AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,8

sur 294 notes
5
8 avis
4
21 avis
3
5 avis
2
0 avis
1
3 avis
Avec ce premier roman Les Jeunes filles, je commence ce cycle de quatre livres, autour du personnage principal, Pierre Costals, écrivain dont j'hésite à dire qu'il serait un double ou porte-parole de l'auteur. Les propos sont d'une rare misogynie, mais pourtant dénués de malveillance : le personnage de Costals n'est pas à l'honneur pour autant. le maître mot est "lucidité", et c'est ce qui rend ce roman sympathique, bien que le discours masculiniste y soit résolument de mise. Je ne suis du reste pas surprise, en lisant la biographie de l'auteur.

De quoi est-il question ? L'auteur parisien Pierre Costals entretient deux relations épistolaires dans ce roman avec deux jeunes filles, ou femmes : Thérèse Pantevin et Andrée Hacquebaut ; il passe toutefois la majeure partie de son temps à ne pas répondre à leurs lettres enflammées, et mène ses propres affaires sentimentales, sans se gêner plus que ça. Thérèse n'existe que par les lettres, elle a une nette tendance à une forme de masochisme mystique et Costals l'enjoint de se consacrer à Dieu. Andrée est un peu plus proche de lui, elle vient parfois à Paris et le rencontre, ils ont une relation amicale qu'elle voudrait trouble, alors qu'il s'évertue à lui prouver qu'il ne l'aime pas.

Les personnages féminins sont cliniquement décrits, même si par certains aspects, les émois d'Andrée peuvent être touchants : on sent bien qu'elle s'est trop engagée affectivement dans cette relation pourtant unilatérale pour renoncer, car elle perdrait trop. Quatre ans durant, elle a cherché à le convaincre qu'elle ferait son bonheur, voire qu'il l'aime sans s'en rendre compte, et lui de son côté a tenté de repousser les avances de la jeune femme, principalement parce qu'il ne la trouve pas belle et ne la désire pas.

Le problème moral posé est en soi passionnant : est-il cruel en refusant une liaison qui ne le tente pas, alors même que lorsqu'il essaie d'être le plus clair possible sans la blesser, elle ne veut pas l'entendre, et continue de plus belle à faire le siège, allant jusqu'à s'offrir de façon gênante ? S'il était vraiment un sale type, ne profiterait-il pas d'elle pour la laisser ensuite ? le fait que ces échanges soient évoqués sous forme de lettres, intercalées avec des chapitres narratifs, est divertissant, je me suis laissé prendre à leur histoire, et même si j'avais fortement envie de secouer Andrée, je me suis demandé si elle n'allait pas finir par avoir gain de cause...

Costals montre un autre visage de lui-même lorsqu'il rencontre Solange Dandillot, une jeune fille envers qui il se sent violemment attiré, bien qu'il ne partage rien intellectuellement avec elle, au contraire d'Andrée. Pourtant, ils sont subjugués l'un par l'autre, même s'il garde la main et la contrôle sans vraiment la comprendre ; leurs premiers rendez-vous font des étincelles.

C'est finalement un personnage complexe que Costals, père célibataire, amant épisodique fidèle à ses "amies" et généreux, écrivain qui veut préserver sa paix et sa liberté, mais aussi misanthrope souvent écoeuré par les travers de ses semblables. A travers la quête de jouissance de Costals, mais aussi son observation lucide des caractères qui l'entourent, Montherlant dévoile qu'il est autant romancier que moraliste. C'est finalement un roman d'une forme un peu datée, mais intelligent, souvent drôle car empreint d'un humour caustique, qui me plaît suffisamment pour me tourner vers la suite.
Commenter  J’apprécie          222
Rien de plus cruel n'a été écrit sur les jeunes filles, leurs doutes, et leurs amours déçues. Dans ce roman mi-épistolaire (certains passages sont des instants de narration), premier tome de son cycle « les jeunes filles », Henry de Montherlant met en scène Pierre Costals, écrivain à succès, courtisé par plusieurs admiratrices trentenaires célibataires (à l'époque davantage « vieilles filles », que « jeunes filles ») dont il ne cesse de se jouer ou de rejeter. Parfois abjecte, parfois cinglant, un roman dérangeant mais savoureux des années 30, dont la trame de fond reste finalement très moderne sur certains aspects des rapports amoureux, de ceux qui aiment et de ceux qui rejettent.
Hâte de lire les tomes suivants…!

Retrouvez mes critiques littéraires sur mon compte Instagram @la_librayrie
Commenter  J’apprécie          42
Peut-on séparer le blanc du jaune sans tout monter en neige ?

Disons-le d'emblée, et parce que sa réputation précède l'ouvrage : oui c'est une lecture malaisante, mais parce que son auteur, Montherlant est un écrivain malaisant, pour un tas de raisons.

Oeuvre de friction. Dans cet ouvrage, on ne peut s'empêcher, depuis sa parution d'ailleurs, d'y voir le point de vue de l'auteur. Pourquoi n'admet on pas qu'il puisse s'agir simplement d'une oeuvre de fiction ? Et, à l'inverse, pourquoi le fait pour l'auteur et ses défenseurs de se cacher derrière l'alibi, la licence littéraire n'a jamais convaincu ?

