Fabio Pusterla
EAN : 9782841160709
114 pages
Cheyne
(01/01/2002)
3/5
1 notes
Deux rives
Résumé :
D'aujourd'hui, une voix sobre et claire. Celle d'un poète qui parle d'en bas, aux frontières du secret. Et parce qu'il sait son ignorance, il écoute, longe les sentiers les plus quotidiens, recueille tout signe, toute trace d'où qu'elle vienne, tout appel d'air, toute lueur entraperçue jusque dans la plus grande obscurité.
Pour protéger, obstinément, les mots et les visages.
DEUX RIVES
Une barque traverse, un peu avant l’aube :
elle approche ? s’éloigne ? Dans la lumière
encore métallique, grise, dans l’air froid,
parmi les brumes, les buées nocturnes, elle avance
et déplace lentement l’eau, rame après rame.
Le jour ensuite viendra éclairer
ce qui était confus. Mais la barque
franchit une frêle frontière
et disparaît. Soit ce voyage
vain. Essentiel et vain.
Pas de fret, nul lieu où aller.
Rien que ces eaux à traverser,
de la lumière à devancer,
rien que le jour à diviser
de la nuit.
Traduit de l’italien par Béatrice de Jurquet et Philippe Jaccottet.
LA FUGITIVE
Elle cherche ce qui demeure
au-delà du regard,
après la marée et le retrait des eaux,
après chaque jour, avant chaque jour.
Incertaine est sa lumière,
ou hors spectre :
on croit la deviner, on se retourne et plus rien.
Elle prend ce qui reste
et le remet au monde : aiguilles de pin
éparpillées, petits trous,
ombres d’un chat qui a déjà sauté loin,
Les arabesques des mouettes sur le sable.
Elle ramasse les écorces, gratte les murs.
Tu dis que le long du chemin
derrière nous brûlaient les forêts.
Qu’on ne savait pas pourquoi,
mais quelqu’un disait : voilà,
la raison du voyage c’est ça,
c’est pour ça que nous sommes ici.
Tu dis que l’horizon
était inquiet et déchirant, rouge feu.
Derrière la maison il y a un jardin en friche :
une robe rouge flotte
sur un fil. Par terre
des balles de plastique, des pots pleins de sable.
Un mur de planches
plus loin ferme le ciel. […]
Traduit par Béatrice de Jurquet
ENTRE-DEUX…
[...] Un mouvement invisible frise l’eau,
suggère une lueur changeante,
algue, poisson, reflet…
Mais il n’y a pas de rives, ni de barque
entre les rives, ou bien déjà
l’on n’y voit plus, il reste l’eau
et au-dessus de l’eau une ombre semble s’ouvrir,
presque s’épanouir, et relier
quelque chose qu’on ne voit pas :
une ombre, ou une trace...
Traduit de l’italien par Béatrice de Jurquet et Philippe Jaccottet.
ESQUISSE EN POUDRE DE GYPSE
6
L’oreille qui écoute ne voit pas la voix qui parle
dans la nuit, perdue ; elle guette le bruissement
de l’air, par les rues
où quelqu’un marche peut-être.
La voix qui parle n’attend pas qu’on l’écoute,
elle espère pourtant que son soliloque n’est pas vain,
que s’ouvre pour elle une porte en silence,
offrant une lumière, une branche de forsythia.
Traduit de l’italien par Béatrice de Jurquet et Philippe Jaccottet.
UNE VIEILLE
« Parler jusqu’à sortir des paroles,
un entrelacs sans fin de soupirs
et de ruelles. Les longues gloses
sur la moindre peine, le compte rendu
des années, des siècles, des morts.
Calendriers, miracles, naufrages.
Puis, le silence.
Qui vient des fenêtres. T’enveloppe. »
Traduit de l’italien par Béatrice de Jurquet et Philippe Jaccottet