Les Frères Lehman

On pourrait penser à un conte, ou bien à un long poème, à l'ouverture de ce livre aux 838 pages. Mais, une fois refermé, je me dis que ce n'est pas encore tout à fait cela. Cette forme aux 30 000 vers, à tort ou à raison, semble vouloir inscrire cette histoire des frères Lehman, dans les tables d'une nouvelle religion, et pas n'importe laquelle : celle du culte de l'argent, du fric, du flouse, du pognon, de l'oseille, enfin… de la Finance en règle générale.

Exagéré ! Me direz-vous ? Mais qui dirige actuellement le monde depuis plus d'un siècle ? Qui fait plier les peuples, obéir les puissants et détourner les révolutions ? L'Argent. Il méritait bien une épopée à la forme d'un livre sacré : Levée de rideau sur la genèse et balbutiements de la petite entreprise Lehman, développement et prospérité incroyable à l'entracte, jusqu'aux heures de gloire et l'anéantissement de la société au tombé du rideau. Victime collatérale du grand spectacle du monde…

"Il n'y a qu'une seule règle
pour survivre à Wall Street
et elle consiste à ne pas succomber
ce qui signifie
que le financier ne doit pas
lâcher prise un instant :
qui s'arrête est perdu
qui reprend son souffle est mort
qui s'installe est piétiné
qui réfléchit peut le regretter amèrement
et donc courage, Sigmund :
chaque banquier est un guerrier
et ceci est le champ de bataille".

Tout commence par l'arrivée, sur le sol américain, d'un jeune allemand émigré de Bavière, bien décidé à gagner sa vie et connaître un autre destin que celui de son père. Henry Lehman s'adapte rapidement à sa nouvelle vie et va développer un sens du commerce, lui permettant de répondre aux besoins de ce nouveau monde, de les anticiper et même, à long terme, d'en créer de nouveaux. Il fait venir ses frères pour le suppléer et voici posées les premières pierres de l'Empire. Les Lehman ont vendu un nombre incalculable de produits et de matières premières, jusqu'à ce qu'ils comprennent qu'au-delà de la marchandise, il y a les transactions, l'échange, la Bourse… l'argent en soi et pour soi, la Finance comme vecteur et suprématie de toute chose.

"Si nous persuadons
le monde entier
qu'acheter, c'est vaincre,
alors acheter signifiera vivre.
Car l'être humain, messieurs,
ne vit pas pour perdre.
Vaincre, c'est exister.
Si nous persuadons
le monde entier
qu'acheter, c'est exister,
nous briserons, messieurs,
la vieille barrière qui se nomme besoin.
Notre objectif
est une planète Terre
où l'on n'achète pas par besoin
mais où l'on achète par instinct.
Ou, si vous voulez, en conclusion, par identité.
Alors seulement les banques,
et avec elles Lehman Brothers,
deviendront immortelles."

Ce récit de Stefano Massini est fascinant, parfois dur, mais bourré d'humour – qui fait rire de bon coeur ou grincé des dents parfois – et d'une belle lucidité sur notre monde, les médias, l'art de la manipulation et de bien d'autres choses encore qui expliquent l'excellence et la réussite des Lehman – et de ce livre !

Je lisais dans une autre critique, que c'était aussi l'histoire de l'Amérique, du capitalisme et par la même occasion de notre monde moderne. C'est tellement cela également !

Merci aux éditions Globe et à Babelio d'avoir mis ce livre entre mes mains.
Lien : https://page39web.wordpress...

Difficile de résumer ce récit tant la forme est originale et les messages au second voire troisième degré.
Pendant plus de 800 pages, des vers qui ne riment pas s'enchainent ; l'auteur va assener, illustrer, raconter la banque Lehman de la genèse, en 1844, à nos jours.
Il faut se concentrer ; on sourit parfois, on est affligé souvent, on découvre tout le temps.
Cette banque, c'est aussi une famille et, comme dans toute les familles, le pire côtoie le meilleur.
Alors oui, il y a quelques longueurs car le mode narratif s'enlise parfois et ronronne sur la durée mais franchement c'est un roman à part.
Un sujet sérieux, moderne et qui fait réfléchir.

Heyum Lehmann qui débarque à New York a perdu 8 kg , a appris à boire, à jouer aux cartes, aux dés, à parier. Lui qui a entrepris ce voyage timide et taciturne a pris beaucoup d'assurance en 45 jours de traversée.

