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3,95

sur 876 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
La préméditation semble être une démarche assumée chez Yukio Mishima.

Dans Mishima, ou la vision du vide, Marguerite Yourcenar étudiait au travers de ses oeuvres la longue maturation qui avait conduit Mishima au geste fatal, se donnant la mort par seppuku, plus connu par notre approximation occidentale sous le terme hara-kiri. Elle y faisait la démonstration que cette mise en scène macabre et spectaculaire de son suicide représentait, au terme d'une préparation intellectuelle très processionnelle, le point culminant de son oeuvre : son "chef-d'oeuvre".

Avec le Pavillon d'or on assiste typiquement à cette montée en puissance de l'intensité dramatique qui conduit son narrateur, Mizoguchi, au geste fatal, non contre lui-même cette fois-ci, mais contre la figuration symbolique de la Beauté sur terre que représente à ses yeux le Pavillon d'or. le lecteur extrapolera sans peine à la perte de l'auteur lui-même de ce crime contre la culture religieuse japonaise.

Il y a un fait déclencheur à la folle résolution de Mizoguchi à commettre son acte irréparable. Tsurukawa, son seul ami, disparaît dans un accident. Une "merveilleuse convenance" pour qui veut masquer un suicide. L'ami perdu était la liaison avec le monde, la lumière sur le monde. Toute beauté lui devient obstacle à la vie, vénéneuse. le Pavillon d'or dans lequel il est moine novice perd sa symbolique de pureté éternelle. Il doit devenir ce qu'est la musique : une beauté éphémère. Une beauté qui n'a de persistance que dans la mémoire.

Le Pavillon d'or s'est accaparé l'exclusivité des attentions. Il est devenu un personnage aux yeux de Mizoguchi. Un personnage auquel il attribue la même force de séduction qu'une femme hautement désirable mais dédaigneuse des appétits qu'elle provoque. le Pavillon d'or devient le responsable de ce que Mizoguchi reproche à la vie, à sa vie : sa disgrâce physique, son bégaiement, sa solitude.

Sous les traits de Mizoguchi, Mishima s'expose contre les codes de la société humaine. le normal n'est que convention, que décret humain. Mizoguchi bégaie, il n'est pas normal. Il ne peut s'allier qu'avec des êtres qui souffrent eux aussi d'anormalité. Kashiwagi, le garçon aux pieds-bots. L'anormalité est exclusion. Elle est meurtrière. "Les infirmes, comme les jolies femmes sont las d'être regardés." Mishima qui révèle son homosexualité dans Confession d'un masque connaît bien la torture de celui qui n'appartient pas à ce que la convention générale a institué en normalité. Mizoguchi en arrive à la conclusion qu'il n'existera aux yeux des autres que lorsqu'il aura commis un acte tel qu'il ne pourra plus être ignoré. Fût-ce au prix de sa propre perte. Il préfère l'insulte et la condamnation à la solitude dans laquelle l'a enfermé son handicap. En brulant le Pavillon d'or, il devient le Pavillon d'or. Celui que l'on regardera quand la Beauté ne sera plus que souvenir dans l'esprit de ceux qui l'auront trop admirée.

Il n'est point de sensualité ni de secours dans la fréquentation des autres. Il n'est de sensualité que dans la nature, les matières, les sons, la lumière qui seuls portent les humeurs, la volupté, l'envie, le désir, la Beauté. le Pavillon d'or, insolent de beauté. Une beauté profane à laquelle ne se rattache aucune inspiration divine. Cette beauté est un aveuglement qui forme écran à la vie. Il n'est rien entre la Pavillon d'or et néant.

Incroyable roman dont le style poétique, tout en délicatesse, sert la structuration d'une conviction, d'une intention folle : le crime contre la paix des sages, le crime contre la Beauté. "Vivre et détruire sont synonymes."

A l'instar de Marguerite Yourcenar dans l'ouvrage qu'elle a consacré à cet auteur énigmatique, je n'ai pu m'empêcher de détecter tout au long de ma lecture les indices qui témoigneraient de l'intention néfaste de Mishima contre sa propre personne. le thème de la mort par suicide est certes omniprésent et l'acte fatal contre le Pavillon d'or est une forme de suicide social. Mais que dire de ce passage qui n'a pas pu ne pas attirer l'attention de la célèbre académicienne : "Qui y a-t-il de si affreux dans des entrailles exposées à l'air ? Pourquoi le spectacle du dedans d'un être humain fait-il reculer d'horreur et boucher les yeux ? Pourquoi la vue du sang qui coule donne-t-elle un choc ? Pourquoi les viscères seraient-ils laids ?" Troublant quand on connaît la façon dont Mishima s'est donné la mort.

