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Touffu touffu touffu... personnages peu attachants : le génial architecte créatif, son ami plus conformiste, leurs ambitions, leurs aventures... la passion amoureuse de la femme d'affaires dont le fantasme est d'être violée... simpliste... on n'aime pas toujours que le fantasme devienne réalité... Ce que j'ai lu du roman est sous-tendu par le culte de l'homme fort, Ô Nietzsche... Sortie de l'enfer stalinien, Ayn Rand n'a pu échapper à l'autre tentation, celui de l'individualisme à outrance.
Et puis c'est maladroit, la mise en place des personnages est naïve, on n'y croit pas.
Je ne peux m'empêcher de faire le lien avec les réflexions qu'Albert Cohen prête à son avatar Solal dans "Belle du Seigneur" sur l'idéologie de la force et l'instinct du tueur... Je les fais miennes, sans hésiter.
Non, décidément, Nietzsche, qui inspira Ayn Rand toute sa vie, quoiqu'elle en dise, est un maître du point de vue poétique et esthétique, et c'est un penseur ( bien que sa philosophie ouvre la porte à de bien dangereuses interprétations...)
Ayn Rand n'est ni l'un ni l'autre.

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Si l'on veut, l'on peut trouver à ce livre assez d'éléments de réflexion pour bien longtemps.

L'histoire se place dans le New-York pulsant de l'entre-deux guerre. Ecrit en 1943...
Et dire qu'en cette fin 2022, Elon Musk rachète Twitter, et nous voilà en plein, à nouveau et à jamais, dans cette tension de l'individualisme-égoïsme face à l'atruisme-collectivisme. Qui l'un comme l'autre semblent intenables. Entre une forme de dictature et une autre...
Ce qui est très fort dans ce livre, c'est la capacité qu'à Ayn Rand à développer ses personnages à un point tel, que le fait qu'ils soient (pour certains) à des curseurs poussés au max, ne pose aucun problème. Elle parvient à les rendre crédibles et chacun peut alors se situer face à ces hyperboles ou asymptotes. La masse est "stéréotypée" : veule, bête, peureuse... Accentuant le contraste.

Beaucoup de dialogues, très pensés, beaucoup de mots, de la dialectique... Par moments, j'y ai retrouvé une force comme dans Les Frères Karamazov.

Les histoires d'amour ou l'histoire d'amour est aussi dure, tordue, que magique, splendide... Se faire mal pour s'aimer, se laisser sans se perdre, des années passent, les rencontres creusent les êtres, sans les briser, sans briser ce qui semble être incassable.
Pourtant, tout meurt, tout s'effondre, les buildings aussi.
En 2001, les Twin Towers... Ah oui, j'oubliais de dire, il est question d'architecture, de Beauté, de puissance, de gloire, d'argent, d'empire médiatique, d'idéaux, de manipulation, d'amour.
Etre soi à fond, jusqu'au bout (à la Nietzsche), au détriment d'un collectif idiot et affadi. Etre soi qui n'est certainement pas l'opposé du bien-être collectif. L'égoïsme est un humanisme. Avoir fierté de l'humain. de ce qu'il peut réaliser. Valoriser le Beau et s'il existe de la souffrance, celle-ci ne doit pas gouverner le monde.
Bref, impossible de parler de ce livre en quelques lignes. Il mériterait 25552 thèses de doctorat en diverses sciences.

Si vous ne vous intéressiez pas à l'architecture, vous la considérerez autrement. Car c'est le propre de tous les passeurs de passion.s que de susciter ou d'exciter l'intérêt de son lecteur-auditeur-accueillant. Réussi pour moi.

Il y a quelques longueurs et la traduction est parfois un peu spéciale. J'aurais mis "home" en italique, parce qu'en français il renvoie trop vite à d'autres représentations que ce "home" anglophone si émouvant.

Quel plaisir de découvrir un livre pareil qui a été oublié (ce qui est une honte, je trouve) alors qu'il a d'incontestables côtés intemporels.

Et quels personnages, mazette... Inspirants !

Cette critique n'est pas plus grammaticalement qu'architecturalement correcte. C'est bien ainsi.
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La Source vive plonge le lecteur, par le biais des destins croisés de quatre personnages principaux, dans l'univers fascinant de l'architecture, à l'époque où New-York voyait s'ériger quelques-uns de ses plus fiers gratte-ciels.

