Quand on vous demande comment est fait un paysage, ce qu'on pense d'un homme, on commence généralement par la fin. On dit: « Il est beau, il y fait froid », ou « il est sympathique, il gagne à être connu ». On s'éloigne, au fur et à mesure qu'on parle, de la vérité de ce paysage, de cet homme. Là-dessus arrive un enfant qui a dessiné ce paysage, cet homme et vous vous exclamez: « Voilà. C'est tout à fait cela. » (Et ne se vend-on pas, quand, à bout de paroles ‒ les paroles bouent ‒ on y va du: « Vous ne voulez tout de même pas que je vous fasse un dessin? » Pourquoi pas?) Le dessin de l'enfant est parfaitement informe, il faut connaître le paysage, ou l'homme, pour en décréter l'authenticité. Avec le peintre, c'est un peu différent. Car nous connaissons des milliers de choses que nous n'avons jamais vues. Il suffit de nous les montrer pour qu'on se rappelle. Avec le peintre, il n'est pas nécessaire de connaître, l'anecdote est totalement bue, effacée, et le titre du tableau suffira pour donner un gage à la connaissance possible. À propos du titre, cette remarque de Miró est instructive: « Des titres? Je les invente, quelquefois pour m'amuser, quand les tableaux sont finis. C'est la peinture qui me suggère les titres, et non les titres la peinture. » C'est important. Et si je pense au Parti pris des choses de Francis Ponge, je vois bien qu'un autre titre eût dévalorisé ses proses ‒ en poème ‒ que c'est par le titre, comme par une porte secrète qu'il nous fallait entrer dans ce petit livre, que sans cette information initiale, nous risquions de prendre un mauvais chemin, de brancher le mauvais oeil. Bref, de lire de travers. L'idéal serait, bien sûr, que le titre d'un tableau, ou d'un livre, caché, nous soyons capables d'en approcher les termes exacts grâce à l'inspiration même issue du regard ou de la lecture.
Un tableau, c'est une pensée sous scellés. Cest cette mine de riens que le moindre regard anime, inquiète, fait rougir, ou gêne. Le peintre encadre son secret, pour mieux l'aérer, il y a quelque chose de provoquant, de tranquillement agressif, de follement solitaire, irréductible, dans un tableau. Et la nuit, il en est qu'on entend craquer, comme si leurs membres se désankylosaient. Mais dès que l'homme reprend sa place de spectateur à roulettes, c'est motus, bouche cousue, on se serre les coudes, on ne dira rien, on s'aime ainsi, et pas autrement, vous avez beau me regarder, me scruter, me déshabiller, vous êtes loin du comte ‒ du conte? C'est que je ne vous cache rien, sinon ma respiration essentielle, mon coeur, je vous sais cruels, et que vous n'êtes pas habitués, vous autres hommes, à cette liberté, à cette pudeur spéciale, à ce manque de cabotinage. Un grand tableau, comme un grand drame ‒ Hamlet ‒ c'est une complicité absolue dans l'organisation d'un rêve refermé sur lui-même, mais très aveuglement pénétrable. S'y perdre innocemment, s'y risquer en silence.
Lecture par l'auteur & Julien Adam
« partout je me suis toujours cherché / mais j'ai toujours veillé / à ne jamais me trouver / de peur de me faire mal / de me faire la peau / de me régler enfin / mon compte. » Il y a l'empreinte d'un Georges Perros dans cette façon de se regarder en face. Franche. Désolée. Il y a surtout le premier et très inspiré recueil de poèmes d'Olivier Adam, fragments murmurés d'une « contrevie ». du passé bien passé, bien perdu. Des manquements, des remords, des incompréhensions, des impossibilités à jouer la comédie. Ce rôle-là, il ne le tient pas « de travers ». Tout au contraire : c'est sa peau.
À lire – Olivier Adam, Personne n'a besoin de savoir, éd. Bruno Doucey, 2023.
Lumière : Valérie Allouche
Son : William Lopez
Direction technique : Guillaume Parra
Captation : Claire Jarlan
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