La fille veut rendre hommage au père mort quinze ans plus tôt. Comment va-t-elle s'y prendre pour parler de l'enfant âgé de neuf ans qu'il était en 1936, un enfant, parmi les autres, jeté en pâture dans cette Espagne où vient d'éclater une guerre fratricide, une guerre civile, la pire des guerres qui durera trois longues années ? Elle opte pour le dialogue.
« – Papa, tu oublies un détail. Tu es mort. Mort et enterré depuis quinze ans. Je parle avec un mort ou je me fais un monologue… »
L'enfant a neuf ans lorsque son père boulanger est abattu avec d'autres en pleine rue, sans jugement, sous ses yeux. Son crime, avoir ravitaillé les rouges cachés dans les montagnes de Cacin. Cacin est un village andalou près de Grenade, l'Andalousie une région longtemps révolutionnaire dans l'âme et qui subit dès juillet 1936 une répression nationaliste d'une violence terrible, une répression dirigée vers le peuple, le but est de faire marcher à la baguette les petites gens et les enfants n'échappent pas à la vindicte.
« Moi, je ne veux pas me souvenir. Se souvenir, c'est une perte de temps. Se souvenir c'est voir devant moi mon père vivant et souriant. Se souvenir, c'est sentir les bras de ma mère et ses larmes glisser dans mon cou. Me souvenir me fragilise, je le sens bien dans ma poitrine qu'il ne faut pas que je me souvienne. Mais le rêve de mon père et de ma mère me tire des sanglots. Je dois presque les oublier pour ne pas paniquer, sinon je suis foutu ».
A la mort du père, il perd son innocence l'enfant, il devient d'un coup un très vieil homme, le soutien de famille. Tous les enfants pauvres d'alors travaillaient, c'était ainsi mais que voulez-vous, il y avait tellement de misère en Andalousie, il y en a toujours eu mais sans père, c'est encore plus difficile alors l'enfant se loue aux patrons comme ouvrier agricole, gardien de chèvres, tout est bon à prendre pour survivre sans le père. C'est dur pour l'enfant et l'éloignement avec la famille. Et puis à treize ans, l'enfant poignarde le responsable de la mort du père. Il écope alors de huit ans, quatre mois et vingt-et-un jours, il n'en fera que six, six longues années de survie dans des conditions terribles, il est le plus jeune des détenus… Il en sortira à vingt ans.
« Je ne réalisais pas encore le poids de mon geste ni les conséquences. J'avais tout de même un sentiment de satisfaction vis-à-vis de mon père, je lui rendais hommage et ça valait toutes les punitions ».
Il est pudique le roman de
Sylvia Munoz Roux, pudique d'ailleurs comme la majorité des espagnols qui ont subi la guerre, la misère, la répression et qui ont aussi décidé de fuir et passer de l'autre côté de la frontière. Ces femmes et ces hommes parlaient peu ou plus. le roman est court, l'auteur ne s'attarde pas sur les atrocités commises pendant ces trois années de guerre, puis sur la dictature, la répression qui continue, la perte de la mémoire pour la paix nationale, mais à travers les mots, on sent ce que vit et voit l'enfant puis à travers les yeux du jeune homme de vingt ans qu'il est devenu, on sent l'impossibilité pour lui de vivre dans ce pays où la liberté est la grande absente. le roman s'arrête brutalement le 19 septembre 1949, le père de Sylvia a 25 ans et le chemin de la liberté est tout proche.
J'ai beaucoup aimé ce témoignage, cet effort de mémoire si important pour les descendants de ces espagnols qui ont tant souffert et ont décidé de prendre le chemin de l'exil. Je suis de ceux-là moi aussi comme
Sylvia Munoz Roux.
Aux marches du palais est un roman très touchant où les choses sont dites simplement mais c'est souvent la meilleure façon de faire passer un message. Voilà un bel hommage de la fille au père. A lire!
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