Un silence lourd d'amertume et de tristesse accompagne les pas de ce jeune couple et de leur petite fille vers le bourg de Weydon Priors. L'homme, botteleur, recherche du travail. C'est jour de foire, on peut se sustenter dans une baraque où une bonne fromentée, généreusement arrosée de rhum par la tenancière, mène à l'ivresse plutôt qu'à l'embauche.
Amer, le rhum aidant, Michel pousse un peu loin une odieuse plaisanterie et vend sa femme et sa fille à un marin de passage pour cinq billets froissés et quelques pièces d'argent.
Mais le matin succède aux ronflements de l'ignoble mari. Ne lui restent que son panier d'outils, l'argent de cette abominable transaction, l'anneau de mariage qui brille sur le sol déserté, et surtout sa honte.
Jurant tout de même sur sa femme qui, cette fois-ci, a fini par le prendre au mot, Michel fait voeu de renoncer à l'alcool pendant vingt ans et, après d'infructueuses recherches, décide de s'installer à Casterbridge.
Dix-huit ans ont passé. Même village, même vendeuse de fromentée mais en plus misérable. La femme et sa fille Elizabeth-Jane qui ignore ce lourd passé se dirigent alors vers la vieille cité de Casterbridge.
Marchant de foin et de grains éminemment respectable, Michel Henchard est devenu maire de la ville. Mais rapidement, on se doute bien que
Thomas Hardy va mettre à mal la tranquillité d'esprit et de situation de cet homme fougueux. Ce sera une succession de redoutables retours de la vie qui l'attendent. C'est même lui-même qui installera à Casterbridge le principal élément de sa future déchéance, un jeune écossais ayant le sens du commerce et une vie sentimentale à construire.
« C'était bien une amitié d'homme à homme que la leur, une amitié solide et ferme ; et pourtant, la semence qui devait en ébranler les fondations prenait racine, à cette minute précise, dans une crevasse de sa base. »
Avec
Thomas Hardy, on se laisse porter, sans pouvoir opposer de frein, vers un enchaînement d'évènements qui influent fortement sur le sort des personnages. Les portraits qu'il dessine sont extrêmement fouillés, laissant deviner, à travers les moindres expressions, toute la profondeur des tempéraments.
La moralité de l'époque agira aussi comme un fatal élément pour une jeune femme tandis qu'Elizabeth-Jane traversera les pages, ballottée entre espoirs et désillusions. Fataliste, elle se forgera pourtant une philosophie de la vie qui ne manque pas de perspicacité. Alors qu'elle me paraissait bien fade à son arrivée, c'est finalement la personne pour laquelle j'ai eu de plus en plus de considération.
Et comme fond de scène, où les personnages se démènent ou bien se laissent dériver vers des avenirs incertains, la ville nous ceinture dans ses anciens remparts. Au fil des évènements, elle se dévoile à nous comme si nous l'arpentions. Ses différents quartiers, ses ruelles, ses avenues rectangulaires, son pont de pierre, sa place de marché et l'effervescence des jours de foire nous apparaissent avec un réalisme époustouflant. Une ville aux portes d'un monde rural, indissociable de la campagne environnante qui la rend florissante par son économie agricole. Quel charme à la lecture de cet environnement et de cette activité d'antan !
Découvert récemment avec
Loin de la foule déchaînée,
Thomas Hardy sera désormais un auteur naturaliste victorien qui occupera une belle place dans ma bibliothèque. Magnifique écriture, fatalisme des destins, personnages qui renvoient tout le réalisme de l'époque et cadre d'action admirablement décrit, les pages défilent et appellent rapidement à renouveler tous ces plaisirs de lecture !