« C'est alors
qu'un individu le secoua par le bras.
C'était un officier du port,
Uniforme sombre,
moustache blanche, grand couvre-chef.
Il notait dans un registre
le nom et le nombre des arrivés
Posant des questions simples dans un anglais élémentaire :
« Where do you from ? »
« Rimpar. »
« Rimpar ? Where is Rimpar ? »
« Bayer : Germany. »
« And your name ? »
« Heyum Lehmann. »
« I don't hunderstand. Name ? »
« Heyum… »
« What is Heyum ? »
« My name is… Hey.. Henry ! »
« Henry, ok ! And your surname ? »
« Lehmann… »
« Lehman ! Henry Lehman ! »
Henry Lehman. »
« Ok, Henry Lehman :
Welcome in America.
And good luck ! »
Il apposa le tampon :
11 septembre 1844.
Abattit la main sur son épaule
et alla interpeller un autre homme."


On lui prodigue des conseils.
Des amis allemands : « Gagne de l'argent avec ce qu'on est bien obligé d'acheter. »
Le rabbin Kassowitz : « Un poisson vit dans l'eau et l'eau ne se trouve pas seulement dans la mer. »
Ou encore son père, Abraham Lehmann avec deux « n », marchand de bestiaux à Rimpar :
« L'AMOUR EST INVISIBLE
MAIS L'ODEUR DE L'ARGENT
MEME L'AVEUGLE LE SENT. »


Le voilà tenant boutique à Montgomery, Alabama.
Elle est «Petite, infime, minuscule, mais bien à lui. »


H. LEHMAN TISSUS ET HABITS devient vite TISSUS ET HABITS LEHMAN BROTHERS quand Emanuel et Mayer, ses frères le rejoignent.
Et très vite, ils ne se contentent pas plus de vendre du tissus mais du coton , l'or de l'Alabama, des outils, des semences, et puis du café, et du charbon, et puis du pétrole, et investissent dans les nouvelles technologies : les chemins de fer, l'automobile, l'aviation, le téléphone, la radio et aussi dans la culture : peinture, BD, cinéma…
Et, de fil en aiguille la trame de la société Lehman Brothers se construit, s'étoffe, se renforce de l'arrivée dans les affaires des fils, petits-fils qui, chacun, apporte ses idées, ses talents, ses compétences à la construction familiale.


Dans un style original, fait de retour à la ligne, ce roman ne ressemble à aucun autre (quoique « A la ligne » !!), disons plutôt, à rien d'habituel.
Cela pourrait être des vers mais cela n'en est pas, enfin, pas vraiment.
Je me suis demandé si ce choix était en rapport avec le poisson qui nage de la mer au fleuve, du fleuve à la rivière, de la rivière au ruisseau. Cette eau qui glisse, fluide, partout comme l'argent, pour s'amasser dans des lacs, des étangs.. ?
En tout cas cela donne un rythme très rapide à la lecture car souvent les lignes ne sont constituées que de quelques mots, de phrases nominales, présentes de nombreuses répétitions.
J'ai beaucoup aimé les allusions au yiddish qui sont fréquentes au début du récit notamment pour qualifier les personnages. Ainsi Mayer, très accommodant, très bon pour négocier est dit « Kish-Kish » ou le fils d'Henry, enfant très agité est appelé Dreidel, toupie… Cela confère au récit une note très ashkénaze qui au fil de la narration est remplacée par des termes anglo-saxons suivant le fil de la généalogie.
Découvrir et suivre la construction de l'édifice Lehman Brothers , la famille (sauf les femmes à peine évoquées) leurs partenaires, leurs associés ainsi, avec la touche d'humour qui sourd à chaque page ou presque est un exploit, d'autant que tout est vrai.

