Si on dit "
Terry Pratchett" à quelqu'un qui a lu quelques-uns de ses bouquins ou en a au moins entendu parler, il pourra répondre automatiquement "Disque-Monde". Et pour cause, à part quelques romans1 écrits avant ou au début de cette longue série, eh bin y'a pas grand-chose. Bon, celle-ci compte pas loin de quarante romans en incluant ceux catalogués "jeunesse", plus quelques "bonus"2, c'est quand même pas mal. Enfin, on a beau aimer se replonger dans son vieux fauteuil un peu usé mais tellement confortable, des fois on aimerait bien changer. Ça tombe bien,
Nation ne fait pas partie de la série du Disque-Monde.
Ça se passe chez nous, ou presque. Peu de temps après la guerre de Crimée (aux alentours de 1860, genre), la grippe russe fait des ravages en Europe, et la famille royale d'Angleterre est décimée, et pire encore. Un navire est envoyé de toute urgence vers le Grand Océan Pélagique Austral3 (globalement équivalent au Pacifique, bien sûr, sauf que l'Australie est en fait séparée par une mer en "Proche Australie" et "Extrême Australie"4) pour récupérer l'héritier de la Couronne – gouverneur d'un coin paumé – et sa fille (13 ans à tout casser) – en route depuis l'Europe pour le rejoindre, et presque arrivée au moment où se produit le tsunami. le navire qui transportait la jeune fille s'échoue sur une île, où elle va devoir apprendre à cohabiter avec l'unique survivant local de la catastrophe, et bientôt des rescapés des îles voisines qui afflueront progressivement.
Sauf que l'histoire est principalement celle de Mau, ledit survivant, dernier représentant de la
Nation (l'île en question, donc. D'où le titre. Quelle coïncidence.) le jour où le tsunami a frappé était celui où il devait revenir de la petite île toute proche où a traditionnellement lieu l'initation des jeunes hommes ; ils y laissent leur âme de garçon et en revenant chez eux reçoivent leur âme d'homme au court d'une fête avec tout le village… Qui n'était plus là quand il y retourna. Cette histoire d'âme le tracasse beaucoup, en plus du traumatisme de la catastrophe il y a une recherche d'identité, beaucoup de questions sur les dieux et les responsabilités… (Et il y a aussi quelques éléments surnaturels non divins plus ou moins bien perçus ou acceptés par les personnages.)
Alors indéniablement c'est du
Pratchett. du
Pratchett plutôt sérieux, et ce ton convient mieux à ce monde-là qu'au Disque-Monde, je trouve. La narration est claire sans être tout à fait linéaire, et c'est bon (même si on trouve ici et là quelques facilités ou faiblesses scénaristiques, concernant par exemple les autres survivants du Sweet Judy, ou des arrivées bien synchronisées… Mais bon ça passe. Dans l'ensemble.) Je déplore aussi la présence d'un personnage de type "il est méchant PARCE QUE." Ça c'est agaçant, mais on ne le voit pas beaucoup et la scène est plutôt bonne, j'ai trouvé. Dommage, mais pas rédhibitoire.
On retrouve quand même quelques facéties typiquement pratchettiennes, dont quelques notes de bas de page "instructives" (mention spéciale au "palmier solitaire" et à la "pieuvre arboricole", mais celle-là "existait" déjà !)
L'émotion est présente à de nombreuses occasions, sans trop de facilité j'ai trouvé. La fin est sympathique, et vu la tournure de l'histoire, j'ai apprécié toute absence de référence à *bruit de revolver* (mais après tout ce thème n'est peut-être devenu à la mode qu'au vingtième siècle ?)
Et dans l'ensemble, même si certains traits de caractère des personnages me rappelaient parfois certains "archétypes pratchettiens", la plupart sont assez frais, et j'ai même réussi à n'avoir aucune pensée pour le monde plat habituel de l'auteur lorsqu'il fit référence à la bouliformitude du monde où se déroule
Nation. Même la Mort de ce monde est très différent(e).
En bref, un bon
Pratchett, qui se lit bien même à quatre heures du mat'. Là on me l'a prêté, mais je le prendrai probablement quand il sera sorti en poche.