Bel ouvrage qui bat en brèche toutes les philosophies, tous les dogmes, quand ceux-ci ne parviennent pas à contrer la démarche intellectuelle d'un être froid et calculateur qui s'est assigné un but. Il est plus facile d'aimer les morts que les vivants. Celui qui déplorait ne compter pour rien dans la multitude sans nom n'aura pas accumulé la somme de connaissance qui selon lui peut seule rendre la vie supportable, dans un univers où il n'y a d'intérêt que pour la Beauté. Après c'est et le Néant.

Le Pavillon d'or doit disparaître.
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Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris ;
J'unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d'austères études ;

Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !
Charles Baudelaire – la beauté.

Qui mieux que Baudelaire pour faire raisonner la souffrance que symbolise le pavillon d'or aux yeux de Mizoguchi, le jeune prêtre bouddhiste ?
Parloir ostentatoire du miroir. L'image le dévore et le repousse. Comment en serait-il autrement pour ce mal en être, ce bègue, cet infirme du langage qui n'est pourtant pas informe de tout langage. Cette beauté, cette architecture merveilleuse, est un rappel à l'ordre constant à son propre désordre.
Lui qui s'obstine à se voir en égale distance n'entend qu'une réponse d'injures et de reproches.
Sa laideur n'existe que dans l'éblouissement retentissant de la Beauté. Comme la nuit face au jour. Comme la cendre face au feu. Voilà peut-être la plus frappante illustration de l'intelligence du mal. Détruire, anéantir, pour espérer renaître. Et sous la plume flamboyante de Mishima cela devient terrifiant. Sublimement simple et véritablement terrifiant. Voilà la folie destructrice d'un fanatisme narcissique. Tant que la beauté se dressera, la laideur rampera. Tant que la beauté éclatera, la laideur bafouillera. La laideur reste impuissante, quoiqu'elle tente elle restera insuffisante. Et c'est avec une incroyable délicatesse que Mishima tresse et détresse cette ode poétique qui s'enroule et se resserre autour de l'âme du jeune prête. Volupté, perversité, lèchent les portes du pavillon d'or jusqu'à son embrasement. Entre les mains de Mishima douleur, plaisir et destruction s'entremêlent et brûlent comme du souffre.
Une écriture étincelante comme la lame d'un sabre.

Astrid Shriqui Garain
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Comment écririez-vous une estampe japonaise ? J'ai bien dit, écrire. Ce roman extraordinaire dessine, chapitre après chapitre, de véritables images chargées d'émotions et de couleurs raffinées. C'est une oeuvre délicate qui parle de l'âme tourmentée d'un jeune homme abandonné et marginalisé à cause de son bégaiement. Devant le temple d'or, il se consume jusqu'à perdre la raison.
Basée sur une histoire vraie, l'incarnation romanesque de l'acte effroyable de l'incendie de ce temple emblématique de Kyoto donne la chair de poule. Un petit bijou de la littérature japonaise.
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Mishima se projette complètement dans le jeune bonze incendiaire. le récit à la première personne permet de développer méticuleusement les étapes, les rencontres cruciales, les frustrations et les questionnements. On retrouve l'obsession de la beauté, de sa définition changeante et de son caractère éphémère, intimement lié à la destruction. Mishima ne juge pas. À partir des faits qu'il a réunis à la façon d'un enquêteur, il devient lui-même l'admirateur du pavillon d'or, le garçon laid, bègue, qui se hait. Cette capacité d'empathie et de projection est assurément un des traits communs aux grands auteurs.
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Un livre qui m'a complètement fasciné et envoûté par sa beauté troublante et mortifère. Il me hante encore et je suis frustré de ne pas avoir plus de connaissances en matière de culture japonaise car on sent notamment l'influence très importante du shintoïsme et du bouddhisme zen dans cette fable initiatique qui s'interroge sur les liens entre la beauté, la mort et la perversité. Cela tient à la fois du traité de philosophie (on pourrait l'appeler "La beauté et le néant") et du plus pur roman dont les descriptions de la nature et des états d'âme sont d'une rare puissance tout en restant sobres et somptueuses. Un peu à l'image de ce pavillon d'or, hiératique, solaire et crépusculaire en même temps. Et ce qui est magique c'est qu'il arrive à rendre intensément vibrant ce qui pourrait sembler trop théorique ou abstrait. Car il raconte en même temps un fait divers et l'histoire d'un homme qui s'interroge sur le sens de son existence. On peut y trouver des échos aux romans de Dostoïevski dans la mesure où il reprend certains questionnements de Dmitri dans les frères Karamazov concernant la terreur que lui inspire la beauté ou le vertige existentiel de Raskolnikov dans Crime et châtiment. Il peut se lire à différents niveaux suivant qu'on l'envisage de façon psychanalytique, théologique, esthétique, symbolique... On peut aussi le lire comme une très belle histoire douloureuse d'un jeune homme souffrant de sa laideur et de son handicap qui est révolté et terrassé par la beauté insultante du monde qu'incarne le pavillon d'or. Il lui faut bien développer une haine paranoïaque toute puissante pour devenir plus fort que lui et le détruire. Ce qui revient à un suicide finalement.

