Lovecraft (dans la présence d'une énorme créature étrangère à l'humanité) et de Bernie Wrightson (dans la technique d'encrage pour rendre compte du volume des surfaces et de leur éclairage), ce qui fait bien de cette deuxième histoire, la suite de la première.
En découvrant l'intrigue, le lecteur apprécie l'intelligence du propos d'Andreas sur la place de l'humanité dans l'univers, et l'intelligence de la manière dont il la raconte. Andreas ne sacrifie en rien l'aspect visuel du récit, que ce soit en spectaculaire, en divertissement, ou en suspense narratif.
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- le testament de Cromwell Stone (2004)
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Come elle l'a promis à Cromwell Stone, Marlène Parthington est de retour en Écosse avec la boîte qu'il lui a confiée. Son avion de ligne a été agressé par un autre avion, il s'est écrasé. Elle est la seule survivante, sans souvenirs de ce qui s'est réellement passé. Elle est recueillie par Mary & Joe Achnacon, chez eux, dans la chambre de leur fille défunte. Elle profite de ce séjour forcé pour aller se recueillir sur la tombe de Marjorie & James Argyll, ses parents d'adoption. Les Achnacon lui proposent d'aller dans un hospice pour discuter avec Constance une vieille dame (103 ans), pour en apprendre plus sur ces parents d'adoption.
Le titre de ce tome est à prendre au sens premier, il s'agit bel et bien du testament de Cromwell Stone que Marlène Parthington ramène chez lui, sans trop savoir ce qu'elle doit en faire. Comme les 2 premiers tomes, celui-ci s'ouvre aussi avec une citation, un extrait de l'Exode : "Mais dit-il, tu ne peux pas voir ma face, car l'homme ne peut pas me voir et vivre". Par comparaison avec celles d'Howard Philips Lovecraft et d'Harlan Ellison, celle-ci est particulièrement cryptique. En choisissant cette citation, Andreas plonge le lecteur dans la confusion dans la mesure où le tome précédent développait un point de vue athée sans qu'il soit possible de s'y tromper.
Du coup, le lecteur en est réduit à faire comme Marlène Parthington : observer les signes et les interpréter. Andreas commence fort dès la première page avec une scène allégorique d'un homme et d'une femme nus chevauchant chacun un dragon et se livrant bataille dans le ciel (les mythes germaniques viennent à l'esprit). Une séquence suivante en livre une possible interprétation. À plusieurs reprises, des personnages constatent la présence d'un symbole (ou d'un emblème) : un point dans un cercle. Il s'agit d'un motif récurrent qui semble porteur de sens. Mais lequel ? Certains événements peuvent également être interprétés comme des présages, par exemple le décès de Constance juste avant que Marlène ne lui pose des questions. Il y a aussi ces volées de hiboux, animal qui pourtant ne se déplace jamais en groupe. Marlène Parthington est également confrontée à une manifestation surnaturelle : des théophènes (l'étymologie de ce mot évoques des messagers éclairant le chemin de Dieu, une sorte de déclinaison des sensoriels peut-être).
Feuilleter ce tome avant de le lire donne l'impression qu'Andreas a un peu allégé ses pages. La lecture montre que cette sensation provient d'un recours moins important aux aplats de noir. Par contre la minutie et l'application n'ont en rien diminué.
Cette histoire comporte 16 pages muettes (= sans texte) sur 46. Elles présentent une lisibilité parfaite et permettent à nouveau d'apprécier l'art de la composition d'une page, déployé par Andreas. le lecteur retrouve une page avec 6 cases de la hauteur de la page, dont la largeur va en augmentant d'une case à l'autre pour figurer l'augmentation de taille de l'apparition. Andreas peut se permettre toutes les audaces, même la lecture de 4 cases de bas en haut (planche 35) pour montrer que le personnage est en train de monter un escalier.
Lorsque le récit passe par une séquence fantasmagorique (rêvée ou allégorique), Andreas abandonne l'encre de Chine, pour des dessins au crayon, le mode de rendu fournissant ainsi une information supplémentaire au lecteur. Il serait possible de dresser ainsi un catalogue des techniques (toujours en noir & blanc) employées par Andreas pour trouver la solution graphique la plus adaptée à la séquence ou à la case. Dans la troisième planche, l'oeil du lecteur est arrêté par un arbre à la forme torturée sur les branches duquel se sont posés une nuée de hiboux. Andreas a choisi de les représenter en ombre chinoise pour leur conférer une aura mystérieuse de conte. Un peu plus loin, il a rendu la texture d'une stèle par une myriade de t
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