On n'a pas su comprendre Lorrain. On n'a pas su voir que ce malade cachait son mal par tous les moyens ; on n'a pas voulu, peut-être, discerner que son ironie féroce, d'apparence, n'était qu'une amusette de grand enfant esclave des mots, — et pour n'avoir pas distingué tout cela, on a nié son talent, on l'a satisfait en refusant de reconnaître les qualités si rares dont il fut orgueilleux à juste titre, on a eu la criminelle injustice de lui faire dire dans ce rire spécial ou se montrait toute la souffrance qu'il voulait dissimuler : « Ce qui m'aide à vivre c'est de savoir que je suis odieux à tant de gens ! » Ah ! Jean Lorrain était bien trop fier pour avouer ses détresses, ses souffrances et ses regrets.
Il descendit à Toulon. Je le vis s'éloigner, après un dernier signe de la main, raidi dans son attitude indifférente ou narquoise suivant les heures, sous les regards stupéfaits de la foule. C'est ce qu'il appelait « ameuter la basse rue ». Et pendant que la « coupe-vent », luisante et noire, se ruait, à travers les vignes, vers Marseille, vers Paris, « la ville empoisonnée », je craignis ce qui est advenu. Bien qu'il eût tracé, de son écriture d'enfant nerveux, cette ligne harmonieuse : « Le mal dont j'ai souffert s'est enfui comme un rêve », je ne devais plus le revoir jamais...
Panégyristes et détracteurs furent également injustes à l'égard de Lorrain, puisqu'ils ne surent voir en lui, presque tous, que ce qu'il voulait que l'on vît. C'est une des caractéristiques du poète de L'Ombre Ardente d'avoir conduit à son gré l'opinion publique de son temps en la contredisant avec obstination. La rouerie de la foule est une des formes les plus parfaites de la naïveté. L'avis de la masse est un des résultats les plus précis de l'irréflexion, de la frivolité et de la superficialité contemporaines,