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sur 327 notes
J'ai publié une chronique en 5 parties - feuilleton littéraire pour décrire mon admiration devant l'écriture de "Les Onze" de Pierre Michon.
En voici le premier épisode :

Pierre Michon est d'abord et avant tout un styliste et un conteur.
Un conteur ? Oui, celui-là même qui vous enchante avec ses mots, qui vous embarque avec ses phrases, qui vous emporte avec son rythme.

Dans "La grande Beune" déjà il nous entraînait à sa suite dans un lointain pays entre Brive et Périgueux, où une buraliste faisait tourner la tête d'un jeune instituteur – et nous avec. Dans Les Onze maintenant, il nous transporte dans le temps en une époque qui scella le destin de notre Démocratie, la Républicaine. Nous sommes en 1794.

François-Elie Corentin est un jeune homme élevé sur les bords de Loire – dans ce pays magnifiquement décrit par Michèle Desbordes dans La Demande - et il aime la peinture.

Mais Pierre Michon prend son temps. Il lance une grande Adresse à un Monsieur qui peut tout aussi bien tenir du Lecteur que de qui vous voulez. Peu importe : le style est là pour dire le reste. Et le livre est si dense qu'on pourrait le dissoudre dans onze romans sans en faire trop.

Un premier chapitre s'ouvre sur Tiepolo. Tiepolo, « un jeune homme tout de lumière aliéné que la vieillesse casse et avilit, un tendre visage aliéné par le temps au point qu'on puisse le confondre avec celui de Simon, un des êtres les plus vils de ces époques riches en monstres. » Et voilà que Michon rêve que dans la grande fresque que Tiepolo a peinte, Béatrice de Bourgogne va se lever et « de tout son poids de chair blonde de brocards bleu marcher vers lui et renversant la couronne, l'étreindre ». « J'ai ce désir, cette idée » et tout Michon est là dans ces quelques mots : dans le style, à l'état pur, et dans l'imagination qui lui fait convertir son désir ou son idée en récit.

Pierre Michon imagine l'origine du Tableau des Onze chez Tiepolo.
« Non, pas de Venise, pas de jeunes filles, pas de romance ; car tout cela, jeunesse, blondeur, vin de magie, manteau mozartien, Giambattista Tiepolo le père avec ses quatre continents sous le manteau, toutes ces formes mouvantes et vivantes n'ont d'autre sens que de s'être jetées pour finir dans un tableau qui les nie, les exalte, les cogne à coups de massue, pleure de ce saccage et immodérément en jouit, onze fois, à travers onze stations de chair, onze stations de drap, de soie, de feutre, onze formes d'hommes tout cela ne prend sens et n'est écrit en clair que dans la page de ténèbres, les Onze. »

Pourquoi pas ?
Mais effectivement, comme il le dit à la fin du premier chapitre, il va falloir « raconter à grands traits cette histoire si souvent racontée – puisque c'est bien du même homme que je parle ». Alors allons-y.

Le chapitre deux raconte l'enfance du petit François-Elie, né à Combleux près d'Orléans en 1730. Il la raconte par sa lignée : le grand père qui fit fortune, comme de nombreux bataillons de Limousins, « dans les grands travaux de fleuves et de canaux, sous Colbert et Louvois ». Et puis de son union avec une fillette de vieille noblesse et de petite fortune, d'où naquit vers 1710 Suzanne, la mère du peintre. Une enfant élevée par sa mère devenue veuve, mais une enfant élevée comme une « princesse sage, frileuse, rêveuse » mais qui sait voir « les digues, les levées avec leurs noeuds de fer, le tout bien cimenté de ciment limousin, sang et boue, l'oeuvre magique du père. » Vient donc Suzanne, qui va par delà les levées dans quelque petit salon littéraire.

Et c'est là, dans ces salons mondains que Suzanne va rencontrer « le fils d'un Limousin qui avait miraculeusement bondi hors des dix mois de négritude sur douze » : Corentin, son futur époux est en effet l'un des premiers à vouloir devenir « Homme de Lettres »