Sur son parcours Mizoguchi est guidé par deux personnages symboliques que sont Tsurukawa et Kashiwagi. Sortes d'Apollon et de Dionyos qui lui montrent un chemin entre tradition et modernité, bien et mal, maîtrise et jouissance, bonté et perversité. On le voit hésiter, basculer, s'auto-détruire en brûlant le temple. Les échanges qu'il a avec eux sont fabuleux. L'érotisme y est aussi à la fois magnétique et pervers comme si la proximité immédiate du temple générait une aura maléfique et contagieuse.

J'aime énormément ce récit dont la concision, la densité et la beauté d'écriture permettent de découvrir une nature et des lieux à la fois exotiques et intemporels. Les saisons passent, le voyage en train nous conduit sur les traces de son enfance, les joutes oratoires avec Kashiwagi sont extrêmement troublantes dans leur fascination maléfique et vitale. Il y a une grande souffrance qui se consume au contact de ce pavillon solaire absolument maléfique et indifférent. Comme la vie elle-même dans sa dualité et ses énigmes morales et existentielles ou comme une divinité intransigeante. Ce roman est d'une beauté subjuguante.
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« le Pavillon d'Or » peut être considéré comme un chef d'oeuvre de la littérature.

Mishima y dévoile son approche du Beau qui doit être par essence éphémère comme par exemple dans la musique.

La beauté absolue, inaltérable, parfaite, doublée de la dimension religieuse du Pavillon d'Or recèle un coté inhumain, insupportable pour le jeune prêtre lui même si imparfait dans son enveloppe charnelle.

En s'engageant sur la voie de la perversion, de la profanation et de la transgression, Mizoguchi découvre une nouvelle forme de plaisir liée à l'irrésistible pouvoir attractif du Mal.

En décidant d'accomplir cet acte profanateur d'une si grande puissance, comparable à un déicide, il accède alors à une inaccessible sensation nirvana qui vient donner un sens à sa vie.

Sur la forme, Mishima est ici également au sommet de son art.

La description de ce Japon d'après guerre, meurtri, humilié par la puissance conquérante de l'Amérique victorieuse est formidablement illustrée par l'incident du robuste soldat américain qui oblige Mizoguchi à piétiner pour son plaisir sa compagne japonaise.

Comme toujours Mishima excelle dans les descriptions poétiques de paysages ou les scènes à haute teneur érotique comme celle ou lors d'un curieux rituel une jeune femme à la poitrine opulente fait jaillir son lait dans la tasse de café noir d'un jeune lieutenant en tenue militaire.

