L'Hippias Mineur débute comme un débat sur l'oeuvre d'
Homère. À l'instar de la majorité des Grecs de son temps, Hippias considère l'Illiade supérieure en valeur à l'Odyssée en ce qu'Achille, héros de la première, est supérieur en valeur à Ulysse, héros de la seconde. Hippias fonde cette hiérarchie sur le fait qu'Achille est un homme véridique tandis qu'Ulysse est un menteur, ce dernier étant reconnu pour ses talents pour vaincre par la ruse.
Hélas, Hippias a le malheur de s'entretenir avec un Socrate bien décidé à foutre la merde dans ses idées par le biais de sa dialectique féroce. Les deux en viennent rapidement à admettre que l'homme le plus capable de mentir est aussi le plus capable de dire la vérité. En effet, seul un savant est capable de mentir avec certitude, tandis que l'ignorant peut très bien dire vrai par accident. Par conséquent, celui qui ment volontairement est meilleur que celui qui le fait involontairement. Généralisant cette observation par une suite d'exemples divers soumis à cette même logique, Socrate en vient à conclure que celui qui agit mal volontairement est meilleur que celui qui agit mal involontairement. Hippias est outré par cette conclusion qui viole le bon sens le plus élémentaire. Socrate, lui, en est parfaitement confus ; l'Hippias Mineur se termine ainsi sur une contradiction insoluble dans son raisonnement : c'est un dialogue aporétique.
Gardons-nous d'accuser ce petit con de
Platon de nous avoir fait perdre notre temps à la lecture d'un dialogue sans réponse à la question qu'il pose. Cette conclusion, bien qu'aberrante, est le fruit d'un raisonnement logique. Tâchons donc, à la lumière de la pensée platonicienne, d'en débusquer les failles afin de mieux comprendre les idées vers lesquelles ce dialogue sciemment vicié veut nous pousser.
Premièrement, on sait que
Platon n'est pas un féru de poésie. Si, paradoxalement, cet art prend une place importante dans le corpus platonicien (
Homère est souvent cité dans les dialogues), le philosophe dénonce son rapport conflictuel à la Vérité jusqu'au point de vouloir chasser les poètes de sa République. Ainsi, l'aporie ne serait-elle pas tout simplement due à l'impossibilité d'approcher la vérité à travers le récit poétique ?
Deuxièmement, peut-être qu'assimiler la ruse au mensonge est la cause de l'échec du dialogue. Il s'agit certes d'une idée communément admise par les Grecs d'alors, mais
Platon ne s'est jamais gardé de renverser les idées reçues quand il le jugeait nécessaire. le Socrate platonicien n'est-il pas le plus parfait exemple de l'homme capable de ruser pour atteindre le Vrai, lui qui s'amuse tant de feindre l'ignorance pour ménager, voire manipuler, son interlocuteur ?
Enfin, la réponse ultime que
Platon peut apporter à cette aporie n'est rien d'autre que sa théorie de la vertu. La distinction du Bien et du Mal est une science qui, comme toute science, contient ses érudits et ses ignorants. « Nul n'est méchant volontairement ». Par conséquent, si l'homme le plus savant dans une quelconque matière use de son savoir pour mentir, il méconnaît cette science suprême et est donc ignorant.
Voilà les idées que ce texte d'apparence futile peut porter en germe. C'est la genèse d'un système philosophique qui a besoin, par ses échecs, de perfectionner sa méthode. Je suis loin d'être acquis à la pensée de
Platon, mais j'admire profondément son principe qui consiste à penser méthodiquement. Et puis j'aime aussi ses dialogues, car ils sont souvent agréables à lire, notamment quand Socrate feint la sottise pour mieux foudroyer son interlocuteur d'un langage passif-agressif fort réjouissant.