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Thomas Ott (Autre)Samuel Dégardin (Autre)
EAN : 9782490393107
61 pages
Martin de Halleux (07/11/2019)
5/5   1 notes
Résumé :
En 1918, Frans Masereel publie 25 Images de la passion d'un homme, chef d'œuvre graphique, considéré comme le premier roman sans paroles moderne, qui inspira des générations d'illustrateurs et de créateurs de bande dessinée.
Après avoir mis son talent de dessinateur au service de la cause pacifiste, Masereel signe ici l'histoire d'un idéaliste qui a tort de naitre pauvre et de vouloir vivre en homme libre.
« C'est expressif, intense, brut, un chef d'œu... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Les images se succèdent comme des coups de poing.
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Ce tome contient les vingt-cinq images formant une histoire complète, parue pour la première fois en 1918. Ce récit dépourvu de mot a été réalisé par Frans Masereel (1889-1972), sous forme d'une série de bois gravés. Ce créateur était un artiste engagé, humaniste, libertaire, pacifiste et antimilitariste. Cet ouvrage commence par une préface de deux pages, écrite par Thomas Ott, un auteur suisse de bande dessinée. Après l'histoire, se trouvent une postface de Martin de Halleux évoquant la conservation de ces vingt-cinq blocs de bois gravés, et leur redécouverte, intacts, en 1999, puis un commentaire de sept pages, écrit par Samuel Dégardin, contextualisant l'oeuvre, co-auteur de l'ouvrage Frans Masereel : L'empreinte du monde (2018) avec Joris van Parys. Vient ensuite le récit Passion Moderne (1918), composé de neuf dessins réalisés à l'encre avec un pinceau. le tome se termine avec une biographie en quatre pages.

Un. Dans une pièce plongée dans l'obscurité, une femme appuie son dos sur la table en bois derrière elle. Il n'y a que deux chaises vides de l'autre côté de la table. Cette femme se tient le ventre, prise par les douleurs des contractions. Elle va enfanter là, sans aucune aide, sans aucun soin. Deux. le bébé est âgé de quelques semaines à peine. La femme le tient dans ses bras. Elle vient de sortir de son logement, dans la rue, houspillé par les propriétaires qui la mettent dehors. Sur le perron d'à côté, les voisins regardent la scène, sans intervenir, sans proposer leur aide. Il n'y a pas de père. La jeune mère se retrouve à la rue. Sans ressource. Trois. À l'abri des regards, derrière une palissade de bois, dans un terrain vague, elle donne le sein à son enfant, sans logement, sans rien d'autre en sa possession que ses vêtements. Quatre. Les années ont passé : ce fils est encore un jeune garçon, toujours dans le dénuement. Il est vêtu pauvrement et se tient là debout dans un terrain vague, immobile. Une demi-douzaine d'enfants qui viennent de sortir de l'école se sont attroupés autour de lui. Ils portent tous leur uniforme et tiennent leur cartable. L'un d'eux s'amuse à uriner sur le pauvre garçon, les autres riant autour. Un peu plus loin, sur le trottoir, le long d'un mur aveugle d'usine, sa mère est en train de négocier le prix d'une passe avec un ouvrier.

Cinq. le garçon a maintenant une dizaine d'années. Sa mère l'a quitté. Il est employé dans un atelier de fabrication de cercueils. Il porte des charges lourdes pour son âge, travaillant sous la surveillance de adultes masculins qui ne lui portent aucune affection. Six. Il est maintenant un jeune adolescent et son employeur le renvoie : il le rejette littéralement à la rue avec un grand coup de pied dans le derrière. Un peu plus loin dans la rue, une femme est en train de chasser un chien de chez elle, à grands coups de balai. Encore un peu plus loin, un homme titube sur le trottoir, ivre, perdant l'équilibre à force de gesticulations. Sept. le jeune adolescent se retrouve à la rue, dans l'indifférence totale de la foule et de la circulation.

Il y a plusieurs possibilités pour envisager cette oeuvre. Pour commencer elle a été réalisée par un artiste consacré. La consultation d'une encyclopédie en ligne permet d'en apprendre plus : professeur à Sarrebruck de 1947 à 1951, exposition en 1948, créations de décors et de costumes pour des pièces de théâtre, prix d'art graphique à la biennale de Venise en 1951, travail et exposition en commun avec Pablo Picasso entre 1952 et 1954, nommé membre de l'Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique. En outre, cette histoire sans parole a été réalisée sur des blocs de bois, par xylographie. C'est la première à être publiée et diffusée comme un roman, d'autres suivront Mon livre d'heures (1919, 167 bois), le soleil (1919, 63 bois), Idée sa naissance sa vie sa mort (1920, 83 bois), Histoire sans paroles (1920, 60 bois), La ville (1926, 100 bois), etc. Il est également renommé en tant que peintre. Cette postérité peut influencer le lecteur dans sa manière de considérer cette oeuvre, en la parant d'une forme de légitimité a priori. Sa biographie le présente également comme un artiste engagé : participation à la revue de la Jeunesse communiste allemande, compagnon de route du parti communiste, pacifiste. le lecteur en prend vite conscience dès les premières planches de cette passion dans laquelle un homme est destiné à vivre une vie de souffrances, une passion qui évoque celle du Christ.