Retour de lecture sur "Les frères Lehman", roman de Stefano Massini, publié en 2016. Ce livre est un très bel ovni de huit cent pages, écrit totalement en vers libres, qui retrace la saga de la famille Lehman, fondatrice de la fameuse banque américaine qui a fait faillite en 2008. Tout démarre vers 1850, avec l'émigration en Amérique de 3 frères originaires de Bavière. Ils démarrent leur activité avec un petit commerce de mercerie à Montgomery en Alabama, pour ensuite se développer en prenant progressivement le contrôle de quasiment toutes les matières premières qui circulent à leur époque : le pétrole, le charbon, le coton, le fer, le tabac, le café.
Il vont ainsi pratiquement inventer le capitalisme américain. Après une installation à New York, ils participeront à la création de Wall Street, et deviendront un des principaux acteurs du monde de la finance avec une mainmise sur pratiquement toute l'économie du pays. On traverse ainsi tout un pan de l'histoire des États-Unis, à travers le prisme du développement économique du pays, avec la guerre de sécession, l'engagement lors de la première guerre mondiale, le krach de 1929, la prohibition et la deuxième guerre mondiale. On côtoie également la famille Goldman Sachs, au destin parallèle, qui est présentée comme une famille rivale et une ombre aux ambitions sans limites des Lehman. Ce livre est très original, avec une écriture très fluide, et une construction très variée, qui passe d'un membre de la famille à un autre à chaque chapitre. Bien qu'il soit Italien, l'auteur nous plonge dans l'histoire et la culture américaine avec beaucoup d'humour, de dérision et d'ironie, en allant jusqu'à y intégrer plusieurs planches de comics. Les portraits des différents membres de la famille sont tous excellents. Leur méthode, imaginée par Stefano Massini, pour devenir un bon financier et un vrai Lehman, à l'aide de cent vingt préceptes à suivre, est particulièrement croustillante et résume bien l'état d'esprit de la nouvelle génération de Lehman. Il nous montre comment cette famille est passée de fondateurs commerçants puis banquiers, à des héritiers qui se sont perdus en se tournant exclusivement vers la spéculation, en abandonnant sans jamais vraiment les comprendre les valeurs des premiers. L'écriture de Massini, complètement en vers libres, est elle aussi très originale, donne beaucoup de rythme au récit et permet une lecture très agréable. On ne s'ennuie jamais au cours de ces huit cent pages, la lecture étant ainsi bien plus rapide qu'avec un livre classique. Pour conclure, ce roman est vraiment quelque chose de complètement inhabituel, de très réussi, qui se situe entre la saga familiale, un exercice littéraire, un livre d'économie et d'histoire. Une expérience de lecture bluffante.

Dans la foulée de la débâcle boursière de Lehman Brothers en 2008, j'avais très envie d'en savoir plus sur les débuts de cette mythique banque qui a su maintenir le cap malgré une guerre civile, deux conflits mondiaux, la prohibition et le krach de 1929.
Arrivé en 1841 à New York City en provenance d'une petite ville de Bavière, Henry Lehman s'est promis de faire fortune en sol d'Amérique, avec l'assentiment de son paternel et de ses frères Emanuel et Mayer qui ne tardent pas à le rejoindre. Ils inventent une nouvelle profession : intermédiaires entre les planteurs de coton du Sud et les industriels du Nord. Installés à Montgomery en Alabama, ils prospèrent rapidement mais sûrement et finissent par s'installer définitivement dans la Grosse Pomme. Éduqués aux valeurs judaïques, les frères Lehman n'ont pourtant aucun scrupule à se laisser aller à la cupidité, la rapacité et l'avidité. Il n'y a qu'à lire attentivement les 120 règles du banquier pour comprendre de quelle manière et à quel point les Lehman Brothers en sont arrivés à conserver pendant plus d'un siècle le haut du pavé de Wall Street. L'« impudence bancaire » élevée à son plus haut niveau.
Stefano Massini a créé une biographie romancée des plus originales avec cet alignement qui rend encore plus efficace son propos. Sur plus de cent ans, jusqu'à l'effondrement final, la destinée de ces frères juifs allemands en impose et c'est à un condensé de l'histoire américaine que nous convie aussi l'auteur, traduit de façon impeccable. Une lecture fort édifiante.

Voilà un roman très étonnant ! D'abord par son poids : 848 pages c'est gros puis par sa structure car ce roman est écrit en vers libres qui couvrent juste la partie gauche des pages.
Le projet est ambitieux, il s'agit de raconter 100 ans de la vie des Lehman brothers. Tout commence en 1845 par l'arrivée aux Etats-Unis de Henry Lehman, fils d'un vendeur de moutons en Bavière. le jeune homme cherche une activité rentable et décide d'ouvrir un magasin de coton, il va vendre du tissu puis il vendra le coton récolté par d'autres. Ensuite ses deux frères le rejoindront et l'entreprise s'agrandira, ils vendront alors aussi du café, du charbon, tout ce qui peut se vendre.
Le roman raconte l'histoire de cette dynastie familiale (les mariages, les réussites professionnelles, les décès) mais il évoque aussi la grande Histoire, les guerres successives, les faillites.
C'est très agréable à lire, on a envie de le lire à voix haute, à la manière d'une parabole. On apprend énormément de choses sur les traditions juives. Mais c'est un peu long cependant, j'ai un peu sauté des pages à la fin, j'avoue.

Une découverte originale, pour les amateurs de pavé.