En signant cette oeuvre mettant en exergue la part la plus trouble et ténébreuse de l'âme humaine, Mishima accède donc pour moi au statut d'écrivain culte.
Lien : https://lediscoursdharnois.b..
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Mishima se glisse dans la peau du jeune Mizoguchi, ce moine bouddhiste qui a volontairement incendié le temple du Pavillon d'or de Kyôto, considéré comme trésor national.
Pourquoi un tel acte criminel ? Qu'elles en sont les motivations profondes ?
Basé sur des faits réels, Mishima retrace le parcours personnel de ce moine, dans un dispositif narratif qui tient à la fois d'un compte à rebours de type 24 heures chrono que d'une méditation poétique. Frappé d'handicaps physiques, Mizoguchi est, dans un premier temps, subjugué par la beauté du temple qu'il ne connaît pas encore. le lecteur est alors plongé dans la psyché du jeune novice qui passe successivement de la déception à l'obsession puis à la folie alors que sa situation au sein du temple bascule de l‘intégration au rejet.
Située en 1950, l'intrigue évoque également la réalité et la psyché d'un Japon, vaincu après la Seconde guerre mondiale, qui a du mal à se relever de ses cendres.
Tous ces éléments concourent à une belle et ensorcelante réflexion sur la force de séduction de la beauté mais celle encore plus puissante du mal, l'aspiration à une liberté individuelle face à une société corsetée ou encore la difficulté de trouver sa voie entre normalité et folie.
Des thèmes qui, de prime abord, semblent lourds à porter mais la grâce de l'écriture de Mishima fait de ce Pavillon d'or un chef d'oeuvre d'élégance qui reste longtemps dans la mémoire.
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De tous les romans que j'ai pu lire de Yukio Mishima, il y en a un qui sort clairement du lot. C'est « Le Pavillon d'Or » dont l'histoire reprend ce fait divers qui s'est déroulé en 1950. Un jeune moine bouddhiste avait mis le feu au Kinkaku-ji, un des plus beau temple du Pays du Soleil Levant.


Du pain béni pour Mishima qui s'est emparé de cet événement afin de tisser une intrigue autour de ce jeune moine pyromane. Rédigé à la première personne, « Le pavillon d'or » nous plonge dans l'esprit et l'âme torturés du futur criminel, de son entrée au temple jusqu'à l'immolation du bâtiment. Cette vue subjective permet à Mishima, habitué à un style quasi-autobiogaphique, de développer la psychologie de son personnage. L'auteur met d'ailleurs beaucoup de lui-même dans ce jeune bonze et on retrouve les thèmes chers à l'auteur comme le rapport à la chair, la beauté, la mort, la destruction, les déviances,... le lecteur assidu de l'oeuvre de Mishima n'est guère dépaysé. Pourtant, rarement l'auteur nous aura autant embarqué dans la noirceur d'une âme, autant secoué, autant interrogé que dans ce roman. L'écrivain japonais dévoile en plus un style, une qualité d'écriture incroyable, poétique. Il signe ici son chef-d'oeuvre. Tout « simplement ».


Certains livres apportent plus qu'un simple moment de lecture. Certains livres se vivent comme des expériences et « Le pavillon d'or » est un de ceux-là.
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Voilà un roman lourd de sens. Il nous conte en effet l'histoire d'une jeune moine bouddhiste, pauvre et bégue qui entre comme moine dans un temple bouddhiste appelé "Le pavillon d'or", qui devient à ses yeux un absolu d'esthétisme.

Notre personnage devient peu à peu obsédé par ce pavillon auquel il finira par mettre le feu.

tout le jeun de l'auteur consiste à nous permettre de suivre le cheminement psychologique de cet anti-héros, qui alourdi de ses handicaps est le négatif de ce temple qui incarne la beauté.

Dans son obsession, le pouvoir s'inverse : ce n'est plus le beauté qui subjugue l'univers mais la laideur et la difformité qui en viennent à dominer la beauté comme en témoigne la citation suivante : « Un jour, tu subiras ma loi ! Oui, pour que tu ne te mettes plus en travers de ma route, un jour, coûte que coûte, je serai ton maître ! »

On retrouve dans ce roman la force de l'écriture parfois dérangeante de Mishima autour des thèmes qu'il affectionne comme l'impermanence du monde.
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Récit fictif de l'incendie d'un temple de Kyōto par un acolyte bouddhiste perturbé en 1950, le roman reflète les préoccupations de Mishima pour la beauté et la mort.

Le narrateur, Mizoguchi, un jeune acolyte zen, est aliéné du monde qui l'entoure ; né physiquement peu attrayant et fragile et dans une sombre pauvreté, il bégaie beaucoup et se tient à l'écart des autres. Ses sentiments obsessionnels pour le Temple d'Or varient de la déception au respect en passant par l'identification à la structure. Mizoguchi ressemble à d'autres héros tourmentés de Mishima qui deviennent obsédés par des idéaux inaccessibles : réalisant le profond manque de beauté de sa propre vie, il décide de détruire le temple.
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