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EAN : 9782253147473
217 pages
Le Livre de Poche (01/12/1999)
3.33/5   6 notes
Résumé :
4° de couverture :
(Edition source : Fayard - 04/1997)


Un siècle et demi après l'émancipation des Juifs par la Révolution française, le régime de Vichy promulguait une législation qui faisait d'eux des parias dans leur patrie.

En présence de ce droit antisémite, il importe de savoir ce que fut l'attitude de l'administration, des juridictions et des milieux professionnels concernés.

S'agissant du Barreau, ce... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Robert Badinter a étudié ce que les quatre années d'occupation allemande ont imposé aux avocats juifs, au sein du Barreau de Paris essentiellement.

Partant de l'antisémitisme hypocrite mais courtois qui régnait avant-guerre et qui les écartait des « honneurs et responsabilités professionnelles », Badinter se penche longuement sur ce que les statuts édictés en octobre 1940 et juin 1941 imposèrent comme conditions invivables à ses confrères de l'époque. Et en particulier sur les exigences d'un numérus clausus qui réduisait à 2% le nombre d'avocats juifs par barreau.
Seuls les barreaux importants, ceux des plus grandes villes de France, furent réellement affectés par ce diktat, et Robert Badinter s'est surtout intéressé à celui de Paris.

S'il rappelle brièvement que celui-ci « n'a pas manqué de courage face aux Allemands, ni d'indépendance face au régime de Vichy », il constate aussi que le bâtonnier et le conseil de l'ordre ne se sont pas opposés au recensement des avocats non français dans un premier temps, juifs ensuite, ni à l'élaboration de dossiers susceptibles de faire échapper certains à l'exclusion du Barreau : sur des critères d'appartenance ancienne à la nationalité française, et de mérites exceptionnels, militaires ou professionnels, dont l'appréciation était laissée à sa seule initiative, l'Ordre des avocats de Paris a présenté une quinzaine de demandes de dérogation.
Le principe de l'exclusion n'a donc pas été discuté et au total, à Paris, s'est imposé à deux cent cinquante avocats à peu près. Sans que leurs confères ne s'inquiètent de l'effet dévastateur sur leur moral ou de ce qui leur restait comme moyens d'existence.
Le bâtonnier Charpentier sera plus courageux en s'opposant à l'obligation faite aux avocats juifs exerçant encore en juin 1942, de porter l'étoile jaune sur la robe. Dispense qui ne valait que dans les murs du palais de justice, puisque la robe n'est portée que là.
Et qui ne faisait barrage ni aux internements à Drancy, les premiers en mai 1941 (rafle des notables) ni aux exécutions en tant qu'otages (20 septembre 1941), de ceux qui avaient été « omis » du Barreau.

La traversée de ces quatre années ne peut se faire sans évoquer les hommes qui ont fanatiquement poursuivi les desseins antisémites, ceux qui en ont été témoins plus ou moins passifs et certains de ceux qui ont subi cet acharnement dément.

Alibert, puis Xavier Vallat (lui-même avocat, membre du Conseil de l'Ordre...) nommé à la direction du Commissariat général aux questions juives en mars 1941, avant de laisser le poste à Darquier de Pellepoix en mai 1942 : chacun plus antisémite que le précédent, et balayant toutes les tentatives de résistance, même les plus timides, à leur programme infernal.

Jacques Charpentier, bâtonnier de 1938 à 1945, personnage ni tout blanc ni tout noir. Ne s'opposant pas au numerus clausus, mais interdisant le port de l'étoile jaune sur la robe. Se désolant de l'internement à Drancy de Pierre Masse et de six autres avocats, parmi les plus brillants. Mais venant à Drancy, au printemps 1942, notifier leur exclusion du barreau aux avocats internés, sans « un mot pour regretter, expliquer ou excuser. »
Mais aussi entré en résistance en septembre 1943...

Enfin quelques-uns de ces hommes qui ont souffert et sont morts de cette haine immonde :

Pierre Masse, qui avait siégé avec Pétain au Comité de Guerre en 1917, arrêté en août 1941, à 62 ans ; avocat réputé pour sa sagesse ; d'une dignité sans faiblesse, attentif à ses compagnons de captivité, et les aidant dans la mesure de ses moyens ; déporté à Auschwitz en octobre 1942.

Jacques Franck, arrêté en même temps que Pierre Masse. Libéré pour cause de maladie. Refusant de fuir malgré le risque d'être de nouveau arrêté, mais désespéré, se défenestrant en janvier 1942.

Lucien Vidal-Naquet qui refusa de faire la moindre démarche pour éviter l'exclusion due au numerus clausus ; qui écrivait en septembre 1942 : « je ne suis plus qu'un demi-citoyen sur le sol même où je suis né et où dorment les miens ; c'est ainsi que j'ai perdu le droit d'exercer la profession qui fut celle de mon père (...) Je ressens comme Français l'injure qui m'est faite comme Juif (...) J'étais si fier de mon pays. Je le voulais au-dessus de tous – mes yeux se sont ouverts aujourd'hui : mon pays n'était beau que parce que je le croyais beau. » Qui se réfugia en zone libre, entra dans la Résistance, fut arrêté à Marseille avec sa femme. Ni elle ni lui ne revinrent de déportation.

