AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782907687669
72 pages
Editions de l'Epure (15/01/1999)
5/5   1 notes
Résumé :
Nous n’avons pas encore dans notre base la description de l’éditeur (quatrième de couverture)
Ajouter la description de l’éditeur

Vous pouvez également contribuer à la description collective rédigée par les membres de Babelio.
Contribuer à la description collective
Que lire après Rothko et la FranceVoir plus
Citations et extraits (2) Ajouter une citation
La Chapelle Rothko
Houston, le 9 novembre 1998

Sur le golfe du Mexique et aux portes du désert, Houston, où j'arrive en fin de matinée, ne ressemble en rien aux villes du Texas que les films américains ont popularisées. Climat tropical, humide… Le paysage environnant est verdoyant et boisé.

La quatrième ville des États-Unis est difficilement saisissable : un centre monumental de gratte-ciel, au demeurant fort beaux, et une dispersion d'immeubles, et de pavillons, dans un cadre clair, coupé de longues voies que bordent des chênes-lièges. Cela notamment aux alentours de l'université de Rice, où je suis aimablement reçu par Jean-Joseph Goux qui enseigne ici et que je n'ai pas revu depuis plus de vingt ans.

On ne se défera pas facilement de Tel Quel. Jean-Joseph Goux a participé aux « Groupes d'études théoriques » organisés par la revue à la fin des années 60, et il a notamment publié dans le numéro du printemps 1968 un essai (« Marx et l'inscription du travail ») qui eut alors un certain retentissement. Nous évoquons un autre de ses essais, « Matières. Symptômes. Productions », paru dans le numéro 43 de Tel Quel. De l'un à l'autre de ces deux textes, le Texas devrait pouvoir trouver son compte. Nous sommes évidemment, ici, très très loin, à des années-lumière, du printemps 1968.

Je ferai en fin d'après-midi une conférence sur les rapports entre l'art et la littérature dans la première moitié du XXe siècle : une sorte de résumé du texte que je publie dans le prochain numéro de L'Infini*. En attendant, J.-J. Goux me propose de visiter le pavillon de la fondation de Menil consacré à Cy Twombly, à quoi s'ajoute, sur ma demande, la visite de la « Chapelle » Rothko que je n'ai encore jamais vue et que je suis curieux d'associer à la rétrospective des œuvres que présente le Whitney Museum**. Une occasion (puisque le Musée d'Art moderne de la Ville de Paris n'accueillera, au mois de janvier prochain, qu'une partie des peintures actuellement exposées à New York, et que la « Chapelle » de Houston n'est le plus souvent connue que de réputation)… une occasion pour avoir une vue d'ensemble de l'œuvre et de la carrière du peintre. C'est dire que j'aborderai cette très exceptionnelle réalisation de Rothko qu'est la « Chapelle » de Houston avec une réelle curiosité.

[…]

En 1962, Rothko est à nouveau engagé dans un grand projet de peintures murales, destinées cette fois à la salle à manger (!) du Holyoke Center de l'université d'Harvard.
Rothko se rendra à Cambridge en 1964 pour superviser l'installation des tableaux. Et cette même année Mme Dominique de Menil lui commandera une série de peintures murales pour la chapelle de l'Université catholique de Saint-Thomas à Houston.

Rothko déclarera que sa confrontation avec ce projet a changé son œuvre.

Et, de fait, les peintures de la « Chapelle » de Houston ne ressemblent à aucune des autres peintures de Rothko. Le changement est tel que ces peintures pourraient très bien ne pas être de Rothko mais de quelque suiveur pris dans une morne et sèche radicalisation moderniste.

Dans le livre consacré, en 1985, à la « Chapelle » Rothko, à Houston, l'auteur, Susan J. Barnes, écrit que la période qui part de 1965 jusqu'à la réalisation complète des peintures murales, au printemps 1967, peut être considérée comme une seconde phase de l'œuvre du peintre, marquée par d'importants changements dans sa technique et dans sa façon de travailler. Notamment en ce que, pour la première fois, une ligne de partage nettement définie trace des bandes (encadrement) sur le bord des peintures, un dispositif formel employé dans les œuvres des jeunes contemporains de Rothko.

