Un très troublant témoignage.
On ne peut imaginer le calvaire de cette femme. Car la petite fille a été brisée mais aussi la femme et maintenant la mère. Plonger au coeur de l'enfer . pour apporter à cette femme tout le soutien moral dont elle aurait eut besoin et qui n'est jamais venu.
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J’étais obsédée par la pensée de pouvoir sentir le bébé grandir et se développer en moi avant que mon corps ne le rejette et qu’il le tue au lieu de le protéger et de le nourrir. Et il y avait autre chose qui m’inquiétait : j’avais souvent des images – presque des sensations – fugaces de ma propre enfance que je n’arrivais pas à retenir assez longtemps pour comprendre ce qu’elles signifiaient, mais, si j’ignorais ce qu’étaient ces images que je n’arrivais pas à saisir, je savais qu’elles étaient d’une certaine manière liées à ma crainte d’être responsable d’un enfant à moi.
Je me rendis à la séance obligatoire avec un psychologue et pris rendez-vous pour mon avortement, mais, le matin de l’opération, lorsque je me réveillai, j’appelai la clinique pour leur dire que j’avais changé d’avis.
Mon père avait deux visages diamétralement opposés. Pour ses amis, c’était un homme excentrique, boute-en-train et haut en couleur, un conteur-né à l’humour ravageur, qui possédait un fort pouvoir de séduction sur les femmes ; c’était aussi un hôte généreux qui aimait recevoir, lors d’innombrables soirées extravagantes. En revanche, pour sa famille, c’était un alcoolique égocentrique, violent et terrifiant, un homme autoritaire et sévère, qui méprisait les femmes, haïssait les étrangers, les catholiques, les pauvres et les sans-abri, toute personne qui montrait des faiblesses et de l’incompétence quelles qu’elles soient sans parler des fumeurs et de tous les autres… La liste était pratiquement infinie.
Pour mon père, mon frère et moi n’étions que des nuisibles qui devaient apprendre à lui obéir et à le respecter, mais qui, pour le reste, ne méritaient que d’être ignorés. Je pense que la seule raison pour laquelle il avait accepté d’avoir des enfants, c’est que cela faisait partie de son personnage et de cette idée qu’il se faisait de la vie à laquelle il aspirait : un homme d’affaires prospèrequi habitait dans une belle maison dans un quartier prestigieux et huppé, avec une jolie épouse issue d’une bonne famille, et des enfants capables de réciter des fables et des poèmes en français dès qu’on le leur demandait avant d’être chassés hors de vue par leur nurse.
Mon père a toujours été un gros consommateur d’alcool. Au fil des verres qu’il ingurgitait, il passait par toutes les étapes de l’alcoolique : d’abord charmant et affectueux, il racontait des histoires invraisemblables qui amusaient tout le monde et assurait à chacun qu’il ou elle était merveilleux ; lors des dernières étapes, qui ne se manifestaient généralement pas avant qu’il soit de retour à la maison seul avec ma mère, il révélait le revers de la médaille et se montrait d’une agressivité et d’une perversité terrifiantes.
En outre, ce qui me paraissait encore plus terrifiant et troublant, c’était de réaliser que j’allais devoir réviser toutes les certitudes que je m’étais construites sur ce que j’étais et ce que je pouvais devenir.