Stefano Massini a reçu à la fois le Médecis Essai et le Prix du meilleur livre étranger Sofitel pour cet essai "les Frères Lehman" paru aux éditions Globe; on appréciera d'ailleurs le clin d'oeil de l'éditeur pour la publication de ce livre ( sorti il y a quelques années en Italie) à l'occasion du 10ème anniversaire de la crise des subprimes.

Oeuvre d'un auteur italien dramaturge (qui avait écrit une pièce sur l'industrie chimique), spécialiste de l'investigation, on suit , sous fond d'une fresque épique ou une saga à la Tolstoi, le destin de la famille Lehman depuis l'arrivée à New York de la première génération d'entre eux en 1844.

On en a largement pour son argent avec ce pavé bien dense de 864 pages pour décrire l'histoire des USA, au long d' une éopée familiale écxonomique et biblique.

Ici la bourse est vue comme une grande religion, les chiffres étant plus éloquents que les mots et le tout se lit frénétiquement et avec une vraie intensité.
Lien : http://www.baz-art.org/archi..

C'est brillant !! Et surprenant. J'ai eu du mal à lâcher les 800 pages de ce texte (remplies à demi, il est vrai).
C'est surprenant par le style, ou plutôt l'alternance des styles. Tantôt poétique, tantôt épique, tantôt burlesque, tantôt théâtral. Bravo au passage à Nathalie Bauer, la traductrice.
C'est brillant par la façon de nous faire vivre l'évolution du capitalisme depuis la moitié du 19ème siècle jusqu'à nos jours, sans tomber dans le documentaire général, mais en restant au niveau des individus, de leurs forces et faiblesses individuelles....sur fond d'épisodes et personnages bibliques.
C'est brillant par la capacité qu'a ce roman de figurer des personnages marquants, très contrastés, épurés, dans des dialogues efficaces.

Voici un gros pavé qui se lit comme' une fable merveilleuse. Une histoire de famille pas comme les'autres de frères qui ont le goût du commerce le vrai et arrivent a monter de belles choses ensemble. Une belle histoire à découvrir pour une lecture pleine d'anecdotes et d'envie.

Qui d'autre qu'un dramaturge pour raconter l'histoire de cette famille, et par là même l'histoire du capitalisme tel que nous le connaissons aujourd'hui ? C'est Stefano Massini, conseiller artistique du Piccolo Teatro de Milan, Théâtre d'Europe, qui nous offre cette odyssée. Si la forme, au premier abord, peut dérouter, elle sert si bien le texte de manière si fluide, si poétique, théâtrale, qu'elle devient bien vite un atout majeur de ces 848 pages.

Une somme documentaire impressionnante sous une forme romanesque captivante, pour nous raconter l'ascension puis la chute de ceux qui inventèrent le capitalisme moderne, balayant tout sur son passage. Les esclaves, les ouvriers, les soldats sur les différents fronts qui déchirèrent le Xxème siècle. Pour les frères Lehman, ce ne sont que des silhouettes dans le décor, des ombres sans la moindre importance. Seul compte d'amasser de l'argent. La quasi invisibilité même, au coeur du livre, des « gens qui ne sont rien » rend criant le mépris de ces hommes d'affaires pour le « petit peuple ».

Un récit d'une ampleur extraordinaire défilant de 1844 à 2008, de l'arrivée du premier Lehmann (avec deux N) en Amérique à la chute de l'empire Lehman (avec un seul N). 164 ans de l'histoire de l'Amérique, l'esclavage, la guerre de sécession, les guerres en Europe, Wall Street. Chaque catastrophe, chaque innovation technique, chacune de leur propres créations seront l'occasion l'amasser de l'argent ? L'appât du gain, l'avidité pour seul moteur.

Les Lehman brothers ont pour ainsi dire inventé l'Amérique d'aujourd'hui et, par extension, le monde occidental. Songez qu'ils ont financé King Kong, qu'ils ont lancé les premiers comics pour redonner espoir aux américains et détourner leur attention des conséquences de la crise de 29. Superman, la « créature » des Lehman Brothers, comme avant garde du divertissement, qui sera bientôt de masse. Pour l'argent, et … accéder, après bien des conquêtes, au premier rang de la synagogue.

Servi par une remarquable traduction de Nathalie Bauer, Stefano Massini mêle les registres, textes religieux, inventaires, trouvailles épatantes à son récit, nourrissant cette odyssée, cette histoire du capitalisme du Xxème siècle fait d'arrogance et de brutalité.

Expérience épatante de lecture, « Les frères Lehman », aux personnages métaphoriques bien que réels, captivent du début à la fin, dans un long poème audacieux et percutant.

Ne passez surtout pas à coté.
Lien : https://bonnesfeuillesetmauv..