Montherlant a, toute sa vie, suscité la polémique, son oeuvre jugée géniale par certains et surfaite par d'autres, ses pièces de théâtre, autrefois à succès, semblent aujourd'hui oubliées et ce qui fait sa discrète postérité est cette série de romans “les Jeunes Filles”.

Le personnage d'anti-héros de Pierre Costals est un séducteur méprisant, suffisant, qui entretient des correspondances avec plusieurs jeunes femmes totalement raides de lui. le roman est d'ailleurs en grande partie épistolaire, ce qui est à porter au crédit de l'oeuvre. le lecteur est ainsi témoin de ce courrier des fans où les déclarations les plus enflammées se heurtent au silence, au dédain, et aux outrances misogynes d'un personnage qui croit avoir tout compris.

Certes Costals avec honnêteté décourage, tente de dégriser les élans de ses admiratrices, mais d'autre part il joue aussi avec les sentiments de Solange et la manipule pour arriver à ses fins, sachant très bien où finira l'affaire : “c'était ce menton un peu lourd qui lui permettrait un jour de la quitter le coeur léger.”

Cependant Costals a des idées arrêtées sur tout, cela parfois avec la complicité du narrateur (suivez mon regard). Surtout, Costals se trompe en essentialisant l'état amoureux, et en le rattachant à un sexe ou l'autre. Par exemple, à Andrée qui écrit “vous ne savez pas ce que c'est que la volonté d'une femme”, Pierre Costals répond : “je vous mets en garde, aussi, contre votre croyance au pouvoir du désir et de la volonté. Vous savez mon opinion sur la maladresse des femmes : une de ces maladresses me paraît être leur foi dans l'efficacité de l'insistance.”

Or, l'état amoureux n'a pas de sexe. On peut avoir bien sûr, avec toute la nuance requise, une discussion sociologique, historique, culturelle sur le conditionnement des genres, sur le rose et le bleu, les poupées et les camions etc, ce que d'ailleurs reconnaissons-le, Montherlant n'ignore pas, faisant parfois allusion aux problèmes liés à l'éducation des femmes et à leur place dans la société des années trente, regrettant que celle ci ne permette pas leur émancipation, notamment vis à vis des hommes.

Pourtant on ne peut pas réduire à une dimension sexuée les comportements amoureux. Dans le reproche adressé par Costals dans la citation plus haut, il n'y a pas de stigmate spécifique à un genre ou à l'autre dans “efficacité de l'insistance” me semble-t-il, les hommes ne sont pas en reste dans ce domaine. Et cela, je crois, Roland Barthes, lorsqu'il livra Fragments d'un discours amoureux, l'avait bien compris, chacune et chacun se retrouve dans les tourments, les élans de la passion, indifféremment du genre. Barthes, qui au demeurant n'était pas tendre avec Montherlant, jugeant notamment : «Je relisais précisément ces jours-ci une oeuvre bien “littéraire” : La Reine morte : texte anachronique, bouffon de pose littéraire, singeant le classique comme un film de Sacha Guitry la Révolution».

Les “portraits de femmes” ne sont finalement pas si caricaturaux. Je veux dire qu'elles n'ont pas à rougir d'être amoureuses et qu'elles font preuve d'une introspection souvent lucide, toujours exigeante et intelligente, notamment Andrée, le véritable souffre-douleur du personnage principal. Consciemment ou malgré lui, Henry de Montherlant démiurge est derrière chacun de ses personnages féminins et peut-être malgré lui, leur fait honneur aussi. Alors certes on a parfois envie de secouer Andrée, de lui dire “lâche l'affaire” pour autant, ai-je envie de dire, minute papillon ! Il faut parfois passer par chaque étape d'une passion, et la colère, l'illusion, le déni, se mentir à soi-même, s'accrocher, se fabriquer un peu d'espoir et mal interpréter certains gestes, certaines paroles, sont aussi des passages, sinon obligés, du moins qu'on peut tous comprendre, parce que c'est trop tôt pour renoncer, parce qu'on a rien d'autre à quoi s'accrocher, parce qu'une chimie secrète se forme dans notre cerveau reptilien et qu'il faut laisser décanter tout ça etc…

Mais de là à théoriser, comme le fit en d'autres occasions Montherlant, sur une faiblesse congénitale, un péril civilisationnel ou l'avènement d'une société de “midinettes” qui “émascule la France”, on préférera croire à la mauvaise foi plutôt qu'à la crédulité, pour ne pas insulter l'intelligence d'un auteur qui s'est assez fourvoyé lui-même dans des écrits jugés collaborateurs, après la victoire de l'Allemagne nazie en 1940…

Les écrivaines elles-mêmes semblent en désaccord sur l'appréciation de cet ouvrage, dans le Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir est intraitable sur la misogynie de l'auteur des Jeunes Filles, de leur coté Marguerite Yourcenar ou encore Amélie Nothomb saluent le génie littéraire.

Sur l'oeuvre littéraire, intrinsèquement, d'abord le style est très bon, l'écrivain ne manque pas d'humour ; par exemple une scène d'anthologie au cours de laquelle Montherlant se moque du public bourgeois assistant à un concert de musique classique, portant sur la société galante parisienne de son époque un regard souvent juste mais cynique. Ainsi, il vilipende les moeurs de son temps, le mariage, la famille et son obligation procréatrice qu'il juge très sévèrement : “c'est toujours la même chose. Faire des enfants, puis ne savoir qu'en faire.”