Le titre annonçant la brièveté du récit, le lecteur anticipe la rapidité du récit. Dans le même temps, il a peut-être idée que cet artiste a influencé américain Lynd Ward (1905-1985, L'éclaireur) et qu'il a été cité par Clifford Harper, Will Eisner (1917-2005), Eric Drooker et Art Spiegelman. de fait la lecture s'avère très facile et effectivement très rapide. Les dessins se comprennent au premier coup d'oeil, ainsi que ce qu'ils racontent. le lecteur n'éprouve aucune difficulté à expliciter mentalement l'enchaînement d'une page à l'autre, quelle que soit la durée de l'ellipse temporelle entre les deux. Conscient de la technique de xylographie utilisée, il comprend que cela aboutit à l'apparence qui peut être considérée fruste des images, mais cela n'obère en rien leur expressivité. Il peut commencer à les considérer une par une, comme des compositions épatantes par leur concision et en même temps tout ce qu'elles racontent. Avec la première, il capte tout de suite le dénuement dans lequel vit la jeune femme, son accouchement imminent, la douleur des contractions. Dans la seconde, il ressent un sentiment d'injustice profond en voyant qu'elle se retrouve à la rue, tout en projetant par automatisme la motivation purement économique du propriétaire. L'éditeur a repris la dix-septième planche pour en faire la couverture de l'ouvrage. le lecteur a bien conscience du stade de la vie auquel est arrivé le protagoniste, maintenant un jeune adulte. Il n'y a aucun doute possible sur le fait qu'il est en train de réfléchir en se promenant dans les bois, à sa condition dans la vie, à la direction qu'il souhaite lui faire prendre.

Le fort contraste du noir & blanc, ainsi que l'absence de mot peut amener le lecteur à rapprocher ce mode de narration de celui de Frank Miller dans Sin City, en particulier pour l'histoire Silent Night, elle aussi sans parole, elle aussi racontée par une succession de dessins en pleine page, en noir & blanc avec un fort contraste. Rétrospectivement, il devient très troublant de se dire que Frans Masereel (mêmes initiales FM) avait déjà réalisé un récit aussi ambitieux en 1918. le noir & blanc permet également quelques effets expressionnistes, à la fois pour la pression sociétale qui pèse sur cet homme, à la fois pour son ressenti qui pare son entourage de noirceur. le lecteur se retrouve fort impressionné à chaque passage d'une page à l'autre : le créateur maîtrise l'art de l'ellipse à un niveau expert. L'oeuvre tient la promesse du titre : une vie en vingt-cinq images, de sa naissance à sa mort, avec un esprit de concision pénétrante encore plus saisissant que celui de Gilbert Hernandez dans Julio's day (2013) où il racontait la vie d'un homme, également de sa naissance à sa mort à l'âge de cent ans, en cent pages. L'ambition de l'auteur va au-delà de montrer la vie d'un prolétaire, d'un ouvrier exploité jusqu'à la mort.

Chaque page apporte une information sur la condition sociale du protagoniste, sur sa pauvreté. le lecteur suit donc une vie qui se déroule dans un climat économique très précis, avec des marqueurs et des conséquences bien visibles. En outre, le protagoniste ne se contente pas de subir : il décide de se rebeller contre cet ordre établi inique, et d'entraîner avec lui des camarades. L'histoire raconte également un éveil politique et militant. Une fois l'histoire terminée, le lecteur se lance dans l'analyse qu'en propose Samuel Dégardin comprenant trois parties : Grève et paix, Passion, Révélation. Il commence par raconter une grève ouvrière en 1917 dans une usine d'armement de Firminy, près de Saint-Étienne. Il explique ensuite que Frans Masereel a suivi de près ces grèves qui ont fait trembler les industriels ligériens et leurs bénéfices. En seulement vingt-cinq images, l'auteur raconte la vie d'un homme, fait apparaître les conditions de vie du prolétariat à cette époque, et montre un homme prendre conscience de cette inégalité systémique économique et se révolter contre cette exploitation où les ouvriers donnent littéralement leur vie au profit des propriétaires des moyens de production.