Howard Roark est un jeune homme de grand talent, visionnaire, en avance sur son temps, que son aspect, sa personnalité et ses réalisations le désigne à la vindicte populaire. À l'opposé, Peter Keating, architecte sans originalité ni talent, mais conformiste et plein d'entregent, accumule les commandes et les succès faciles. Gail Wynand est un magnat de la presse, qui s'est fait tout seul à la force du poignet et sans s'embarrasser de scrupules, et dont les multiples quotidiens et revues sont les instruments qui lui permettent de forger et de manipuler l'opinion publique. Enfin la sculpturale et indomptable Dominique Francon, elle-même fille d'architecte, est l'inaccessible étoile que ses trois hommes auront comme point de mire dans l'horizon de leur ambition.

Comme le montre la fin de l'intrigue, ce roman, véritable épopée de la modernité, est parcouru par l'aspiration nietzschéenne du surhomme. Il oppose la figure du créateur inspiré par des buts exigeants que le commun juge égoïstes et qui le portent aux réalisations élevées, à son antagoniste, le parasite, qui n'a que les mots "d'altruisme" et de "biens communs" à avancer et dont les aspirations ne mènent qu'au triomphe de la mediocratie. Ayn Rand de son vrai nom Alissa Zinovievna Rosenbaum, philosophe et émigrée échappée au cauchemar soviétique, farouche anticommuniste et opposée à toute forme de collectivisme a par ce roman aux proportions monumentales fort éloquemment illustré le combat de sa vie.
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Une bonne manière de faire tourner la boîte-à-idées : aller voir ou revoir ce qui semble être de l'autre côté, en apparence l'opposé, faire ce pas pour enjamber le fossé, se baigner à l'embouchure de la Complexité...
...
Ayn Rand, théoricienne de l'Objectivisme, terreau de la pensée "libertarian" américaine, dont France Culture lui a consacré une série d'émissions passionnantes cet été, n'est à priori pas du même bord. Je parle de moi, mais aussi des pensées progressistes ou humanistes, "de gauche", traditionnellement prévalantes par chez nous. En surface, bien-sûr, car les développements récents montrent un schisme de plus en plus profond... Mais cela n'est pas le sujet.
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Ce livre m'a été offert il y a une vingtaine d'année par une amie franco-bulgare dont la famille avait fui les persécutions du Bloc, elle-même ne les ayant vécues qu'à travers le récit de ses parents. Moi, passionné d'architecture et militant chez ATTAC, bref, un cadeau fort pertinent, dont la portée symbolique m'avait alors en partie échappé. J'avais alors plutôt apprécié l'histoire, sans vraiment me poser de questions, malgré un certain malaise quant à certains personnages, le prescripteur artistique Ellsworth Toohey en premier lieu, mais sans chercher plus loin, concentré par cette variation littéraire sur le grand architecte Frank Lloyd Wright.
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C'est une autre émission de FranceCu, sur les théories méconnues de villes-agricoles de FLW, qui m'a définitivement renvoyé vers la lecture de ce livre. Vous l'aurez compris en lisant autour, l'histoire et les personnages ne sont que prétextes à défendre une thèse, et cela se voit, fort. Manque de finesse littéraire ou philosophique ? Ou bien simple volonté de clarté, d'intelligibilité ? Toujours est-il qu' Ayn Rand ne s'embarrasse pas de nuances : c'est en cela qu'on peut lui "en vouloir", et plus facilement invalider sa pensée, destinée uniquement à l'émergence de "génies" face à une société normative supposée incapacitante. Simpliste, contradictoire — que l'usage soit adapté à l'exceptionnel et non au courant — tournée vers un élitisme comme état de nature...
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Pourtant, le livre tient bien debout, car l'identification quasi-inévitable au héros, l'idée du "seul contre tous", l'honnêteté intellectuelle face aux inévitables compromissions militantes et politiques, ne peuvent qu'emporter une partie de nous-même dans ce romantisme typiquement américain.
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Ellsworth Toohey est bien le personnage le plus intéressant, même si le "danger" qu'il représente pour la société pourrait aujourd'hui être inversé, par un savoureux effet de miroir déformant, la radicalité étant devenue depuis une forme de conformisme mou, démontrant ainsi que l'individualisme à tout prix, dans le milieu des arts, de la connaissance et de l'apprentissage, ne mène qu'à une dissolution d'une forme d'humanisme universaliste, à une relative disparition des mouvements créatifs collectifs, et à un essoufflement de ce système en général.
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Vous l'aurez compris, ce livre est à prendre comme le témoignage d'une époque, d'une idéologie, qui n'avaient probablement pas bien saisi tous les enjeux, confiant son avenir dans l'avènement de Grands Hommes, sans aucune prise en compte des limites de notre planète, imposant aux Hommes d'arrêter de se mentir.
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Ce billet se focalisant sur le fond, j'espère, ne découragera pas de se plonger dans la forme romanesque, assez réussie, de la Source Vive.
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Un roman pas tout jeune et qui a donné une adaptation au cinéma avec Gary Cooper (Le rebelle de K. VIDOR). Un très beau roman que je suis ravie d'avoir trouvé par hasard ... C'est l'histoire de 2 jeunes gens dans l'Amérique des années 20 :
- Howard ROARK va être viré de l'école d'architecture dans lequel il est censé apprendre les grands maîtres de l'Antiquité à la Renaissance, parce qu'il trouve qu'il ne faut pas se contenter de copier, mais qu'il faut créer l'architecture de demain ...
- Peter KEATING, bon élève, mais laborieux, diplômé, qui ne remet pas en cause les règles, se contente de séduire et de suivre les dernières idées à la mode.
Le bon élève va vite intégrer un cabinet prestigieux (de Guy FRANCON) et devenir le prodige à la mode, tandis que ROARK va s'instruire auprès de Henry CAMERON, architecte novateur, qui a vécu le même parcours que ROARK, mais qui en a été brisé
Parce qu'il refuse les compromissions et croit en ses idées, ROARK (il a la particularité physique d'être roux ...) va perpétuellement être en butte à l'hostilité du plus grand nombre, la grande masse populaire qui pense ce qu'on lui dit et recrache les idées, les opinions qu'on lui a donné à manger via les médias (à l'époque, les journaux essentiellement , ici "L'étendard" le de Gail Wynand, un homme puissant issu d'un milieu très défavorisé et qui s'est construit lui même, comme ROARK). Passionné par son travail, ROARK n'hésite pas à faire tous les métiers du bâtiment pour apprendre comment se créé une maison, un building : il profitera toujours de ses longues périodes d'inactivité en temps qu'architecte pour apprendre ce que ne connaissent pas ces collègues : pas de maison sans ouvriers de tous corps de métier. Il y gagnera le respect des hommes et l'indépendance financière. Libre et détaché autant que faire ce peut des biens matériels, ROARK peut continuer son objectif de création, son objectif de vie : ce qui compose l'essentiel de son être. Sa richesse personnelle, son intelligence et sa confiance en lui lui permettront de mener à bien ses projets sans se trahir.
J'ai beaucoup pensé à un architecte que j'aime beaucoup Frank Lloyd WRIGHT en lisant ce roman, créateur de maisons insérées dans la nature, aux lignes épurées (Falling Water House est à tomber)
Un roman à redécouvrir pour sa puissance d'écriture et sa finesse d'analyse.
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Il y a trois mois je dois avouer que je n'avais jamais entendu parler d'Ayn Rand jusqu'à une série de cinq émissions "penser avec" sur France Culture.
Depuis j'ai passé quasiment ces trois mois à lire les 2 titres les plus connues de cette écrivaine américaine d'origine russe, "La source vive" et "La grève" , qui sont de solides pavés, surtout "La grève", 1800 pages A4 en tous petits caractères.