Néanmoins, on ne peut pas s'empêcher de lire aussi cette oeuvre à la lumière de la biographie de l'écrivain (c'est le moment #balancetonporc) car lorsqu'on constate cette acerbité envers les femmes on s'interroge, est-ce qu'elle peut être le reflet de ses propres peurs ? Quand on a peur on peut vite détester, rabaisser, pour tenter vainement de garder le dessus sur des injonctions sociales qu'on ne peut honorer. Montherlant en effet a fuit, jusqu'à son suicide en 1972, à la fois le mariage et la paternité, est-ce uniquement la marque d'un désir absolu de liberté ? Si l'on en croit les confidences indiscrètes de son ami l'encombrant Roger Peyrefitte (qui rappelait à un Jean d'Ormesson exaspéré leurs aventures en Thaïlande en direct sur le plateau de Bernard Pivot), l'académicien français, que ses biographes ont présenté à demi mot comme homosexuel, avait en fait des pulsions pédérastiques qui n'avaient hélas pour ses victimes, rien d'inassouvies, cela lui en aurait même coûté un oeil ; il entretint du reste, des rapports étroits avec un certain Gabriel Matzneff… J'en veux pour preuve cette citation pour le moins étrange dans le bouquin : “J'ai mis ange au féminin. En effet, puisque les anges sont de purs esprits, je ne vois pas pourquoi on les représenterait exclusivement sous forme mâle, sinon pour satisfaire la pédérastie inavouée du genre humain.” du “genre humain”, ben voyons, c'est celui qui dit qui est… Montherlant essayerait-il de se dédouaner de ses propres penchants pédo-criminels en les attribuant au “genre humain” tout entier ?

Il n'en reste pas moins, pour conclure, que l'auteur provocateur a bien du, face à la persistance de la critique sur son livre, se défendre en expliquant “c'est un livre composé de gags à la Charlot, un livre comique, au second degré, ce que le public n'a peut-être pas vu.” L'auteur disait encore «la recette la plus sûre pour faire une oeuvre de valeur, c'est de recueillir sur le papier, tout chaud, ce qui gicle de vous” … peut-être bien, mais l'envie de poursuivre cette saga avec des opus aux titres, plus lourdeaux que finement ironiques, tels que “Le Démon du bien”, “Les Lépreuses” ou encore “Pitié pour les Femmes” ne me démange pas vraiment.

