Quel bonheur, quelle humanité, quel réconfort que cette lecture, après celle , exceptionnelle mais combien éprouvante de la « Laveuse de mort » de
Sara Omar !
Une libraire, secouée par le suicide de son père, écrivain, après l'avoir élevée tout seul, à la suite du décès prématurée de la maman, ; Père complice , vénéré, avec qui elle entretenait une correspondance précieuse, alors qu'ils habitaient la même ville, se voyaient fréquemment, discutaient… Ce manque gigantesque lui donne l'idée de créer « un atelier d'écriture épistolaire »…Elle va ainsi conseiller et correspondre avec cinq personnes de tous les âges, aux destins , aux parcours très différents, pris chacun dans une période de bilan, de souffrance, de chagrin, de remise en question d'une vie qui ne satisfait plus…
De magnifiques observations sur la poésie, la beauté et la bienveillance thérapeutique de toute correspondance, écriture vers l'autre…du souci ; de l'écoute particulière que l'on consacre à Autrui… !
« Vous espérez qu'écrire vous aidera à mettre des mots sur vos émotions, à lutter contre l'indifférence. Je crois qu'en effet, nous pouvons nous reconstruire avec l'écriture”
« (...) l'on ne dit pas les mêmes choses à l'écrit et à l'oral. Nous usons d'autres mots et expressions, soignons notre style. Nos pensées empruntent des chemins différents, plus difficiles d'accès, plus tortueux, plus imprévisibles. Plus exaltants, aussi. Nous nous livrons, nous exposons, prenons des risques. Ecrire une lettre, la poster, attendre une réponse en retour donne une autre valeur aux jours, un poids plus conséquent, me semble-t-il, au message dans l'enveloppe. Il prend son temps et trace sa route.(p. 38)”
Une lecture comme une conversation chaleureuse avec des inconnus que l'on apprend à connaître par leurs lettres, leurs confidences, leurs joies, leurs peines présentes et anciennes, leurs questions !
« J'aime écrire des lettres et n'en ai plus l'occasion. Je suis heureuse de pouvoir le faire à nouveau. (...)
Notre graphie dit aussi des choses de nous. Tout comme notre papier à lettres. Ce que je préfère dans la correspondance écrite, c'est l'idée que le temps prend son temps. Que la lettre voyage jusqu'à l'autre. Et les questions que nous nous posons à son sujet. quand la lira-t-il ? Quand nous répondra-t-il ? Est-ce une belle lettre ? L'ai-je convaincu ? Ai-je employé les mots qu'il faut ? Esther aurait pu baptiser son atelier : "Eloge de la patience et de la lenteur". (p. 49)
Un texte des plus toniques qui nous offre le déroulement du projet de cette libraire, avec cet atelier d'écriture épistolaire… se faisant rencontrer des personnalités très différentes, qui vont s'apprivoiser au fil de leurs lettres et de leurs confidences, ils vont s'aider à avancer, à élargir leurs horizons et leurs manières d'appréhender l'existence et les drames qui peuvent survenir à tout un chacun…
« Ils ne s'étaient pas inscrits à mon atelier d'écriture épistolaire avec l'intention que je leur prêtais : faire des progrès en écriture. Pas seulement, en tout cas. Cet atelier était leur bouée de sauvetage. Il allait les sauver de l'incompréhension d'un deuil qu'ils ne faisaient pas, d'une vie à l'arrêt, d'un amour mis à mal. Quand j'en ai pris conscience, il était trop tard, j'étais déjà plongée dans l'intimité et l'histoire de chacun d'eux. »
Cet atelier d'écriture épistolaire se réalisera sur trois mois intensifs… et nous, lecteurs, sommes heureux de constater , qu'après cet atelier, une fois achevé, de vraies rencontres auront lieu, et donnent l'espoir d'Amitiés à construire et à nourrir au fil du temps…
« Un grand rideau noir lui bouche la vue. Enfin, pas tout à fait. Quand sera terminé, il dînera au Camélia. Il se réjouit d'avoir fait la connaissance de Nicolas. Dix ans, au moins, les séparent, ils ne se ressemblent pas, n'ont aucun point commun; sous plein d'aspects, ils sont des frères ennemis, mais ils s'estiment. Beaucoup. Jean se demande s'ils ont eu de la chance ou s'il en est de même pour tous, si les relations épistolaires incitent à ce point à la confidence et à la sympathie. (...) Les lettres ont-elles ce pouvoir, de créer un lien particulier entre ceux qui les écrivent ? (p. 263)”
Cette lecture fut un vrai rayon de soleil… dans cette période des plus anxiogènes. Que du plaisir à croiser tous ces personnages, et cette libraire, fort sympathique, que l'on aimerait avoir comme amie… !