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Lettre à Pierre Michon
J'ai longtemps imaginé cette lettre, sans qu'elle sache comment soudain jaillir. L'espoir de vous croiser dans cette librairie nantaise que nous fréquentons l'un et l'autre. L'idée d'une proximité géographique, le miracle de la Loire sans doute. Enfin, l'éblouissement pourtant bien réel que m'a procuré la lecture des Onze. Je trouve qu'il y a quelque chose de miraculeux à s'adresser ainsi à un grand écrivain. Comme une façon de s'adresser à tous les écrivains, depuis Homère à Victor Hugo, jusqu'à vous. Comme célébrer l'idée même de la littérature dans un rapport intime tout à fait singulier. Quelque chose dont j'ose dire qu'elle ressemble à votre littérature, qui embrasse l'Histoire et les hommes par la science de leur simple vie. Tracer les grands traits, les trajectoires immenses, les destinées, tout cela par la description de vies parfois minuscules.
Mais je voudrais un instant revenir à la Loire, que j'ai découverte en arrivant ici. Découverte autant qu'on le peut en en parcourant seulement une centaine de kilomètres. Et pourtant déjà, elle semble tracer une idée à laquelle je vous associe volontiers. L'image des pêcheurs au lever du jour, dans les brumes si particulières des rives de l'Anjou. L'idée que quelque chose de nécessaire, à la fois petit et immense, se déroule ici, avec le temps, malgré le temps. le fleuve impose une vision du temps, un mouvement, une fatalité, une force à laquelle nulle ne résiste. Vous aurez sans doute lu « Dans les veines ce fleuve d'argent » de Dario Franceschini, dont le personnage principal est vraisemblablement le Pô. Son récit ourlé de mystères m'a évoqué la Loire, le fantôme de Julien Gracq, les anciennes demeures royales, et la pêche. Je vous imagine pêcheur, à la rencontre du temps de l'écriture, à l'écoute des bruissements de l'eau.
Les Onze m'ont traversé de toutes ces impressions. Car la Loire fut aussi le théâtre de cette Révolution. Les légendes la décrivent chargée de sang et de cadavres. La révolte vendéenne, réprimée, gonfle ses eaux.
L'histoire de Corentin est celle d'un homme inscrite dans son temps, à sa façon. le temps des démesures, le temps où l'homme simple, limousin, peut être transporté dans l'Histoire. le temps où ceux qui font l'Histoire pensent déjà à la postérité. Façon de conjurer la mort souvent brutale. Votre langue est superbe, précise et aiguisée, pour décrire cet épisode imaginaire. Elle effraie parfois, parce qu'elle dit la terreur. Mais elle conduit la vie de tous ces hommes, fidèlement, quoi que dans un mensonge. Quel prouesse en effet d'être si réaliste à inventer l'Histoire. Mais malgré la supercherie, chacun sait que ce portrait des Onze est pus que vérité.
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un souffle poétique porte cette histoire d'un tableau imaginaire représentant les onze membres du Comité de Salut public. On quitte avec regret cette reconstitution de l'atmosphère de la Terreur où Michelet est évoqué.
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Une fois refermé ce court roman ma première réaction a été : quel style remarquable!
Un style impressionnant au service d'une histoire impressionnante. le narrateur se trouve au musée du Louvre, dans une salle du pavillon de Flore à l'extrémité de l'aile du musée du Louvre, où il nous fait découvrir en s'adressant à un personnage anonyme l'unique oeuvre présente dans la salle :le tableau dit "Les Onze". de François-Elie Corentin. Immense toile de 4m sur 3m représentant le Comité du salut public en 1794. Il nous raconte l'histoire de ce tableau, son auteur. Il nous apprend ce que d'autres ont pu y lire et y voir notamment Michelet qui décrit ce tableau dans son histoire de la révolution française. le tableau est pour le narrateur une métaphore de l'histoire et la représentation des forces et des puissances qui gouvernent le monde depuis la nuit des temps et que les artistes ont tenté de représenter aux travers des siècles. L'histoire des ancêtres du peintre qui ont réussi leur vie sur la misère et l'exploitation des hommes, soit dans la construction d'un canal par les ouvriers-esclaves Limousin, soit par la vente à ces mêmes ouvriers d'une piquette, la vie même du peintre, symboliser par son aspect physique ou la manipulation de l'amour que lui portent les deux femmes, sa mère et sa grand-mère, qui l'entourent, la vie des membres du comité du salut public tous à une exception près ayant des vélléités de littérature et tous ayant du sang sur les mains par la répression et les massacres lors des années de la révolution française, toutes ces vies qui font l'histoire illustrent aux yeux du narrateur ce que nous sommes : des êtres ballotés par des puissances tyranniques ou divines... et que toute beauté, tout progrès se créé sur le malheur et la misère.
"... car les réussites sociales qu'on attribue aux seuls mérite et travail dans ce temps comme dans le nôtre, procèdent d'infiniment plus de scélératesse..." (p36 Ed Folio)
"...car Dieu est un chien et quand on est infime, on ne grandit qu'en marchant sur plus infime"
" Il se dit avec une sorte de joie que le zèle compatissant pour les malheureux et la plaine des Brotteaux, la table hospitalière et la lande de Macbeth, la main tendue et le meurtre, nivôse et avril, c'est dans le même homme. (..). Il se dit encore que tout homme est près à tout. Que onze hommes sont près à onze fois tout. Que cela peut se peindre." (p114 Ed Folio)
C'est le premier roman que je lis de Pierre Michon et je reste sur une impression assez équivoque. Par moment j'ai été emporté par l'histoire et le style, notamment lorsqu'il décrit, il imagine les conditions de construction du canal le long de la Loire, ou bien lorsqu'il décrit le tableau. Mais à d'autre moment le style m'a bloqué en me donnant le sentiment que l'auteur forçait le trait à trop vouloir utiliser des termes très peu usités et à les faire tourner en boucle au fil des pages comme par exemple : anacréon. Néanmoins ce style particulier a au moins le mérite de nous faire découvrir du vocabulaire et d'ouvrir le dictionnaire.
Malgré ces remarques sur le style, ce court roman m'a impressionné par sa densité, ses multiples références picturales et artistiques et surtout par le fait que Pierre Michon arrive à rendre crédible l'histoire de ce tableau et de son auteur.
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Quatre mètres virgule trente sur un peu moins de trois. C'est le tableau de ventôse, le tableau des "Onze" exposé dans le pavillon de Flore du musée du Louvre. Michon nous les fait voir, les onze commissaires incarnant le comité de Salut Public qui instaura en l'an II de la République la politique de la Terreur. Ils s'appellent Billaud, Carnot, Barère, Lindet, St-Just, Prieur, Prieur, Collot, Saint-André, Couthon et Robespierre; ils prennent vie sous le pinceau du peintre Corentin et sous la plume habile du romancier Michon.