Cette critique restera t-elle, comme les nombreuses lettres d'Andrée à Pierre Costals, “sans réponse” ? Qu'en pensez-vous ?
Commenter  J’apprécie          8310
Les Jeunes Filles /Henry de Montherlant de l'Académie Française/ (1895-1972)
de son nom complet Henry Marie Joseph Frédéric Expedite Million de Montherlant, l'auteur célèbre de ce premier tome d'une série de quatre romans met en scène un écrivain célèbre, Pierre Costals, qui dans les années 1925 connaît un grand succès littéraire, notamment auprès des femmes. Réputé, il reçoit un immense courrier féminin passionné, aussi bien de jeunes filles que de jeunes femmes plus très jeunes. L'une d'entre elle, Thérèse, est assidue et lui adresse des lettres enflammées avec un arrière goût de péché, dévote qu'elle est. Une autre lectrice, Andrée, la trentaine, est une intellectuelle qui souhaite rencontrer Costals à Paris où elle se rend de temps à autres. Costals répond rarement à toutes ces lettres et quand il le fait c'est pour exprimer son dédain de la gente féminine sinon sa misogynie, sauf si leur beauté l'emporte sur leur intelligence et qu'elles sont des filles faciles.
Ainsi Costals, personnage cynique, nous apparaît sous un jour inquiétant et nous est odieux, notamment lorsqu'il évoque les petites annonces matrimoniales, pour lui un rouage social de première importance, toutefois un peu ridicule souvent dans le libellé. Dans ses réponses au courrier d'admiratrices, il concède qu'il ne fait pas bon de l'aimer, car sitôt qu'il se rend compte que quelqu'une tient à lui, il est déconcerté et ennuyé et passe sur le mode défensif, car pour lui être aimé plus qu'on aime est une des croix de la vie, parce que cela contraint soit à feindre un sentiment de retour qu'on n'éprouve pas, soit à faire souffrir par sa froideur et ses rebuts. « Ma tête serait mise à prix, que je me sentirais plus en sécurité dans le maquis, comme une bête traquée que réfugié chez une femme qui m'aime d'amour. » Quant au mariage et tout ce qui l'entoure, pour Costals c'est sans conteste possible la pire des niaiseries dans la vie d'un être humain !
le cynisme provocateur de Costals atteint des sommets quand il ose écrire : « Les jeunes filles sont comme ces chiens abandonnés que vous ne pouvez regarder avec un peu de bienveillance sans qu'ils croient que vous les appelez, que vous allez les recueillir, et sans qu'ils vous mettent en frétillant les pattes sur le pantalon. » Ou encore : « Je n'ai jamais trouvé les deux ensemble chez une femme : intelligence et beauté… » Finalement, Costals garde toujours ses distances en amour, en versant tour à tour presque ensemble le poison et le remède, de façon assez savante pour que la femme ne soit ni tuée par le poison, ni guérie tout à fait par le remède avec pour effet dominant sa souffrance. Plus Costals se fait insaisissable plus ses admiratrices se prennent au piège de l'amour, se débattant dans les affres de l'incertitude.
Les moeurs de l'époque, 1925, était souvent ainsi établis que la jeune fille avait pour seul avenir que celui de son futur époux. Dans ce roman finalement Montherlant s'emploie à tourmenter sans plaisir et à dominer les âmes féminines, tout en compensant cette attitude par une paradoxale leçon de sacrifice devant la tentation de la tendresse et de l'installation dans le bonheur.
Un roman un peu dépassé d'un certain point de vue. Nous ne sommes plus en 1925…
Commenter  J’apprécie          30
On peut admirer la verve De Montherlant, considérer sa truculence et son audace, vanter sa véracité hautaine et subversive, lui reconnaître le talent d'une sagacité intempestive, d'une lucidité intègre et amorale, et cependant s'étonner que des millénaires de civilisation et d'écrits n'ont permis que d'atteindre à la surprise d'une inédite franchise sur les moeurs, d'un examen rigoureux de la société, d'une peinture fidèle, quoique sans approfondi, de la réalité du monde. le type de supériorité d'un tel texte consiste à publier le vrai intérieur des passions, démis des vernis valorisants et ennoblissages habituels, comme on cesserait de s'offrir au pathétiques de l'attendrissante pâmoison ; c'est l'effet réjouissant de Les jeunes filles, qui présente le mérite d'un discours ferme et exact sur l'homme, mais aussi ce n'est que cela, ce n'est que relativement beaucoup, ce qu'on prend pour la maturité en art n'est que l'enfance du regard que ne dépossède plus quantité de préjugés. Ici, un être libre, libertin, libertaire, déclare enfin (et malheureusement « enfin » au lieu de : « pour commencer ») ce qu'il sait de l'amour domestiqué et démaquillé, et il l'exprime sans pitié à des femmes surfaites en sentiments, romantiques ou mystiques, qui l'aiment en style épique, et qu'il tente donc de corriger et désabuser, malgré leurs entêtements variés emplis de représentations littéraires qui feront au lecteur contemporain l'impression de la plus authentique bonne foi.
Il faut apparemment des oeuvres pour défaire des proverbes : on peut les louer en ce que c'est rarement qu'on dispose d'un guide pour déconstruire les interprétations-billevesées ; il est de quelque nécessité que l'homme actuel, depuis des siècles, revienne à la surface des faits bruts au lieu de s'enfoncer dans ses représentations caverneuses et souterraines. Or, il faut l'admettre, ce ne sont pas des valeurs pleinement bâties, développées, inédites, découvertes, imprévisibles et perspicaces : on retrouve en cette oeuvre ce qu'on voit et qu'on pense une fois affranchi des conventions et des usages, des mièvreries de toutes sortes et des symboles inquestionnés, et l'on arrive ainsi au point zéro où l'on aurait dû partir pour évoluer – « rien d'autre que le sol » – au lieu de dégénérer : c'est un roman qui redresse des scolioses sans bien aider à grandir, et encore expose-t-il un exemple de santé plutôt qu'il ne contraint à se délivrer des torsions et des noeuds. Entretemps, des siècles ont passé, transportant leurs dictons que des livres abondants et glorieux ont flagornés, vains et fats, « sensibles », obséquieux, concordants, rassurants…
Même les « provocations » célèbres ne furent faites que des heurts qu'on était préparés à entendre. Il n'existe pas de succès sans réception propice, et rien n'est jamais propice chez un lecteur qu'un auteur conspue ou corrige : le succès signale toujours la compromission.