C'est le talent de Robert Badinter, dans ce livre, d'évoquer à la fois le mécanisme tatillon, bureaucratique, désespérant, de la politique antisémite de ces quatre années, les hommes qui l'ont menée, mais surtout ceux qui ont conservé avec un courage rare, une dignité absolue face à l'humiliation qu'on leur imposait.
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Cet amalgame : immigrés = réfugiés = Juifs, déjà enraciné avant-guerre dans l’opinion, faisait le désespoir de certains Israélites français. La réaction du président du Consistoire israélite Jacques Helbronner, illustre bien cette attitude.
(...)
A l’automne 1940, après la promulgation du Statut des Juifs, Helbronner adressa (au maréchal Pétain) une « Note sur la question juive en France ». Dans cette note il critiqua vivement le statut :
(...)
« L’invasion (sic) a pris des proportions de plus en plus inquiétantes au fur et à mesure du développement et des conquêtes du nazisme en Europe. Malgré les avertissements du judaïsme français, les gouvernements de la France n’ont rien fait (au contraire) pour parer au danger. La réaction contre l’invasion des étrangers s’est traduite par un normal antisémitisme dont les victimes sont aujourd’hui les vieilles familles françaises de religion israélite. »
(...)
Suit un projet de statut dont l’article premier est ainsi conçu :
« L’accès et l’exercice des fonctions publiques et mandats énumérés ci-après ne sont permis qu’aux citoyens français ayant au moins trois grands-parents de nationalité française... »
Ce que suggérait par là le président du Consistoire israélite au maréchal Pétain, c’était de substituer une législation purement xénophobe à la législation antisémite ! Pour épargner les Israélites français de souche, Helbronner proposait de sacrifier les immigrés ou enfants d’immigrés parmi lesquels, selon ses propres dires, figuraient de nombreux Juifs. Ainsi se révèle, jusque dans les lignes du président du Consistoire, l’intensité de la xénophobie qui régnait dans la France d’avant-guerre, y compris chez les Israélites français, et combien aux yeux de ceux-ci, l’identification du Juif à l’immigré paraissait lourde de dangers.
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Pour les juristes, le droit antisémite était devenu objet d’étude, comme toute autre branche du droit, quand il ne suscitait pas chez certains une approbation sans retenue. Fidèles à la tradition française, les magistrats mettaient en œuvre les textes sans les critiquer et sans états d’âme apparents. Des dizaines de milliers de fonctionnaires veillaient d’ailleurs à leur application avec la diligence convenable. Ainsi l’antisémitisme était-il légalisé, normalisé par la pratique quotidienne.
(...)
Du côté des barreaux français, nulle voix de bâtonnier ou d’ancien bâtonnier ne s’éleva pour dénoncer publiquement des mesures racistes contraires aux principes que le Barreau avait toujours revendiqués hautement comme siens. Aucune motion ne fut votée pour protester contre l’exclusion massive d’avocats imposée par un gouvernement.

(chapitre Le cruel été 1941)
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Au sein du gouvernement de Vichy, le garde des Sceaux Alibert était un antisémite farouche. Ancien conseiller d’Etat, professeur de droit constitutionnel à l’Ecole des Sciences politique, maurrassien convaincu, Alibert avait séduit le maréchal Pétain. Celui-ci en avait fait son directeur de cabinet lorsqu’il avait été appelé au gouvernement le 21 mai 1940.
(...)
Dès les premiers jours du nouveau régime, Alibert avait entrepris la rédaction du projet d’un statut des Juifs.

Note de bas de page : Le bâtonnier Charpentier, qui avait bien connu Alibert lorsqu’il était en fonction en 1940-41, le décrit ainsi : « Monsieur Alibert était une sorte de taureau farouche et puissant d’encolure. Mais c’était un taureau juriste. Et, de plus, un taureau dressé par le Conseil d’Etat et l’Action française (...). Ses vastes connaissances, le crédit dont il disposait dans l’esprit d’un vieillard vaniteux et ignorant de tout, lui avaient mis en main le balai de l’apprenti sorcier ».
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En définitive, en province comme à Paris, à aucun moment de la procédure à laquelle participaient les Conseils de l’Ordre ne fut élevée la moindre protestation contre la loi excluant du Barreau des avocats juifs qui n’avaient en rien démérité. Aucune déclaration de principe ne fut formulée, aucun geste de solidarité collective ne fut esquissé au profit des confrères que l’on éliminait ainsi.
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La xénophobie, qui souvent marque les périodes de grandes difficultés économiques, avait atteint, à la veille de la guerre, une intensité particulière. Depuis 1931, la crise rongeait l'économie française, accompagnée de son cortège habituel: chômage et faillites. Les syndicats s'inquiétaient de l'afflux d'une main-d’œuvre étrangère qui acceptait de travailler, souvent clandestinement, pour des salaires réduits, voire de famine. Commerçants et artisans dénonçaient les pratiques de leurs concurrents immigrés qui recourraient abondamment à cette main d’œuvre. Quant aux membres des professions libérales, ils stigmatisaient l'"invasion" de confrères naturalisés, ou issus d'immigrés. Le slogan nationaliste "la France aux Français!", largement répandu, exprimait le rejet des étrangers.
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