L'écriture de Pierre Michon est sans conteste riche mais très particulière; et même si l'ouvrage a été primé par l'Académie française, certains resteront sans doute dubitatifs devant cette plume redondante et exacerbée, donnant une impression de lourdeur car trop souvent répétitive. Néanmoins, le roman a un atout de poids, celui de nous faire croire en l'existence des "Onze" et en celle de son créateur,le peintre Corentin.En bon fabulateur, Michon réussit à nous faire contempler une toile qui n'existe pas! Ca, c'est plutôt fort !
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Ceux qui écrivent sont des imposteurs magnifiques, en particulier lorsque les fictions qu'ils écrivent ont ce pouvoir magique de nous convoquer dans une réalité à peine déguisée, où les repères, en trompe l'oeil, n'ont d'autre but que de nous perdre.
L'opération est réussie au-delà de toute attente avec « Les Onze ». J'ai recherché en vain les traces de cet improbable François-Elie Corentin, fils de François, disciple zélé de Tiépolo, jusqu'à son surnom de « Tiepolo de la terreur ». La virtuosité de l'écriture tient la corde dans ce leurre somptueux. Magnifiquement dixhuitiémiste dans ses rondeurs, ses couleurs à la Watteau, ses allées et venues entre les peintres et leurs tableaux, les scènes champêtres drapées de jupes lourdes et satinées, le mystère du Paris des sections, celle des Gravilliers pour ne pas la nommer, là où la commande du fameux tableau est donnée à Corentin.
Il est inutile donc de chercher le tableau de Corentin au Louvre, il ne s'y trouve pas et ne s'y est jamais trouvé. L'imposture est quasi parfaite. Pour en trouver les failles il faut convenir que le portrait de chacun des Onze tient plus à l'imagerie convenue de l'après terreur qu'à la réalité. L'idée même de cette commande n'aurait pas effleuré l'un de ces onze du comité de salut public, qui ne se voyait pas en structure politique établie, l'idée même de la forme d'un quelconque état n'était pas débattue, la seule logique étant de faire front aux monarchies européennes, rassemblées aux frontières.
Une centaine de pages d'une incroyable densité où l'écriture crée l'illusion.
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Mon deuxième Michon. Grande différence avec les « Vies minuscules » , nous sommes ici dans l'Histoire majuscule , les grands noms de l'art (Tiepolo , Géricault, David, Michelet) et de la politique (le Comité de salut public de 1794) en peuplent les lignes . L'intrigue a pour pivot un tableau aussi imaginaire que célébrissime (il supplante la Joconde au Louvre) oeuvre d'un peintre non moins imaginaire et commenté dans une texte également imaginaire de Michelet. Dans cette histoire labyrinthique et borgésienne , Michon nous conduit , tel le joueur de flûte d'Hamelin , avec ses phrases sinueuses , sa maîtrise parfaite du rythme et du vocabulaire , à une réflexion sur l'histoire et l'art . Ce bijou de roman historique (si court, si dense) ne manque pas de faire la place aux humbles dont les ossements et les « vies minuscules » sont le substrat sur lequel s'édifient les vastes constructions des historiens.
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Les onze, Grand prix du roman De l'Académie Française: il faut au moins être un immortels pour lire à sa juste écriture ce roman retraçant la génèse, ou bien encore "la biographie" de ce tableau.
Car la tâche est ardue, les répétitions revenant comme une ritournelle nous tournent la tête, les descriptifs sont pléthore, et le parti pris par Michelet de faire de cette toile exposée au Louvre, le tableau des tableaux représentant le point culminant de la Révolution, je lui préfère parce qu'il m'est plus familier:" la mort de Marat" de David, n'en déplaise à Michelet.
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Certains livres une fois refermés vous hantent tant leur lecture vous a bouleversés ou happés dans son univers si complet que l'on voit arriver la dernière page à regret, les larmes aux yeux; d'autres seront vite oubliés tant ils étaient mauvais aussi bien dans le fond que la forme; d'autres encore vous laisseront le sourire au coin des lèvres quelques temps par les moments de bonheur qu'il ont su susciter en vous; etc...