Il vaudrait même mieux ne pas lire, ne pas voir le monde à travers des fabrications de penseurs détournés et partiaux, ne pas se mouler à ces fraudes. On resterait soi ; on ne finirait pas par lutter contre la vitalité et la réalité en déchiffrant un ouvrage véridique qui enfin rapporte le réel, faisant alors l'impression contradictoire du plus vicieux artifice. Je plaide ici pour la bonne, pour la meilleure conscience de ceux qui ne lisent pas, qui sont restés purs des influences morales et livresques, à condition toutefois qu'ils aient décidé également de ne pas « lire » les conversations d'autrui. Ce sont autant de gens qui, si on leur énonçait que l'amour est souvent un embarras ridicule, se contenteraient de hausser les épaules en répondant : « À quel propos, une pareille évidence ? » L'exposé d'observations objectives ne les choque jamais : sans guère d'apprentissage, ils sont déjà au point que ne rejoignent que difficilement des esprits pervertis d'imageries savantes et compliquées et qu'il faut longuement convaincre pour atteindre à ce socle élémentaire : nos pédants ont plutôt creusé des trous pour enterrer leurs sens et leur raison. Tant de leur « effort » ne valait pas d'arriver à cette situation piètre où il leur faut désapprendre presque tous les fruits de leur science. En effet, sur bien des faits, l'homme sans instruction a plus raison qu'eux : les alambiqués prétendront que c'est parce que ces simples ne peuvent les comprendre, mais ils feraient mieux de concéder que leur sophistication n'est plus en état de percevoir ce que d'emblée un homme désendoctriné réalise, tandis qu'il n'est pas besoin au sans-culture de beaucoup s'extravaser pour entendre les dérives d'une réflexion spécieuse et égarée. Ils plaquent des concepts et des interprétations extérieurs sur le monde qu'ils abordent avec des lentilles artificielles plutôt qu'avec leurs propres yeux, comme des enfants posent des tamis sur des paquets de sable brut et en sortent avec la sensation omniprésente de quadrillages au-devant de toute perception : l'univers leur devient des séries de ronds ou de carrés dont la présence finit par gager de la normalité des effets – tant d'idées intellectuelles avec lesquelles ils regardent et dont ils ne savent plus sortir les a engloutis dans un paradigme de préventions dont la terminaison même leur communiquerait la sensation d'une anomalie et un effroi. Leurs pensées déforment, c'est le lot des préconceptions de définir et de restreindre les possibilités ; notamment, l'amour est pour eux une valeur absolue et intouchable, un Bien aussi cardinal que l'indication d'une boussole et qui sert de fondement à s'orienter dans toutes les directions, le Bien comme Nord. Ils ont fondamentalement la religion des idolâtres de l'amour, et, ce faisant, n'analysent pas l'amour mais répètent le fantasme ancré de ce sentiment qui en devient autre chose. À force de croire, on finir par avoir des visions ; des croyants portent des stigmates ; la volonté d'illusion finit par produire au monde des matérialisations et des témoignages.
J'ai trouvé une étonnante similitude de pensée et de ton entre Montherlant et Cohen. On dirait, intellectuellement, deux semblables trouvant plaisir à prendre un parti pragmatique et ainsi à désacraliser la vertu unanimement supposée et admise de l'amour, ce qu'ils font avec un humour qui en atténue l'impression de mépris et de haine, mais qui, sans doute aussi, diminue la portée iconoclaste et édifiante de leur oeuvre, parce qu'on peut alors les lire selon le degré de retrait d'un simple jeu « pour le rire », comme on écouterait des ludions qui ne croient pas en des causes et ne cherchent qu'à divertir par effet de surprise – Cohen me paraît plus original, créatif et stylisé, d'une plume plus artiste et différenciée, mais peut-être aussi est-il en quelque sorte plus volontiers comique et décalé, et c'est ce qui permit qu'on pût lire à contresens Belle du Seigneur comme apologie de l'amour au lieu d'une dure dénonciation des sentimentalismes corrupteurs du Vrai et du Bon. Ce point de vue léger, du moins laissé interprétable comme simple fantaisie, maintient le lecteur en sa dimension du divertissement où ce qui est difficile et réclame un effort, comme intérioriser des problèmes et les transposer à la réalité, lui devient heureusement superflu : à son gré, il se contente ou non de la fiction, mais il n'est pas sollicité au-delà de sa volonté initiale, nullement brusqué par une injonction de critique ferme, l'auteur ne l'enjoint pas à appliquer. Or, c'est une faute morale de ces écrivains d'avoir aspiré à être appréciés en offrant la facile interprétation de la relativité de leurs livres, comme échappatoire aux plus dures réévaluations : « Je ne veux peut-être que vous amuser » laissent-ils entendre au badaud qui n'a pas l'intention de rien prendre au sérieux. On perçoit chez Montherlant la soif irrésistible de popularité, malgré ses acidités sarcastiques, par exemple sur une salle de concert : « Costals regardait l'assistance. Elle était composée pour un tiers de gens qui jouissaient spontanément des bruits qu'ils entendaient ; pour un tiers, de gens qui n'en jouissaient que par une opération de l'esprit, se souvenant de tout ce qu'ils avaient lu et entendu sur ce morceau ; l'autre tiers étant de gens qui ne ressentaient rien, mais ce qui s'appelle rien. […] Ils sortirent donc de ce temps de l'autosuggestion collective. » (pages 174-175) : propos hardis, moqueurs et d'une cruauté juste, qui pourraient finir par remettre en question les affections aussi bien dans le domaine musical ; mais alors, pourquoi y fallut-il la lâcheté d'annoncer en notes, au début du chapitre : « Est-il besoin de marquer que ce chapitre est une sorte de galéjade, écrite par quelqu'un qui se donne de temps en temps un coup de soleil, et qu'on ne s'en formaliserait pas sans manquer d'esprit ? On peut faire la caricature de ce qu'on aime » (pages 168-169) Un tel avertissement, qui sert de rattrapage à tous les questionnements pénibles que le récit pourrait induire, révèle sans un doute le tempérament d'un mauvais restant de sociabilité redoutant de heurter son lecteur, et qui pourtant ne résiste pas à la franchise de donner le trait qu'il pense – pourquoi l'écrire autrement ? – homme qui fournit des éreintements après les gaines dorsales ! Il s'assure ainsi à la fois du défoulement de la satire qu'il n'a pas à retenir, et de la paix d'amitié dont il désamorce les vexations ; chacun est content, et l'auteur, au gré des perceptions, sans garantir même ce qu'il pense, jette non le trouble mais la satisfaction la plus unanime : il sera tantôt un observateur redoutable de perspicacité, tantôt un adorable et inoffensif bouffon – la couardise ! On voit que même dans l'épanchement on peut dissimuler des intentions, tenir un milieu entre l'orgueil et l'obséquiosité, pour plaire ! Combien on doit reprocher, décidément, ce goût de popularité !
