Dans ma PAL constituée de bric et de broc glanés au hasard de brocantes ou de trocs sur internet, je découvre parfois quelques pépites. "Madame Roman", livre édité pour la première fois en 1957 a été vraiment une bonne pioche.
C'est une critique récemment postée sur Babelio qui m'a fait redécouvrir Thyde Monnier, qui restait pour moi celle qui avait écrit la saga sentimentale "Les Desmichels", mais je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans...
Clarisse Roman, 85 ans, descend tous les jours à son cabanon, regarder pousser les quelques légumes de son jardin. Mais voilà qu'aujourd'hui, l'aïguadier (l'homme chargé de distribuer l'eau communale) qu'elle connaît bien est accompagné d'un jeune homme revenu vivre au pays. La vue de cet Hugues Simonin, fils de l'Alfred et de la Ninette Simonin, autrefois ses amis, va réveiller les souvenirs de Clarisse et la vieille dame va confier au lecteur les évènements heureux et malheureux qui ont constitué sa vie : petite fille née de père inconnu, épouse de Cyprien le beau facteur, mère de trois enfants aujourd'hui décédés. C'est l'occasion également pour celle qui devine que sa fin est proche de faire le bilan, à travers des réflexions savoureuses sur le sens de l'existence.
Clarisse, elle a le parler vrai et fleuri du Midi. Après un petit temps d'adaptation, c'est un livre plein de poésie et de bon sens, qu'on lit "avé l'assent". Pourtant dès le début de la confession, on devine qu'un évènement dramatique a marqué sa vie. Derrière cette existence simple et bien remplie aux yeux de tous ceux qui l'ont croisée, Clarisse porte un lourd secret et la culpabilité d'un acte qu'elle n'a pas commis. Cette lecture qui mérite le 20/20, fut une parenthèse enchantée au coeur de l'été grâce à l'écriture de Thyde Monnier, véritable Pagnol au féminin, qui mêle avec art le drame et l'humour.
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Une vieille dame, Clarissse Roman, nous raconte avec ses mots à elle, le drame qui a bouleversé sa vie. Une vie à l'apparence si simple, dans un village provençal au début du 20e siècle, une vie de labeur, traversée de joies mais empoisonnée par une tragédie.
Mariée jeune à un homme qu'elle aime, Cyprien le facteur, ils ont trois enfants qui partiront tous et mourront avant eux. Ils se retrouvent seuls à cinquante ans, occupés aux travaux du jardin, elle au ménage, lui à son emploi à la poste, jusqu'au jour où vient à mourir la fillette d'un voisin, retrouvée étranglée dans un ruisseau...
Et Cyprien sombre peu à peu dans la folie. La veille de mourir, il confie le fardeau de sa culpabilité à sa femme qui s'en serait bien passé. Malheur qu'elle ruminera jusqu'à la fin de ses jours.
C'est cette descente aux enfers qu'elle nous confie, sans indulgence pour le coupable mais sans haine non plus, ni complice ni juge, simplement anéantie mais digne. Une confession entrecoupée de considérations savoureuses sur la vie de tous les jours, sa vie à elle, la vie des femmes de cette époque, le temps qui passe, le cycle des saisons...
Un très beau texte rythmé par la langue de cette paysanne simple qui explore le coeur des choses, le sens de la vie, la raison d'être des hommes sur cette terre. Clarissse a perdu ses enfants, n'a pas eu de petits-enfants, son mari et sa plus chère amie sont morts. Sa vie semble s'arrêter, n'avoir servi à rien et pourtant. La fin laisse entrer un rayon d'espoir, un apaisement, une réponse. Un équilibre est rétabli, du chaos renaîtra une existence nouvelle.
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Un auteur que je connaissais uniquement de nom, spécialiste en régionalisme et semble-t-il tombée en désuétude. Un livre très bien écrit, qui est un recueil des pensées les plus intimes d'une très vieille dame, sa confession aussi... Les mots sont simples, le vocabulaire est celui d'une Provençale du début du vingtième siècle. le livre est pesant car l'histoire est particulièrement sordide, et la narratrice, simple paysanne, n'a pas été épargnée par la vie... jusqu'à devoir supporter une confession insoutenable qui la marquera au fer rouge jusqu'à son dernier jour. Je ne pensais pas découvrir un tel roman, dont je déconseille la lecture à des personnes un peu déprimées. Un livre difficile à oublier, car porteur de bien des drames et tragédies.
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Combien y a d'années que plus personne m'a appelée Clarisse ? Depuis que Cyprien est mort. Mais y avait déjà trente ans qu'il me disait "Maman", pareil que les enfants. Y a rien que quand on est jeune qu'on a un prénom. Et même d'abord, on l'a pas. On est "Bébé" ou "la petite" ; plus grande, à l'école, j'ai été "Clarisse Barges", puis "Clarisse Roman", puis "la mère", puis "la grand-mère", puis plus rien puisqu'ils sont tous partis, qu'ils sont tous morts. Maintenant je suis madame Roman pour tout le monde. Je m'appelle madame Roman. Pas plus.