S'employant à situer idéalement son œuvre dans la réserve, le retrait, la défense environnementale, déterminée par l'échec du Seagram Building (fin 1959), Rothko se trouve progressivement conduit à envisager la construction d'un environnement susceptible de s'établir en adéquation parfaite avec ses peintures. Bref, à réinterpréter son œuvre en termes de construction environnementale.

Si l'on suit la progression de cette « idée » dans l'œuvre de Rothko, on constate qu'elle se développe à partir du retrait des œuvres destinées au Seagram Building, dans une première tentative de considérer et d'investir, si je puis dire, le musée comme lieu, en effet idéal, d'activité sociale de l'art. Le fait d'avoir accepté, en 1962, la décoration pour une salle à manger au Holyoke Center de l'université d'Harvard laisse supposer que, du musée à l'université, en un premier temps, Rothko tend d'abord à faire confiance aux institutions culturelles. Non sans quelques réserves pourtant.

N'est-ce pas en ces mêmes années que Rothko non seulement assombrit sa palette jusqu'aux gris et noirs, mais encore isole chacune de ses peintures (qui dès lors deviennent des tableaux) en les protégeant du mur, qui les accueillera, à l'aide d'une bande d'encadrement claire - gris clair ou crème ?

À considérer l'ensemble des œuvres établies sur ce schéma on peut alors disposer la production de l'artiste en deux modes : celui du tableau isolé de l'espace ambiant par son cadre ; et celui, monumental, de la construction environnementale où chaque pièce, mur peint, s'établirait dans le retrait d'un écho supposé avec l'ensemble des autres murs qui l'encadrent et lui font face.

Il faut croire que les peintures réalisées au cours des années 50 et au début des années 60 ne convenaient qu'imparfaitement à un tel projet, et s'imposaient trop dans leur présence propre, puisque, abordant la disposition de préservation idéale du companionship, Rothko s'est trouvé dans l'obligation de changer sa technique et sa façon de travailler.

La commande et le projet de la « Chapelle » de Houston précipitent la conviction de l'artiste quant à la réserve d'un espace environnemental susceptible de servir de lieu et de lien entre la peinture et le companionship qui lui donne vie. Autrement dit, d'assurer, et de préserver, le lien idéal (le religare) entre la peinture et le milieu ambiant, la société ; soit en effet de convertir la peinture à un espace de religiosité. Et ce, pour s'être, dans sa volonté de préserver et de réserver sa peinture, mis progressivement en situation de l'abandonner au profit d'une interprétation, d'une croyance, en quelque sorte, messianique de l'art.

Avec la « Chapelle » de Houston, Rothko, pour la première fois, a la possibilité de déterminer la forme, la dimension de l'architecture et l'organisation du bâtiment qui supportera son œuvre - œuvre qui dès lors cesse d'être « peinture » (pensée peinte) pour devenir le lieu magique d'une construction environnementale… lieu religieux de l'environnement.

Il faut retenir que la commande passée à Rothko par John et Dominique de Menil était initialement destinée à une chapelle catholique qui, à la suite de tractations diverses entre les de Menil et l'université de Saint-Thomas, devint ce que l'on ne peut plus appeler au sens strict une « chapelle » (lieu où l'on garde une relique sainte : la chape de saint Martin de Tours) mais un lieu de spiritualité œcuménique qui accueille aussi bien les moines bouddhistes que les derviches tourneurs, Steve Reich ou le Dalaï-lama.
La chapelle destinée à l'université de Saint-Thomas, s'est transformée en une « Chapelle » Dominique de Menil, dite « Chapelle » Rothko, où ne se célèbre que l'ombre, le darkness de la peinture. L'obscurité, l'assombrissement règnent aussi bien au centre que sur les hauts murs du bâtiment. Devant chaque toile un petit coussin noir est posé à terre, en agenouilloir, pour, je suppose, inviter à quelque méditation transcendantale devant l'opacité de cet « entombement », mise au tombeau, ensevelissement froid et sans autre résurrection que celle, environnante en effet, d'un éternel pathos mortuaire.

