Carl Gustav Jung nommait « persona » ce masque que l'on porte en société pour se définir aux yeux des autres, répondre aux normes sociales, s'adapter au monde dans lequel on vit. Dans ce premier roman magistral, certainement l'un des plus connus de
Yukio Mishima, l'auteur explore les tréfonds de ses propres fantasmes sexuels et de sa douloureuse « inversion » derrière le masque qu'il s'est contraint à porter. Au sujet de ce récit autobiographique, Mishima confessa l'idée suivante : « écrire cette oeuvre, c'est évidemment mourir à l'être que je suis, mais j'ai aussi l'impression, au fil de l'écriture, de recouvrer peu à peu
ma vie. »
Enfant malingre à la santé fragile, Kôchan découvre au seuil de l'adolescence ses premiers émois sensuels en contemplant les éphèbes des livres d'art, et notamment la figure du saint martyr Sébastien peint par Guido Reni. Ce torse d'une blancheur incomparable percé de flèches, ces bras robustes de centurion ligotés haut à un arbre, et ces yeux grands ouverts emplis d'une paix profonde ancrent dans l'imagination du garçon des images d'une implacable voracité. Nous plongeons alors dans les vertiges intérieurs de Kôchan qui cède avec délice à « ses mauvaises habitudes » tout en invoquant en esprit des scènes d'un sadisme sensuel et troublant. Il est d'ailleurs bouleversant de constater combien les descriptions de ces fantasmes font écho à la mort que Mishima s'infligera le 25 novembre 1970 à l'âge de 45 ans, en se faisant seppuku, suicide rituel par éventration. Une prophétie autoréalisatrice sans aucun doute, l'aboutissement de son fantasme de mort.
Luttant contre lui-même, Kôchan grandit ainsi en portant un masque. Il se met à fréquenter la charmante et naïve Sonoko, pour laquelle il éprouve une étrange attirance cependant dépouillée de l'envie sexuelle, car ses pulsions intimes s'ancrent ailleurs. Jusqu'à quelle mascarade Kôchan est-il prêt dans son illusion de normalité ? Quelles douleurs consentira-t-il à infliger, à soi-même et à l'autre ? Pourra-t-il vivre toujours caché derrière son masque ?