À la fin, le lecteur ne se pose plus la question de savoir s'il s'agit ou non d'une bande dessinée. Au fur et à mesure de la création d'oeuvres expérimentales dans ce mode d'expression, il devient de plus en plus difficile de le définir par des caractéristiques précises. En outre, cette question apparaît dénuée d'intérêt : peu importe de savoir si une succession d'images, à raison d'une par page, est plus une collection d'illustrations ou une narration séquentielle. le fait est que certaines expérimentations de bédéistes de la fin du vingtième siècle ou du début du vingt-et-unième reprennent exactement cette forme, et que Frans Masereel se montre un conteur remarquable, avec une réelle ambition, et un point de vue d'auteur. Peu importe la brièveté de l'oeuvre : l'histoire émeut le lecteur et lui présente une réflexion sur l'exploitation de l'être humain par l'être humain dans un système capitaliste, avec une acuité aussi moderne que toujours aussi pertinente.
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Lutte des classes en milieu tempéré. Grève et paix : pour en finir avec la guerre, on peut aller jusqu’à sacrifier tous les militaires de carrière et les appelés. On peut aussi décider de stopper la fabrique des armes qui fait durer le conflit depuis plus de trois ans. Cela se produit le 27 novembre 1917 dans une usine d’armement de Firminy, près de Saint-Étienne. Avec la seule arme dont peuvent se servir les ouvriers pour arriver à leurs fins : la grève. À leur tête, on trouve Clovis Andrieu, le secrétaire du Syndicat des métaux de Firminy. Pacifiste, mais toujours en lutte pour défendre les intérêts du prolétaire, il profite de la mobilisation pour réclamer de meilleurs salaires. Les objectifs des grévistes sont clairs, mais néanmoins mal compris des industriels qui ont vu leur chiffre d’affaires exploser grâce aux commandes de l’État. La contamination par a grève des principaux centres industriels de la Loire travaillant la défense nationale faisait craindre le pire aux autorités côté front – le traité de Brest-Litovsk entre l’Allemagne et la Russie a déjà été signé le 3 mars -, l’État cède sur les revendications de salaire, mais pas au-delà. Andrieu ne baisse ni les bras, ni le poing, et continue de mobiliser, avec en ligne de mire l’organisation d’un congrès de la CGT au printemps 1918. Le licenciement de onze ouvriers des usines de Firminy pour abandon de poste et l’arrestation de six autres pour sabotage le 1er mai 1918 vont mettre le feu aux poudres d’une grève générale dans le bassin de la Loire. Andrieu fixe un ultimatum au 8 mai. L’ordre de déclenchement ne sera déclenché que dix jours plus tard, avec pour objectif l’arrêt de toutes les usines d’armement. La grève ne rencontre qu’un faible écho et s’essouffle rapidement. Le 25 mai, cinquante militants sont arrêtés pour incitation à la désertion et complicité avec l’ennemi. Après l’offensive allemande du Chemin des Dames le 27 mai et la contre-offensive alliée en Picardie le 28, Clovis Andrieu et d’autres leaders syndicaux, comme Émile Bidault et Jules Flageolet, sont à leur tour arrêtés. Accusés de défaitisme, ils seront traduits devant un conseil de guerre. Les meneurs de la grève derrière les barreaux, le mouvement de contestation s’éteint, mais pas la guerre. Le 9 juin, les Allemands mènent une offensive entre Montdidier et Noyon et le 18 juillet démarre la seconde bataille de la Marne avec le début de la contre-offensive alliée. De Suisse, Frans Masereel a suivi de près les grèves qui ont fait trembler les industriels ligériens et leurs bénéfices. Pacifiste préoccupé par les questions sociales, Frans Masereel trouve dans ces événements le matériau de son premier roman en images et les moyens artistiques de le mettre en œuvre.
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Aujourd’hui, je suis toujours autant impressionné par les images de Frans Masereel, mais aussi par la manière dont il arrive à raconter des histoires. Dans 25 images de la passion d’un homme, Masereel raconte quelque chose de très intense, c’est une passion, c’est un film noir. Dès le début, on sait que ça va mal se passer, les images se succèdent comme des coups de poing. Le jeune homme est attrapé et, dès la page suivante, claque le dessin de cachot, sans transition. Pas de trajet dans un fourgon, pas de procès, pas de supplique. Rien que le noir de la cellule à peine évoqué par quelques traits blancs sur la page. Masereel est aussi sobre et radical dans son récit que dans son dessin. – Thomas Ott
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Pour moi, la plus grande surprise fut de trouver à Zurich, parmi ces centaines de blocs, la série intégrale, que je croyais détruite ou à jamais disparue, du tout premier roman sans paroles de Masereel, 25 images de la passion d’un homme, paru en 1918 à Genève et dont l’édition allemande, Die Passion eines Menschen, a marqué le début de la renommée internationale de Masereel. – Joris van Parys
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