Le piège, la spiritualité, la croyance s'est religieusement renfermée dans un octogone (terme de fortification : place à huit bastions), en cette division de l'esprit et du corps, où toute lumière est assombrie, et qui ne se défait jamais du corps, dès lors déjà, depuis toujours et pour toujours, cadavérique.

Je ne peux pas m'empêcher de penser à l'aventure du Seagram Building et à la réaction de Rothko refusant que ses peintures soient un fond décoratif pour les goûts et les tractations d'une société qu'il abhorrait !
Qu'en est-il des goûts et des tractations du spiritualisme qui se célèbre ici ?
Et encore, à quelques centaines de kilomètres d'ici, dans la colonie du minimalisme artistique fondée par Donald Judd - avec, semble-t-il, la collaboration de la même fondation de Menil - à Marfa, où, indéfiniment porté par une unique syllabe, le désert croît ?

En avril 1967, Rothko téléphone à John de Menil pour lui annoncer que les peintures murales sont terminées. Au printemps 1968, Rothko souffre d'un anévrisme cardiaque. Il ne peut plus travailler, il est irritable. Plus alcoolique et dépressif que jamais, il rompt toutes relations avec ses amis et ses proches. Lorsqu'il recommence à peindre, il s'en tient à de curieux et tristes formats sur papier, qui clôturent l'actuelle exposition du Whitney.
En 1969, il reçoit le titre de docteur honoris causa de l'université de Yale et donne, à la Tate Gallery de Londres, une importante partie des peintures initialement réalisées pour le Seagram Building.
Le 25 février 1970, il se suicide.

*
Commenter  J’apprécie          00
Sortant de la « Chapelle » Rothko, dans la sage ordonnance des pelouses et des pavillons du paysage universitaire et urbain, le Broken Obelisk, de Barnett Newman, se dresse devant moi, symbole solaire renversé dans l'épaisse lumière de cet après-midi d'automne.

Un obélisque renversé sur une pyramide (élément principal d'un complexe funéraire), c'est tout dire !

Pourquoi, quittant la « Chapelle », et songeant que tout cela aboutissait au suicide du peintre, ai-je spontanément évoqué cette très insolite affirmation d'Hölderlin : « Car c'est là le tragique chez nous, que nous quittions tout doucement le monde des vivants empaquetés dans une simple boîte. Un tel destin n'est pas imposant, mais il est plus proche » ?

*

Au dos du dépliant qui est gratuitement remis aux visiteurs de la « Chapelle » blockhaus de Rothko : « The Chapel was built with the support of John and Dominique de Menil and a group of Houstionians. Donations to the Chapel are tax-deductible. »

Ne pas oublier que Houston abrite aussi le Centre spatial de la NASA.


