Il était où le gentil ti Iodok ? Il était où, heiiiin, le Iodok ? Et où il est le pépère au ouah ouah ? Gotainer sort de mon corps et de ce roman légèrement science-fictionesque !
Acheté par curiosité aux Utopiales 2013, ce Chien Iodok est d'un style peu commun. Fruit du travail d'un sombre auteur italien qui se permet de prendre un pseudonyme bien russophone, ce roman semble bien étrange. le narrateur nous y raconte dans un style direct son histoire peu commune : sa transformation et sa vie en homme-chien. D'un pitch de départ bien singulier, l'auteur en profite tout d'abord pour nous narrer une vie de chien comme elle aurait pu être racontée dans toute littérature générale. Décor, paysages, vie quotidienne, rien de particulier finalement. Nous prenons le temps de découvrir les scènes-clés du récit avant de comprendre à quoi nous pouvons bien avoir à faire ; les premiers chapitres en sont donc d'autant plus lassants. Puis vient le bouleversement du postulat de départ : que signifie l'existence même, la possibilité de vivre en homme-chien ? Ce basculement, associé à la paranoïa galopante que subit le personnage principal, nous mène vers une toute autre lecture de ce court roman.
En effet, l'auteur introduit alors des thèmes plutôt profonds dans son récit. Cette courte histoire philosophique sur les liens tissés ou non entre humanité et animalité voit son propos galoper vers la lutte contre le totalitarisme, la dénonciation de toutes les formes de viols, et une curiosité devant l'inhumanité voire la zoophilie. Ce sont là des thèmes très forts menés de manière plutôt intéressante puisque nous ne prenons au jeu de ces réflexions somme toutes très universelles et aussi d'actualité quand nous voyons à quelle allure sidérante certains de notre espèce peuvent se déshumaniser par leur travail, leurs hobbies ou leurs penchants. Dans cette optique, le narrateur se met, tout du long, volontairement en marge, soit par envie de solitude, soit par conscience de sa différence, de sa supériorité. Et sa rengaine le montre bien : « Moi, Iodok, l'homme-chien, je suis l'infidèle, l'apostat, le renégat. »
Voilà donc un court roman bien étrange, mais qui recèle son lot de réflexions philosophiques bien utiles dans notre monde d'aujourd'hui. Une lecture rapide mais intéressante, surtout pour son aspect oppressant et au bord de la paranoïa.
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Je rejoins volontiers l'avis de Kfk1 même si ce livre ne m'a peut-être pas paru aussi frappant. La grande force du livre réside effectivement dans la traduction de l'insécurité physique et psychologique du narrateur, dissimulé sous la peau d'un chien et qui, année après année, est parvenu a parfaitement s'adapter à son "nouveau corps" au point de tromper "presque" tout le monde. L'auteur, italien contrairement à ce que son nom laisse paraître, travaille beaucoup les ambiances - à défaut peut-être de l'action assez absente.
Une des bonnes publications de L'Arbre Vengeur même si ce ne serait pas, chez cet éditeur, mon premier conseil.
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sublime métaphore d'une dictature. un homme se cache sous l'apparence d'un chien et devient l'animal du directeur du mystérieux zoo...une écriture sèche et percutante qui ne vous lâche pas. tous les sentiments d'insécurité physique et psychologique sont admirablement traduits. c'est kafkaîen...c'est tout ce que j'aime. Franchement, ouvrez le et laissez vous happer.
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La plupart du temps, je préfère tuer le mâle et épargner la femelle. Je suis cruel, je le sais, mais j'aime les entendre gémir quand j'étouffe leur compagnon. Je perçois leur angoisse, au moment où le mâle se laisse aller à la mort.
Le sang des écureuils a un goût de cèdre, un parfum de résine de pin, une odeur de feuilles et de vent. C'est agréable de les tuer et c'est par pur divertissement que je le fais. En tout cas pas par faim.
Jamais comme aujourd'hui n’a eu l’odeur de la vie humaine : l’odeur terrible et brûlante qui envahit les rues dégradées par la circulation, par une sorte de frisson terrible qui soulève une poussière poétique et recouvre toute chose telle l’âme, lorsque l’amour poudroie comme neige.
Tous les matins, quand j’ouvre les yeux, j’espère que le Zoo a disparu. Bien sûr, je me trompe. Le Zoo existe, il se déploie de jour en jour. Des colonnes des fidèles se glissent dans d’étroits tunnels, galeries et cavernes. Ils se baissent, rampent, avancent à quatre pattes. C’est ainsi que le Zoo s’étend, conquiert son espace.
Caché dans la fourrure, il ne me rest que à épier ses mouvements, écouter les sons mécaniques de ses poulies, de ses bras d’acier, des cylindres et pistons qui en composent les parties comme un organe parfait et invincible. Serré dans ma fourrure, je flairerai la douleur, l’écoulement gluant des baves du troupeau sur le lit du fleuve humain, sur la masse blânchatre qui court à l’intérieur de wagons et tunnels, et traverse des galeries de plus en plus étroites qui s’amenuisent jusqu’à disparaître.
Assistant à cette défaite, il ne me restera qu’à constater la présence de l’os de mon pénis et à considérer la différence qui me sépare du reste des hommes.
Moi, Iodok, l’homme-chien, le dévoyé, l’exilé, le proscrit du troupeau. Il n’y aurait pas de place pour moi au-delà de ma fourrure. Sans elle tout deviendrait obscur, éloigné, lointain.
Nous y voilà donc. Il n’y a que la fourrure qui existe, l’odeur de la fourrure, sa souplesse et le fait qu’elle coïncide parfaitement avec mon corps, la liberté de sauter d’une pelouse à une autre à l’intérieur d’elle, d’être le chien Iodok et rien d’autre hormis cela.
Moi, Iodok, l'homme-chien, je suis l'infidèle, l'apostat, le renégat. Je ne dois pas l'oublier. Mon adhésion aux lois, aux moeurs, à l'ancienne et à la nouvelle religion du troupeau n'a jamais été sincère. Celui-ci a toujours perçu mes hésitations, mes incertitudes, la faiblesse de ma foi dans les idéaux communs.
Chien solitaire, j'ai vécu dans les bois, me contentant de petites proies et accumulant peu à peu des expériences inconnues des autres chiens, mais la meute famélique a étendu rapidement son territoire. La foret elle aussi est devenue inhospitalière pour l'homme-chien et celui-ci a été contraint de rechercher un refuge auprès d'un maitre loyal.
Aujourd'hui, protégé par mon pelage, caché dans le seul endroit au monde
où peut se considérer en sécurité un individu de mon espèce, je ne peux que constater la force, l'inexorable avancée du troupeau.
Vous comprendrez que j'ai mes bonnes raisons pourra affirmer que, si j'étais découvert, tout serait fait pour effacer les preuves mêmes de mon existence. Personne, pas même le professeur Lyudov, ne voudrait que l'on parle du chien Iodok et de ce qui se cache sous son pelage. Je vous prie de me croire, l'élimination physique serait l'aspect le moins violent de toute cette histoire.
Ce qu'il y aurait de plus cruel, ce ne serait pas ma suppression en tant qu'être vivant, mais la négation du chien Iodok, l'affirmation que le chien Iodok n'a jamais existé. C'est pour cela que je dois à l'avenir conserver mon pelage dans son intégrité.