Dieu, encore ? Jalons pour une théologie négative contemporaine

À l'horizon de chaque vie, la mort. Advient un moment dans l'existence où il n'est plus possible de ruser ou de tricher avec soi-même, sauf disparition brutale ou démence mettant un point final à toute velléité de questionnement. La perspective de la mort est un trou noir d'où peuvent rejaillir les questions les plus essentielles. Mais l'homme, aussi savant soit-il, s'il est intellectuellement honnête, se trouve toujours aussi démuni que l'ignorant devant le mystère de sa relation au réel, qu'aucune théorie n'épuise. En dépit de son savoir il est, dans son esprit autant que dans son coeur, voué à la solitude ontologique comme n'importe quel humain. À chacun de tracer son chemin, nous choisissons ici le nôtre.
Avoir été conçu et être né ne suffit pas à justifier le désir de vivre. Le vouloir-vivre demeure une énigme biologique et philosophique. Mais il ne constitue en rien un impératif, sauf à être l'effet supposé d'un projet, voire d'une malédiction divine. Pourquoi les dieux nous laissent-ils vivre, nous les mauvais sujets ? Et pourquoi sont-ils plus assoiffés de vindicte que d'équité au point de confondre coupables et innocents ?

«L'Homme est la mesure de toute chose», disait le sophiste Protagoras. Et c'est bien là le problème, lorsque l'homme, un homme, s'autorise à parler de Dieu. Néanmoins, nous allons nous y risquer.
Le style, c'est l'homme... à qui l'on s'adresse, précise Lacan ! Aussi ce propos sur Dieu comportera-t-il quelques modulations d'écriture et de pensée afin de s'adresser à tous ceux qui feront l'effort de nous accompagner, et pas seulement aux érudits. Les références «savantes» ne seront pour nous qu'un prétexte, un passage obligé vers la déconstruction finale des savoirs constitués qui oblitèrent l'esprit de celui qui est en quête d'ouverture, sinon de vérité. Car, au fond, Savoir et Vérité s'excluent mutuellement, surtout si la Vérité se prétend «Toute». En ce sens /«Vérité n'a cessé au cours des siècles de se prostituer en partageant le lit du Savoir. Mais, au bout du compte, cela n'a rien engendré d'autre qu'un théâtre d'ombres éphémères dansant sur les murs de la caverne platonicienne.

Cruel et dérisoire châtiment du fils payant pour un pseudopère, infligé par des dieux sans discernement puisque Laïos, en toute impunité, a longtemps survécu à son crime, probablement sans remords ni souffrance. En effet, qu'avait-il perdu en abandonnant Œdipe à sa naissance ? Rien, rien qu'un nourrisson sans nom, aux pieds percés et liés, certainement pas un fils aimé auquel il aurait pu s'attacher. Et par qui fut-il tué bien des années plus tard sur une route ? Par un inconnu, qu'en aucun cas il n'aurait pu «re-connaître» comme son fils, a fortiori comme l'instrument de la vengeance divine.

Pauvre Œdipe, pauvre innocent aux yeux crevés, toi qui as dû subir le glaive de l'injustice divine pour l'expiation d'une faute qui n'était même pas la tienne, mais celle de ton géniteur, un certain Laïos, roi de Thèbes ! Cet homme n'était pas ton père car il t'a abandonné à ta naissance. Il ne fut que l'auteur de tes jours au cours d'une nuit d'ivresse où, dans l'inconscience de son désir, il engrossa son épouse Jocaste, qui aspirait à être mère en dépit de la malédiction pesant sur elle et sa race.

Pauvre Œdipe, te voici l'héritier d'un crime qui t'est étranger. Laïos fut maudit par les dieux et interdit de descendance pour avoir violé un enfant qui, de désespoir, se suicida. Mais de tout cela et du reste, tu n'as rien su jusqu'à aujourd'hui. La seule trace en toi du forfait de ton géniteur est le mystère de cette souffrance qui t'afflige et ne te quittera plus dès lors que ton destin t'aura été révélé.