Enfin, il a tout de même fallu à Montherlant la bravoure indéniable de ne pas regarder les sentiments moraux avec la routine sociale, même s'il a probablement atténué ses effets pour demeurer convenable, lisible, pour s'essayer au succès et se munir d'une assez vaste audience. Être entièrement soi, au lieu de briller par l'adhésion à autrui, est certes de grand courage quand on aspire au triomphe ; il est rare qu'un homme écrive et publie uniquement pour soi et dans le désintérêt total de ses lecteurs ; il encourt le risque d'être honni et banni pour ce qu'il a dénoncé en une tonalité qui serait même simplement alternative, parce que l'inédit véritable est toujours impopulaire et qu'on ne sait jamais trop quand on franchit les bornes acceptables des désirs de nouveauté du lecteur : c'est un péril extrême de se tenir à la lisière de ce que le public ne veut pas savoir. Se tenir au seuil du génie et de la gloire, c'est toujours être au point de recevoir une porte au nez : Céline en fit bien l'expérience, adulé pour Voyage au bout de la nuit, rejeté pour Mort à crédit ! Mais ni Montherlant ni Cohen, que je sache, ne furent chassés : c'est donc que la société ne se crut point attaquée, et je suppose que c'est grâce à ce biais de faufilement, grâce à ce contournement hors des sommations contraignantes, grâce à la stratégie de feinte anodine où le lecteur se sent bercé dans de l'imagination, grâce à l'apparence d'innocente bonhomie où l'auteur semble seulement vouloir rire. Ces écrivains ne parurent que de plaisants drôles à talent, satiristes sans y croire et pour l'épate, caricaturistes peu concernés, sans engagement insultant, à l'époque du détachement et des poses à la Cioran. Or, ils auraient dû lever le doute s'ils avaient osé l'insuccès plutôt que tenté la réussite, ils l'eussent fait à leur détriment mais au bénéfice de l'univocité hardie de leurs textes. du fait de ce renoncement à la solitude, on les célébra autant qu'on les jugea superficiels et excessifs parce qu'on les estima tels, ils ne furent pas des Sages, pas des Justes : des personnages. Ils restaient certainement sympathiques tant qu'on les prenait en scandales et outrances, en décalages amusants, en piques aigres-douces, en complicités, après le règne passé des dandys ostentatoires et épatants qui avaient fini par lasser. On appréciait leur façon de tourner en dérision sans obliger à considérer, à révolutionner, sans nul bouleversement personnel, ludiques et spirituels, et permettant de conserver, en cela parfaitement adaptés au temps de l'après-livre : leur distance pouvait être affectation, pince-sans-rire de profession, et c'est bien ce qu'on recherchait à l'heure du livre-sans-perturber c'est-à-dire de l'anti-livre. Si l'on avait pris Montherlant (et Cohen) au sérieux, on en eût fait un paria : il eut le bonheur de plaire, le malheur d'être auteur de peu de génie ou au génie méconnu ; il parut seulement livrer « pour histoire » un essai de personnage drôle et invraisemblable, un alter ego excentrique pour divertir, en sorte qu'on pouvait plaisanter de la création et la relativiser, ce Pierre Costals (nom m'évoquant Solal), hédoniste mâle, blasé de mignardises et importances consensuelles, veillant à son autonomie, analysant avec un recul aiguisé les tentatives d'enfreintes à sa puissance, lisant toute relation au prisme d'intentions psychopathologiques réelles et insues chez autrui, même s'il ne paraît pas rechigner à de regrettables pertes de temps et à d'inutiles accaparements, sans avancée ni exploration notables, sans édifications nettes. C'est l'homme qui quête le plaisir sans trop endormir son intelligence dans les clichés, qui vit avec le détachement blasé des absurdités inlassables du monde, qui garde incessamment la connaissance des artifices de la norme et qui n'a que le défaut d'être un peu stérile dans ses poursuites et un peu fat dans ses explicitations, homme qui s'écoute et ne s'admire pas, créature incomplète en ceci qu'il est supposé – c'est un auteur – avoir écrit une oeuvre, mais à quel propos ? on ne lui trouve, hormis le sens primal des réalités crues, nul talent particulier ni aucune préoccupation spécifiquement artistique ; Costals est encore figure romanesque, et je crois que c'est largement ce défaut d'être qui plut : réaliste, il eût insulté au Contemporain ; il lui suffisait de s'apparenter à une composition pour entrer au domaine de l'imagination et pour n'inquiéter personne ; c'est à cette condition sans doute qu'il attira, parce qu'il n'était pas véritablement vraisemblable au point d'être concevable dans le monde à titre d'exemple ou d'expérience, et d'attenter au réel. Costals est encore un personnage qu'on ne visualise pas : une belle création littéraire, comme on dit avec exaltation et insouciance – ce qui est trop plausible, on le présente malsain et fruit d'un esprit torturé : il induit d'emblée une préoccupation défavorable.
Costals représente l'être éloquent et clair, dégagé de morale commune et de préjugés, philosophe qu'un Contemporain assimilera au cynique de pacotille, transparence qui dissout la plupart des tensions d'où germent les violences, sans haute profondeur mais sans illusion, qui pense avec expérience et autonomie, qui ne se craint pas et ne sent nulle raison de se contraindre à des ressemblances : un individu en particulier, mais qui ne semble pas attacher d'intérêt à des performances, nonchalant, plutôt inappliqué et gaspillé, consommant ses heures en plaisances demi-vaines. Ce que ce roman donne à considérer, pour autant qu'on se prête à l'examen d'un esprit considéré comme véritable, est une conscience échappée de la perpétuité des traditions, moquant par contraste des amantes qui vivent dans une idéalité sérieusement mièvre, conquises par cette virilité dure et implacablement égoïste qui les subjugue, qu'elles veulent circonscrire ou détourner de son prosaïsme, disciples ou salvatrices, persuadées de la valeur élevée de leurs élans auto-justificateurs, tout sacrifices et climatérismes, tout symboles et mysticismes portés par le « Coeur ». Mais Costals ne vaut pas grand-chose, il est sans élévation patente, personnalité qui ne résulte point d'un travail ardu, seulement il ressort de la surface au lieu d'être enfoncé dans des méandres et dans des fanges, il est de taille petit-humaine parmi la foule sombrée dans des trous, il n'émerge de la plaine que comme le taillis dans un désert et non comme la montagne extirpée par force. On ne le voit que parce qu'il est seul, il n'a presque pas dit un mot supérieur, pas accompli un acte ; il ne se tient pas très droit, bossu d'une sorte de paresse et de l'entretien de quelques idées fixes, d'un reste de morale attachée notamment à ne pas nuire ; c'est l'être qui a manqué de concurrence et auquel l'émulation eût donné de l'effort comme idéal, qui vit de contentement à ne pas s'ensevelir plutôt qu'à gagner en altitude, et qui tire profit de l'unicité pour excuser son manque d'ambition. Ce n'est pas rien d'être, oui mais ce n'est pas non plus une telle transcendance : voici un homme moyen qui fait la leçon à des Contemporaines c'est-à-dire à des fouies, à des obscurcies, à des troglodytes ; il l'emporte, évidemment, en dépit des résistances spécieuses et culpabilisatrices qu'une faiblesse moindre, intelligence épistolaire de femmes instinctives au moins capables de distinguer, multiplie pour justifier ses penchants et s'approprier une supériorité.
