J’étais déjà sûre qu’il n’y avait plus rien à faire : la lame avait transpercé la poitrine de part en part, manquant le cœur mais, s’il fallait en juger par la respiration sifflante et le filet de sang qui coulait de la bouche, perforant le poumon. Quand je m’agenouillai près de lui, mon père leva une main qu’il me posa sur la nuque et, avec une force considérable pour un mourant, m’attira contre lui. Je ne me dérobai pas : c’eût été cruel. Cependant, je pris alors conscience que cet homme avait toujours ignoré le sens du mot amour : s’il m’attira ainsi, ce n’était pas pour m’apporter du réconfort, ni pour en recevoir de moi, c’était pour me faire un cadeau ; sans doute le plus beau qu’il fût capable de concevoir mais qui se révèlerait, tu vas le voir, empoisonné.
Extrait de « Dans la lumière je viendrai » de Michel Pagel
Fidèle à sa parole, le robot se mit en mouvement sans rien ajouter. Étrange mouvement que celui-là : ses longs et larges pieds se composaient d’une dizaine de roues aux diamètres inégaux, disposées sur plusieurs niveaux et collectivement cerclées de chenilles de caoutchouc. Plutôt que de les avancer l’un après l’autre, comme il est de coutume chez les humains et la plupart des animaux, il entreprit non de marcher mais de rouler jusqu’à la cabane à outils, ce qui arracha des exclamations admiratives à Delphine et Marinette. Exclamations redoublées quand, arrivé à destination, le robot accomplit un nouveau prodige : ses bras qui paraissaient si courts s’allongèrent démesurément et, aussi flexibles que des saucisses, s’employèrent d’abord à ouvrir la porte de la cabane, ensuite à en sortir les outils dont il avait besoin.
Extrait de « Le conte du robot perché ou Marcel Aymé prêtant sa plume à Isaac Asimov » de Michel Pagel