Publié aux Etats-Unis en 2016 et traduit en 2019, "La culture de la croissance, les origines de l'économie moderne" est la plus récente pierre apportée par
Joël Mokyr à l'édifice des explications de la Révolution industrielle. Il y souligne l'importance de la République des Lettres, institution spontanée et informelle qui, en Europe, au XVIème et XVIIème siècles, a fait naître puis partager l'idée que réunir et diffuser un "savoir utile" était la clé du progrès matériel. Il y a là, soutient-il, "le chaînon manquant reliant deux groupes de travaux : d'un côté, la littérature croissante qui voit dans les institutions la différence centrale entre les économies qui réussissent et les économies qui réussissent moins ; de l'autre, la littérature qui insiste sur l'importance de la technologie et de l'innovation aux origines de la Révolution industrielle et dans la génération d'une croissance économique durable."
La thèse, nuancée et très fouillée, est développée au confluent de l'histoire économique, de l'histoire des sciences et des techniques et de l'histoire tout court, ainsi que de la sociologie, de la psychologie et des sciences politiques, convergences qui la rend d'autant plus intéressante. J'ai essayé de l'illustrer par les citations que je joins.
En marge du thème principal, j'ai été particulèrement intéressé par l'application, mutatis mutandis, à l'évolution des cultures nationales, de la théorie de l'évolution, avec comme ressort sous-jacent "un marché des idées" analysé avec des concepts empruntés à la théorie économique. Il y a là de quoi aider à penser les évolutions du monde actuel.
Mais, pour tout dire, si j'ai fait de belles découvertes à la lecture de l'ouvrage, cela n'a pas été sans effort. le lecteur non-spécialiste que je suis a rêvé plusieurs fois d'une édition en 120 pages, au lieu de 500, qui ne ferait état que des réflexions de
Joël Mokyr. En effet, l'inventaire des théses de ceux, fort nombreux, qui ont déjà écrit sur le sujet donne lieu à de longues pages qui font penser à des notices Wikipedia (encyclopédie fort estimable au demeurant), juxtaposant des affirmations plus ou moins convergentes justifiées par la référence en bas de page des ouvrages correspondants. En outre, comme presque toujours dans les ouvrages américains, il y a beaucoup de redites. Enfin, j'ai trouvé le style lourd et ampoulé, avec des formulations parfois peu claires, peut-être aggravées par la traduction.