Mudwoman est paru en 2012 aux Etats-Unis. L'action de ce roman se déroule dans le Nord Est de l'état de New York, près des Monts Adirondacks, dans les marais de la Black river, à
Carthage et dans une prestigieuse université de cette côte Est.
L'action se situe après les attentats du 11 septembre et alors que les Etats-Unis s'apprêtent à nouveau à entrer en guerre contre l'Irak, en 2003. A l'ouverture du roman, nous sommes en 1965 et faisons la connaissance d'une petite fille alors âgée de 3 ans.
Joyce Carol Oates attaque fort avec un incipit assez terrifiant. Mudgirl, cette fillette âgée de 3 ans, maltraitée par une mère psychotique, est jetée dans la boue, comme sa poupée, "préparée", rasée, blessée, donnée en
sacrifice à Dieu.
La petite Jedina est laissée pour morte. C'est par cet incipit éprouvant et malaisant que l'autrice nous harponne puis nous entraîne dans un univers tout en noirceur à la géographie désolante : de sombres marais en fabriques abandonnées, au bord d'une rivière nommée la Black Snake, sous les cris sinistres d'un Corbeau.
Bien accrochés ? Alors bienvenue dans l'univers de la talentueuse et impressionnante
Joyce Carol Oates.
Des années après cette scène traumatisante, Mudgirl qui a été sauvée, reccueillie puis adoptée par une famille de Quakers, les Neukirchen, est devenue Meredith Ruth, M.R., brillante professeure de philosophie, qui vient d'être nommée présidente de l'université dans laquelle elle enseigne, la première femme présidente d'une des prestigieuses universités de la côte Est.
Les chapitres alternent entre Mudgirl et
Mudwoman, avec leurs titres semblant sortis d'un conte "Mudgirl sauvée par le Roi des Corbeaux", "
Mudwoman affronte un ennemi" ou encore "
Mudwoman tombée.
Mudwoman relevée.
Mudwoman au temps de "Choc et Stupeur"", un bien sombre conte dans lequel la femme qu'elle est devenue (une femme présidente d'université, brillante, célibataire, sans enfant, toute dévouée à sa carrière et à l'université, tenant le rôle avec la grande rigueur morale qui la caractérise, héritée de ses parents Quakers, une femme puissante en façade) est sans arrêt renvoyée à la boue où elle aurait du mourir. Rattrapée par son passé traumatique lors d'un voyage sur les lieux de son enfance, à l'occasion d'un congrès. Elle y retrouve ces paysages, cette rivière, ces marais, elle s'y perd tout comme elle y perd la notion du temps.
Mudgirl, Jedina, Jewel,
Mudwoman, Meredith, M.R... Quelle est l'identité de notre héroïne ? A partir de ce congrès, tout semble se déliter pour Meredith, de plus en plus sujette à l'introspection, à l'inattention (elle tombe, se blesse). Les réflexions de Meredith son imagination, ses souvenirs, semblent se confondre et la faire sombrer peu à peu.
Joyce Carol Oates excelle par son talent d'écriture à décrire cela, à le faire ressentir à la lecture. Elle excelle à instiller une atmosphère de tension et de trouble. Par moments, j'avais hâte de terminer ce roman afin de ne pas sombrer avec Meredith.
Un roman très riche mais parfois éprouvant. Une analyse toujours passionnante de la société américaine: ici pendant cette période anxiogène où les Etats-Unis vont à nouveau entrer en guerre ; une analyse des rapports de pouvoir au sein de l'université, le constat de la montée en puissance du néo-conservatisme face aux idées progressistes de Meredith. Un beau portrait féministe : cette femme paye cher son ascension sociale, son indépendance, sa réussite professionnelle. On la croit tellement forte, mais elle est bien seule et fragile. Ne sombre pas Meredith !
"Car telle était la loi de la nature, les femmes étaient la propriété des hommes – pères, frères, maris. Il n'était pas dans la loi de la nature que les femmes possèdent leur moi, leur
corps".
"Personne ne connait notre désespoir quand nous sommes seuls. A distance, nous paraissons tous équilibrés. Quand notre apparence a pris le pas sur notre être"
"M.R. rit. Cela lui paraissait très drôle. Et s'être si bien acquittée de l'épreuve de cette soirée l'emplissait d'une euphorie malicieuse ; elle s'était livrée à cette imposture habile avec son aisance habituelle ; Mudgirl à l'étage sur l'horrible siège des toilettes, le visage défait et maculé de larmes, et M.R. Neukirchen au rez-de-chaussée, à la place qui était la sienne".
Ce roman choisi dans le cadre du Challenge Plumes Féminines 2024 pour l'item 21 "Un jouet d'enfant sur la couverture de ce roman".