Or, fallait-il tant de livre et de philosophie pour aboutir à une pareille naissance, à savoir la relation d'un être qui ne se laisse pas abuser et qui pense sans grandeur mais par lui-même ?
C'est donc que la littérature et les philosophes n'ont fait environ qu'instruire l'artifice.
le retour à une certaine santé, comme en témoigne ce livre, signale un long dévoiement dans la maladie : on finit par atteindre ce par quoi on eût dû commencer, ce par quoi on avait sans doute commencé mais que de mauvais usages ont corrompu jusqu'à assimiler des pensées biaisées, tordues, contrefaites, au convenable et au juste. La littérature longtemps est un soutien aux défauts qu'elle présente comme exemples, parce qu'elle constitue un repère agréable à la société des lecteurs qui demandent à être confirmés et qui, par suite, plébiscitent des littératures captieuses et pernicieuses. C'est une sélection de races, et plutôt comme on fait avec les chiens qu'avec les espèces agricoles : on obtient des animaux sans vitalité ni indépendance, qui sont à peu près sourds, surchargés de peaux et de poils, incapables de galoper ou mordant sans raison, créatures de perpétuelle souffrance existant au lieu de vivre : il fallait pour leur malheur qu'ils fussent fabriqués par des chiens semblables et qui refusaient de se reconnaître faillis, qui se prirent pour modèles et préférèrent s'enferrer dans des troubles, pour qui tout gène acquis valait forcément mieux que leurs conformations initiales. La civilisation contemporaine est chez nous une dégénérescence, désordre et décadence, qui se publie et perpétue pour vertu, ayant trouvé parmi ses écrivains des instruments de propagande qu'elle a valorisés non selon le mérite mais selon l'adhésion, les glorifiant pour se rassurer de sa misère et se pardonner son délabrement : elle voit que des « intelligences » l'approuvent, alors elle les vante comme supérieures, et la postérité qu'elle érige sur ces succès empêche qu'on les révoque avant longtemps. le génie au contraire, véritable, ne se révèle dans ces sociétés que par son application fondamentale, loin des habitudes sociales et des progrès respectueux, avec une brutalité
Lien : http://henrywar.canalblog.com
Commenter  J’apprécie          30
Voici un livre qui me laisse perplexe, il faut dire qu'il n'est plus dans son époque et que le monde d'Henri de Montherlant a bien changé !
C'est extrêmement bien écrit et bien construit. L'étude des différents personnages par l'intermédiaire de leurs correspondances, nous dévoile les tréfonds de leurs âmes avec l'amour et les espérances de ces jeunes filles qui se transforme en douleur, en souffrance et même en folie.
Ce tome faisant partie d'une série de quatre ouvrages, je suis resté un peu sur ma faim mais ai-je l'envie de persévérer ? L'avenir nous le dira !
Commenter  J’apprécie          20
Voici un des succès De Montherlant, auteur très connu des années 30 et qu'on ne lit plus trop aujourd'hui. Et de fait, ce livre ne risque pas d'avoir le vent en poupe actuellement, le héros étant très misogyne. L'histoire est celle de Costals, un écrivain parisien (double de l'auteur?), séducteur, qui en 1927, entretient malgré lui des relations épistolaires avec des admiratrices. Il y a Thérèse, une fille simple et très croyante et surtout Andrée, une petite intellectuelle de province au physique ingrat qui ne vit que pour lui. Or Costals n'a que faire de ces jeunes filles, et leur préfère Solange, une jolie demoiselle aperçue dans son entourage.
Alors, certes le héros est un séducteur et est clairement misogyne, néanmoins il a tout de même conscience des limites imposées aux femmes: leur seul avenir est le mariage. Lorsqu'il drague Solange, la brusquerie de Costals est mise en avant, (on voit que la question du consentement ne se posait pas >
Commenter  J’apprécie          20
Paraît-il que ce livre est l'oeuvre d'un misogyne. Mais un roman d'amour écrit en 1936 peut-il être autre chose que le reflet d'une société virile? Bref, laissons de côté ces questionnements politiques pour ne retenir que la prose De Montherlant.
Au départ, un échange épistolaire à sens unique et puis finalement une réponse puis deux et enfin une rencontre. le sujet est l'amour dans tous ses états: comment se faire aimer, comment fuir l'amour, comment n'aimer que soi, comment faire l'amour...etc
J'ai découvert un auteur et une oeuvre littéraire exceptionnelle. Les rouages du coeur et du corps sont finement décortiqués, brillamment analysés, selon la quête de l'une ou la cause de l'autre. Formidablement intelligent.
Commenter  J’apprécie          60
Pierre Costals est un homme de lettres parisien, au mitan de la trentaine, qui a un certain succès galant. Il revendique une lucidité blasée sur les lubies du beau sexe. Aime-t-il les femmes ? Il a du goût pour elles comme on en a pour les desserts trop sucrés ou les pâtisseries traditionnelles à la crème au beurre : cela flatte le palais, mais ça écoeure vite. Il est le destinataire - difficile de dire qu'il entretient une correspondance, de lettres de deux de ses lectrices. La première, confite en génuflexion, assez insignifiante en vérité, pas sûr qu'il y ait la lumière à tous les étages, ne l'oublie pas dans ses nombreuses oraisons. La seconde, une provinciale du Loiret, vieille fille, assez cultivée pour son rang social, se fait bien plus importune pour l'écrivain. Pierre Costal, souvent méchant par les pointes de l'esprit mais pas mauvais, qui a eu la faiblesse de lui accorder quelques entrevues - en tout bien tout honneur, alors qu'il la trouve franchement laide tout en reconnaissant qu'elle n'est pas totalement dénuée d'intelligence, devient l'objet du comportement obsessionnel de cette personne, une hystérique qui le poursuit de ses assiduités sans trêve, et qui se révèle être au fil du temps une horrible érotomane.