[…]
Commenter  J’apprécie          10

Videos de Marcelin Pleynet (6) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Marcelin Pleynet
Édouard Manet (1832-1883) : Nuits magnétiques par Jean Daive (1983 / France Culture). Diffusion sur France Culture le 8 juin 1983. Peinture : Édouard Manet, "Autoportrait à la palette", 1879. Par Jean Daive. Réalisation Pamela Doussaud. Avec Philippe Lacoue-Labarthe (critique, philosophe, écrivain), Dominique Fourcade (écrivain), Marcelin Pleynet (écrivain, critique d'art), Jean-Pierre Bertrand (artiste peintre), Joerg Ortner (graveur, peintre), Jean-Michel Alberola (artiste), Constantin Byzantios (peintre), Isabelle Monod-Fontaine (conservatrice au musée Georges Pompidou) et Françoise Cachin (conservatrice au musée d'Orsay). Lectures de Jean Daive. Édouard Manet, né le 23 janvier 1832 à Paris et mort le 30 avril 1883 dans la même ville, est un peintre et graveur français majeur de la fin du XIXe siècle. Précurseur de la peinture moderne qu'il affranchit de l'académisme, Édouard Manet est à tort considéré comme l'un des pères de l'impressionnisme : il s'en distingue en effet par une facture soucieuse du réel qui n'utilise pas (ou peu) les nouvelles techniques de la couleur et le traitement particulier de la lumière. Il s'en rapproche cependant par certains thèmes récurrents comme les portraits, les paysages marins, la vie parisienne ou encore les natures mortes, tout en peignant de façon personnelle, dans une première période, des scènes de genre : sujets espagnols notamment d'après Vélasquez et odalisques d'après Le Titien. Il refuse de suivre des études de droit et il échoue à la carrière d'officier de marine militaire. Le jeune Manet entre en 1850 à l'atelier du peintre Thomas Couture où il effectue sa formation de peintre, le quittant en 1856. En 1860, il présente ses premières toiles, parmi lesquelles le "Portrait de M. et Mme Auguste Manet". Ses tableaux suivants, "Lola de Valence", "La Femme veuve", "Combat de taureau", "Le Déjeuner sur l'herbe" ou "Olympia", font scandale. Manet est rejeté des expositions officielles, et joue un rôle de premier plan dans la « bohème élégante ». Il y fréquente des artistes qui l'admirent comme Henri Fantin-Latour ou Edgar Degas et des hommes de lettres comme le poète Charles Baudelaire ou le romancier Émile Zola dont il peint un portrait : "Portrait d'Émile Zola". Zola a pris activement la défense du peintre au moment où la presse et les critiques s'acharnaient sur "Olympia". À cette époque, il peint "Le Joueur de fifre" (1866), le sujet historique de "L'Exécution de Maximilien" (1867) inspiré de la gravure de Francisco de Goya. Son œuvre comprend des marines comme "Clair de lune sur le port de Boulogne" (1869) ou des courses : "Les Courses à Longchamp" en 1864 qui valent au peintre un début de reconnaissance. Après la guerre franco-allemande de 1870 à laquelle il participe, Manet soutient les impressionnistes parmi lesquels il a des amis proches comme Claude Monet, Auguste Renoir ou Berthe Morisot qui devient sa belle-sœur et dont sera remarqué le célèbre portrait, parmi ceux qu'il fera d'elle, "Berthe Morisot au bouquet de violettes" (1872). À leur contact, il délaisse en partie la peinture d'atelier pour la peinture en plein air à Argenteuil et Gennevilliers, où il possède une maison. Sa palette s'éclaircit comme en témoigne "Argenteuil" de 1874. Il conserve cependant son approche personnelle faite de composition soignée et soucieuse du réel, et continue à peindre de nombreux sujets, en particulier des lieux de loisirs comme "Au Café" (1878), "La Serveuse de Bocks" (1879) et sa dernière grande toile, "Un bar aux Folies Bergère" (1881-1882), mais aussi le monde des humbles avec "Paveurs de la Rue Mosnier" ou des autoportraits ("Autoportrait à la palette", 1879). Manet parvient à donner des lettres de noblesse aux natures mortes, genre qui occupait jusque-là dans la peinture une place décorative, secondaire. Vers la fin de sa vie (1880-1883) il s'attache à représenter fleurs, fruits et légumes en leur appliquant des accords de couleur dissonants, à l'époque où la couleur pure mourait, ce qu'André Malraux est un des premiers à souligner dans "Les Voix du silence". Le plus représentatif de cette évolution est "L'Asperge" qui témoigne de sa faculté à dépasser toutes les conventions. Manet multiplie aussi les portraits de femmes ("Nana", "La Blonde aux seins nus", "Berthe Morisot") ou d'hommes qui font partie de son entourage (Stéphane Mallarmé, Théodore Duret, Georges Clemenceau, Marcellin Desboutin, Émile Zola, Henri Rochefort).
Sources : France Culture et Wikipédia
+ Lire la suite
autres livres classés : cuisineVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (3) Voir plus



Quiz Voir plus

Les nourritures livresques : la cuisine dans la littérature

Qui est l'auteur de la célèbre scène où le personnage principal est assailli de souvenirs après avoir mangé une madeleine ?

Emile Zola
Marcel Proust
Gustave Flaubert
Balzac

10 questions
466 lecteurs ont répondu
Thèmes : gastronomie , littérature , cuisineCréer un quiz sur ce livre

{* *}