Top 10 fait partie des séries lancées par
Alan Moore, à partir de 1999, pour son label America's Best Comics, éditées par Wildstorm, puis par DC, une fois Wildstorm racheté par l'éditeur de Superman (ce qui n'alla pas sans créer des tensions avec Moore, qui avait juré de ne plus jamais travailler avec DC). On trouve dans cette collection, outre Top 10, la Ligue des Gentlemen Extrordinaires (les premiers épisodes), Tom Strong, Prométhéa et Tomorrow Stories.
Le principe de Top 10 est de nous raconter les aventures de policiers chargés de faire respecter la loi, dans une ville (Néopolis) entièrement habitée par des êtres dotés de super-pouvoirs et autres capacités extraordinaires.
Top 10 : The Forty-Niners peut être considéré comme un prologue à Top 10 et peut se lire indépendamment de celle-ci. Ce comic a reçu le Eisner Award du meilleur album en 2006, et, à sa lecture, on comprend aisément pourquoi. L'histoire nous emmène en 1949 : la guerre est achevée depuis peu et, si de nombreux super-héros et créatures extraordinaires ont aidé les alliés à vaincre l'Allemagne nazie, ils sont aujourd'hui devenus indésirables, parmi la population. le gouvernement américain décide donc de les regrouper à Néopolis, alors en pleine construction. Notons d'emblée que cette cité n'abrite pas uniquement des surhommes, mais également ce que nous pouvons nommer des prodiges, c'est-à-dire des êtres extrêmement doués dans leur domaine, à l'instar des personnages principaux, Steve Traynor, alias Jetlag, pilote d'avion exceptionnel (seulement âgé de 10 ans, lors du conflit) et Leni Muller, alias Skywitch, elle aussi pilote émérite, allemande mais qui a rejoint les alliés en 1943. Dans le flot continue des nouveaux arrivants, nos deux héros semblent un peu perdu, au milieu des buildings en construction. Mutés, comme beaucoup de "soldats spéciaux", une nouvelle vie commence pour eux : rapidement, Steve devient mécaniciens au sein de la mythique escadrille des Skysharks et Leni rejoint les forces de police de la ville, qui ont fort à faire avec la mafia vampirique et les gangs de robots.
The Forty-Niners est donc un petit bijou et ce à tous les niveaux. le dessin de Gene Ha est très réussi, aux couleurs très subtiles, créant des ambiances à la
Norman Rockwell tout à fait adaptées à cette cité rétro-futuriste dont les tours se lancent à l'assaut des fifties triomphantes. Certains cases, représentant des plans larges des grattes-ciels en construction, sont vraiment magnifiques. Quand on pense années 1950 on a tendance à penser polar. C'est un peu ce que nous propose
Alan Moore, en suivant les aventures policières de Leni, en proie aux gangs "d'américano-hongrois" amateurs d'hémoglobine, ayant la main sur la prostitution vampirique. Pour autant, on ne saurait résumer cette histoire à un genre unique et on peut, tout aussi bien, évoquer la difficile réinsertion d'anciens combattants, en quête de leur identité (à l'image de Steve, qui se découvre homosexuel). le scénario est vraiment bien construit et permet à Moore de poser des questions d'ordre philosophique, sur la quête de soi, la tolérance ou encore la loyauté, mais aussi d'évoquer, en filigrane, la période de l'immédiate après-guerre, ou l'on sent monter en puissance une Amérique pas si tolérante et bienveillante que ça. Moore n'hésite pas à faire référence au comics code, qui brida, dans les années 1950, la création au nom de la protection de l'enfance, ni à montrer une nation qui regarde avec suspicion ses minorités. Une nation, également, qui n'hésite pas à accueillir à bras ouvert d'anciens scientifiques nazis, au nom de son propre intérêt.
Bref, The Forty-Niners est un excellent comic, divertissant, mais qui prend véritablement son lecteur au sérieux et dont se dégage, paradoxalement, alors qu'une nouvelle époque triomphante semble voir le jour, une certaine nostalgie pour une période, certes dure, mais dont les repères étaient clairs : comme le dit Wulf "à quoi nous rattacher après la guerre dans le silence des sirènes quand de nouveau nos coeurs se font entendre, si ce n'est à tout, si ce n'est à rien ?"