Cet ouvrage est un recueil. Il regroupe cinq courtes pièces en un acte et une saynète écrites par
Octave Mirbeau.
Car ce dernier a été un formidable écrivain, un journaliste dérangeant et un critique d'art reconnu mais il a été aussi un brillant auteur dramatique.
"Farces et moralités" est un recueil insolent, un ouvrage audacieux, libre et moderne.
C'est une violente charge contre la société, contre l'hypocrisie des convenances sociales, contre l'injustice et contre une certaine respectabilité bourgeoise fondée, selon Mirbeau, sur des apparences cachant souvent vice et malhonnêteté.
"L'épidémie", courte pièce en un acte, a été représentée pour la première fois, à Paris, sur la scène du théâtre Antoine, en avril 1898.
Le rideau se lève sur la salle des délibérations du conseil municipal d'une grande ville maritime. Sur les murs figurent tous les portraits des présidents de la république, depuis
Adolphe Thiers jusqu'à Émile Loubet.
Le docteur Triceps fait son entrée.
Plusieurs conseillers, malades, sont absents. L'un d'eux, Barbaroux, une fois de plus a été arrêté. Il aurait vendu de la viande corrompue à la troupe.
Le conseil a été convoqué à une séance extraordinaire et secrète pour une importante, grave et urgente raison.
Une épidémie de fièvre typhoïde vient de fondre sur la ville.
Plus précisément sur l'arsenal, sur la caserne de l'artillerie de marine, hier, douze soldats sont morts et seize, ce matin.
Le préfet maritime est fort en colère il prétend que les casernes sont d'immondes foyers d'infection. Il exige des crédits, des travaux....
Il se heurte, d'abord, à l'indifférence du conseil.
Mais une lettre arrive, annonçant une triste nouvelle : un bourgeois est mort.....
"Vieux ménage", courte pièce en un acte, a été représentée pour la première fois, sur la scène du Grand-Guignol, le théâtre du rire et de l'horreur, en octobre 1900.
Un soir d'été tombe sur la terrasse d'une maison de campagne dans les environs de Paris. Trois personnages s'approchent en devisant.
Le mari, 65 ans, ancien magistrat, catholique et conseiller d'opposition.
Sa femme, obèse, infirme, presque paralysée.
Et la jeune femme de chambre, jeune, jolie et effrontée.
La femme, maladive, geignarde, se plaint.
Tout en allumant un cigare, son mari, d'abord affable, lui reproche ses scènes irritantes, ses lamentations éternelles, ses caprices et ses exigences.
Geneviève Bardin, la nouvelle voisine, une femme divorcée, très jolie, délicieusement blonde, a déposé sa carte afin de se présenter....
"Le portefeuille", courte pièce en un acte, a été représentée, pour la première fois, à Paris, sur la scène du théâtre de la Renaissance-Gémier, en février 1900.
Dans le bureau d'un commissaire de police, sur le mur sont placardés des affiches, des arrêtés.
On entend des allées et venues, des éclats de voix dans les coulisses.
Le commissaire et Maltenu, un journaliste, devisent sur le théâtre qui se traîne, selon eux, dans des redites fatigantes, dans des banalités oiseuses.
On n'y attaque pas assez de front la question sociale.
Flora Tambour, une cocotte, est amenée pour la troisième fois devant le commissaire. Elle est en fait sa maîtresse.
La soirée s'annonce agréable lorsque Jean Guenille, un mendiant ramène un portefeuille qu'il a trouvé sur le trottoir et qui contient 10.000 francs, une véritable petite fortune....
"Les amants" est une saynète.
Elle représente un parc quelconque, au clair de lune.
Un récitant, montrant le décor, anime de sa voix la scène qui se déroule devant lui.
L'amant, selon l'usage, viendra s'asseoir sur un banc de pierre, près de sa maîtresse et là, ils murmureront, gémiront, pleureront, sangloteront, chanteront ou exulteront des choses éternelles.
Mais les deux silhouettes qui sortent de l'ombre ne sont pas le reflet de ces deux amants purs et passionnés que l'on imagine....
"Scrupules", courte pièce en un acte, a été représentée pour la première fois, à Paris, sur la scène du Grand-Guignol, le 2 juin 1902.
Au lever du rideau, une pièce est plongée dans l'obscurité. La pendule sonne cinq heures. Tout à coup, un petit bruit semble venir de derrière la fenêtre, un bruit de diamant coupant du verre et deux ombres se dessinent sur les persiennes.
Venus du balcon, apparaissent, alors, un monsieur très élégamment vêtu et un valet de pied très correct qui porte une large valise en cuir fauve.
Les deux hommes, ayant posé révolver et pinces-monseigneur, sont affairés à dévaliser consciencieusement l'appartement lorsque le propriétaire des lieux fait irruption sur la scène.
Après avoir téléphoné à la police, il engage avec les cambrioleurs une conversation, très mondaine, entre gens de bonne éducation.....
"Interview", courte farce en un acte, a été représentée pour la première fois, à Paris, sur la scène du Grand-Guignol, le 1er février 1904.
Au lever de rideau, dans une boutique de marchand de vin, Chapuzot, gros, rouge de figure, rince des verres derrière le comptoir tandis qu'une femme, très pauvrement vêtue, abrutie par la misère, sirote un petit verre de trois-six.
On peut lire sur la porte : "Vins et liqueurs extra - 20 centimes".
Un jeune homme de vingt-cinq ans, moustaches blondes, cravate voyante, mélange de gommeux et d'employé de magasin, fait irruption dans le café.
Il est l'interviewer en chef du "Mouvement", le journal le plus littéraire, le mieux informé, le plus répandu...peut-être douze millions de lecteurs ?
L'interviewer est là pour poser des questions sensationnelles. Il est pressé.
Berthelot l'attend à dix heures, le roi des belges à midi.....
Ce recueil est un formidable morceau de théâtre d'opinion.
Il est puissant. Aujourd'hui encore, il est d'avant-garde.
Octave Mirbeau, s'il fait preuve dans son style de beaucoup de finesse et d'élégance, passe comme un rouleau compresseur par dessus les hypocrisies de son époque qui sont pour beaucoup encore celles de la notre.
"Scrupules" est époustouflant. Il est assurément le morceau que j'ai préféré.
Ce recueil, devenu rare et par conséquent assez cher, est heureusement accessible sur "Gallica", la Bibliothèque Numérique Nationale de France.