Laurent Olivier : Mon enquête sur Wounded Knee - je m'en rends compte maintenant - me fait prendre conscience que ma démarche est tout près de la tienne. Rendre la parole à ceux qui ne l'ont pas eue ; leur faire un tombeau, peut-être, qu'on ne leur a pas donné. J'ai l'impression que nous nous rejoignons là-dessus : sur ce que sont les vestiges ; je veux dire ce qui reste du passé. Plus exactement, nous nous rejoignons sur ce qui sauve le passé de l'oubli - ce qui le tire de cette accumulation infinie de destruction et de chagrin, pour le ramener vers nous, au prix d'efforts incroyables. Tout les deux, nous cherchons, au fond, à réparer le passé. Non pas à le refaire ; mais à prendre soin de ceux que l'Histoire a brisés, de tous les vivants, finalement, que le temps a réduits en poussière. Nous réparons ceux qui ont vécu, ou du moins, nous essayons. On aimerait tant que ce soit possible.
L'archéologie se tient du côté de l'humain - de ce qu'ont fait les gens et de ce qu'on leur a fait, j'insiste. Elle est du côté du petit, de l'intime. C'est ce qu'Arlette Farge, dont tu parles, exhume des archives ; elle fait un travail d'archéologie à partir des papiers. Je crois en fait que l'archéologie - cette archéologie-là - dynamite la "grande histoire", en montrant que le passé c'est aussi, et peut-être d'abord, ce que vivent les gens, comment ils prennent ce qui leur arrive.
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