Quand on prend de l'âge, on perd son prénom, on perd ses dents, on perd ses yeux, on perd le brillant du visage, on perd le sang de ses lèvres, tout ce qui vous rendait belle à vingt ans. Et les gens alors, qui parlent de vous, y disent : "La vieille", pas plus. Et il faut accepter l'humiliation ou aller au cimetière.
Pour me souvenir d'un moment de ma vie où j'ai été tranquille, y faut que je remonte loin, à cette époque où, toute petite, ronde et toujours éclatante de rire, je ne me souciais pas que ma mère soye veuve et qu'elle s'esquinte la vue à faire des points l'un après l'autre dans la soie, le coton ou la laine. Trois, quatre, cinq ans... Jusqu'à ce que la connaissance pénètre dans le cerveau. La première fois que j'ai pleuré pour autre chose que le caprice d'un jouet ou d'une promenade, ça été quand une collègue de l'école m'a demandé de mon papa et que j'ai dit, d'après ma mère :
- Mon papa, il est mort à Valence.
Elle a répliqué :
- Ton papa, tu en as jamais eu!
C'est bien bête d'aimer ! Y faudrait qu'on vous corrige de ça à coups de pied quand on est petit, comme on fait à l'âne qui veut pas prendre le bon chemin. Ça me fait penser que nous en avions un, d'âne, autrefois. A peine que je l'avais chargé des couffins de légumes tout frais, tout beaux, cet imbécile y se laissait tomber sur son côté de ventre et y se roulait dans la poussière... Mes pauvres salades ! Mes pauvres artichauts ! Eh ben, quand on aime trop les gens, c'est pareil, tu leur confies tes paniers de ce que tu as de mieux, ton temps, ton cœur, ton dévouement et y te foutent tout par terre, dans la pierraille et tout ton meilleur bien est gâté. Cette manie d'aimer, je m'en suis rendu compte en vieillissant, mes pauvres amis elle vous en fait faire, de ces bêtises qu'après vous les payez cher !
La température, dans notre Midi, elle est guère stable, tu as de ces régions du Nord où il te pleut dessus, chinchérin-chinchérin pendant des semaines entières. Même à Paris on raconte, que moi j'y suis jamais allée, qu'y a une pluie que pour ainsi dire tu t'en aperçois pas, tu la sens pas, tu sors sans prendre le parapluie parce que le ciel, ça dure des mois qu'il est gris la même chose et puis tu vois que tu es toute mouillée : les épaules, les jambes, les pieds. C'est comme ça. Nous ici, non. Ou y pleut ou y fait beau. Mais alors s'y pleut, ça tombe à rage, pareil qu'avec des seaux ! Ça noie les plantes, ça emporte les semis, ça dévaste les jardins et ça tire au sol les branches des arbres. Y a la grêle, y a le tonnerre ! Pendant l'hiver j'en ai vu de ces orages, gronder tandis que la neige tombait... Oui, c'est drôle, c'est un pays, notre Provence, que même les choses de la nature elles ont trop de passion.
Cinq qu'on a été au commencement puis on n'est plus qu'un . Plus qu'une je veux dire. Pas même ton mari. Et c'est là que tu te rends compte que tu laisseras pas plus de traces que la salade que tu en as semé la graine, que tu l'as repiquée, fulée, arrosée, soignée et puis que tu l'as coupée en morceaux, que tu l'as mangée et qu'elle existe plus.
Dans le cadre du banquet d'automne "Le travail de la langue" qui s'est déroulé à Lagrasse du 29 au 31 octobre 2016, David Bosc, tenait la conférence : "Il faut un frère cruel au langage".
David Bosc né en 1973 à Carcassonne, est écrivain et traducteur de l'italien et l'anglais. Il suit des études supérieures en sciences politiques à Aix-en-Provence. Il vit ensuite à Paris, Marseille et Varsovie, avant de s'installer en Suisse, à Lausanne, où il travaille aujourd'hui pour les Éd. Noir sur Blanc. Il a publié deux romans chez Allia (Milo et Sang lié) et deux récits aux Éd. Verdier : La Claire Fontaine (rééd. Verdier poche, 2016), Prix Thyde Monnier de la SGDL 2013 et Mourir et puis sauter sur son cheval, qui reçoit le Prix Michel Dentan 2016. « Après avoir transfiguré les derniers jours de Gustave Courbet, D. Bosc donne voix à une jeune femme défenestrée, danseuse aussi ardente que tourmentée. Encore une fois un texte de peintre.» (Camille Thomine, le Magazine littéraire, mars 2016).
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