"Les Onze" de Michon n'appartient à aucune de ces catégories que j'ai grossièrement énumérées sans nuance.
Ce préambule d'une grande banalité m'est nécessaire car Michon trace une voie qui me semble inédite dans la littérature française.
Tout d'abord, de par sa façon de narrer les évènements sans jamais les aborder de front.
Son approche circulaire, "je tourne autour du sujet en cercles concentriques, je l'effleure sans le forcer" m'a frustré en premier abord. Puis, à mesure que les chapitres défilaient, je me rendais compte du cadeau que Michon faisait à ses lecteurs et à la Littérature: il expliquait son sujet sans en fermer l'interprétation.
Il n'y a plus l'obturation que peut provoquer un livre-monde avec toute la re-création du monde par l'auteur mettant entre les lignes "j'aimerais que le monde fut ainsi", il y a juste une sorte de carte permettant de dénouer la réalité par des indices et non la nier en la réinventant.
Même si en définitive, ce roman est mensonge, il n'impose jamais rien au lecteur.
Il ne veut pas donner son interprétation de la Terreur ou de l'Art.
Michon montre sans démontrer, sa grandeur est là.
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plongée dans "les onze" de Pierre Michon, ce que j'avais lu sur ce livre, et qui me faisait craindre une déception, effacé par les mots, leur saveur, le rythme des phrases, leur précision et leur mouvement, leur emportement allègre, la façon dont elles s'imposaient à moi - et tout serait à citer (me restent trente pages ou à peu près pour cette nuit), alors cela, au début avec Corentin en aide de Tiepolo, portraituré en page sur un plafond
"Vous imaginez cela, Monsieur ? le prince-évèque en bas sur sa canne folâtrant, argumentant, rimant, colérant, doutant, jetant un coup d'oeil à son image peinte se rassurant, le petit Français qui sera lui-même un jour de la carrure de Frédéric Barberousse, qui ne l'est pas encore, qui pour l'instant fait des niches au prince, tous les petits assistants avec leurs pots de rose, de bleu, leurs grimpettes aux échelles, parmi eux Domenico Tiepolo qui a vingt ans, qui apprend la magie..."
parce que j'aime en recopiant retrouver mon goût pour les Tiepolo, et au delà des grands plafonds glorieux et blonds, des toiles, cet oiseau qui s'échappe d'un plafond d'une petite salle de je ne sais plus quel palais vénitien, et que le fils a posé juste contre le haut du mur, au delà des moulures.
Alors il y a la blondeur de la mère, les limousins dans la boue, les onze, ces limousins poètes manqués et hommes redoutables (le Comité de Salut Public) etc..
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