Dans la maison miteuse d'un quartier pauvre de New York, la vieille Mammy Saunders se meurt. Tandis qu'une amie et voisine tente de la réconforter dans ses derniers instants, Mammy Saunders n'a plus qu'une idée en tête : celle de revoir une dernière fois son petit-fils, celui qu'elle a surnommé tout bébé le Môme Rêveur et que tout le monde continue à appeler ainsi.
Mais le Môme Rêveur est devenu un jeune adulte qui s'enfonce dans la délinquance et la violence. La nuit précédant le début de la pièce, il a commis un délit, un crime - on ne le sait pas exactement avant un moment, mais on imagine bien qu'il s'agit d'un crime - pour lequel il est recherché par la police. Et le plan de la police, sachant Mammy Saunders agonisante, c'est de coincer Abe, le Môme Rêveur, chez elle. Après avoir espéré voir une dernière fois sa grand-mère puis s'échapper, s'offre finalement au jeune homme un dilemme d'une simplicité tragique : sauver sa peau et abandonner sa grand-mère, la laisser mourir seule et encourir sa malédiction ; ou bien rester auprès d'elle, attendre la police et en finir.
Ayant lu la pièce dans un état de fatigue avancé, je l'avais peu appréciée sur le coup. Avec un peu de recul, je me dis que O'Neill a posé là tous les éléments d'une tragédie grecque. Certes, on pourrait penser que je lis trop de tragédies grecques ces temps derniers ; mais O'Neill en avait lu bien avant moi (et bien davantage !), et l'on sait que ça été une influence indéniable sur son théâtre. Sauf qu'ici, pas de dieux qui vous préparent un destin pourri. le Môme Rêveur a tracé son chemin, qui le mène à une situation quasiment inextricable, dont il ne se sortira que par un choix funeste, mais qu'il juge plus honorable que la prison. Pas de choeur non plus, mais trois femmes qui se lamentent autour de lui en une mélopée presque incessante . Pas de personnages "intermédiaires", mais une femme le pressant de sauver sa vie, et une autre (Mammy Saunders) de rester près d'elle, sans quoi il encourrait sa malédiction. La construction de la pièce s'avère bien celle d'une tragédie.
Je regrette cependant que la pièce soit si courte. du Môme Rêveur, on ne sait rien. Quels pouvaient bien être les rêves qu'entrevoyait Mammy Saunders dans ses grands yeux écarquillés de bébé ? Quels désirs a-t-il jamais eus ? O'Neill n'en dit pas un mot.
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MAMMY, qui déraille. C'est comme ça qu'il t'es venu, ton nom... Le Môme Rêveur.
LE MÔME. Oui Mammy.
Il pose la lampe, baisée au maximum, par terre, derrière la porte. Puis, il pousse la commode jusqu'à la porte et en fait une barricade.
MAMMY, divaguant toujours d'une voix très faible. Tu sais pas quand je te l'ai donné, ton nom... t'étais tout bébé... dans mes bras...
LE MÔME. Oui Mammy.
MAMMY. Près de la crique... sous le vieux saule... je t'emmenais souvent là-bas... avec tes deux grands yeux qui cherchaient... le soleil... dans l'herbe... et dans l'eau il scintillait...
The Iceman Cometh, film réalisé par John Frankenheimer en 1973, d'après une pièce de théâtre écrite par Eugene O'Neill en 1939. Bande-annonce