Montherlant illustre les relations homme-femme par l'intermédiaire d'un écrivain cynique et d'adulatrices désaxées. Les attentes sont fatalement différentes entre deux conceptions de la rencontre aussi divergentes. Entre celui qui cherche à assouvir un désir dans un commerce agréable et celles qui poursuivent le bonheur à travers l'amour, les attentes ne peuvent qu'être déçues. Forcément avec un tel parti pris dans le choix des personnages l'oeuvre se veut polémique, ce qui est somme toute salutaire. Mais ça n'a pas plu, mais pas du tout, à l'épouse de Jean-Paul Sartre, qui s'en est émue dans le Deuxième Sexe, et il est fort à parier que ce roman qui est le premier volet d'une tétralogie éponyme ne sera pas dans la PAL des thuriféraires de l'écriture inclusive. En revanche, pour les hommes blancs hétérosexuel de quarante ans et pour quelques autres lecteurs (lectrices ?) fourvoyés, les Jeunes filles sera une lecture réjouissante et profitable.


Commenter  J’apprécie          41
si je mets quatre étoiles, c'est davantage car le style de l'auteur en vaut la peine. Henry de Montherlant sait écrire, c'est indéniable, maid c'est aussi un très fin observateur de son temps.
Le roman tourne essentiellement autour de la relation de Costals, un écrivain à succès prétentieux, et Andrée, une provinciale cultivée mais vieille fille. Andrée admire Costals et va jusqu'à l'aimer. Lui n'a pour elle que de la pitié, et la trouve trop laide pour la désirer. D'ailleurs, il suffit de voir le contraste entre le traitement qu'il réserve à son égard et celui qu'il a pour Solange, une jeune femme dotée d'une beauté divine.
J'ai l'impression que cet ouvrage est assez nuancé. L'auteur ne choisit aucun camps, ni celui des femmes, ni celui des hommes. Il ridiculise autant Costals qu'Andrée.
C'est très bien écrit.
Commenter  J’apprécie          00




Lecteurs (906) Voir plus



Quiz Voir plus

La série des Jeunes Filles de Montherlant

Comment s'appelle le personnage principal, dont on a trop souvent dit qu'il était l'incarnation romanesque de Montherlant ?

Henri Costal
Pierre Costals
Jean Costals

10 questions
29 lecteurs ont répondu
Thème : Les Jeunes filles, tome 1: Les jeunes filles de Henry de MontherlantCréer un quiz sur ce livre

{* *}