Les 2 romans, assez similaires, sont une sorte de mélange de la "Route de la liberté" de Milton Friedmann, de Nietzsche et de Dostoïevski. Mais ce qui les rend proprement stupéfiant est que c'est Nietzsche écrit par une femme, et que ce sont très largement, et même surtout pour La Source Vive, des romans d'amour, d'amour extrêmement violent, sexualisé. Les 2 romans, et particulièrement La Source vive, comportent des scènes d'amour inouïes bien au delà ce qu'on peut trouver par exemple dans la littérature française, de Madame Bovary à Albert Cohen.

"L'idéologie" de Rand, anti socialiste voir même anti politique voir même anti société peut être considérée comme odieuse - même si certaines scènes de l'actualité quotidienne comme le psychodrame autour de la vente de livres en supermarchés semblent droit sorties de la grève - mais la force littéraire de l'oeuvre, les dialogues entre la soeur et le frère dans La Grève, les renoncements multiples des personnages au nom de la recherche d'un idéal, sont souvent sublimes et génèrent toutes les quelques pages des paragraphes inouïs.

Si ces romans (hypothèse certes improbable) avaient été écrit par un homme, seraient ils classés au niveau de Nietzsche ou Dostoïevski... La question reste peut-être ouverte.
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Ayn Rand, La Source Vive, 1943, 1945 pour la version française, que j'ai découverte en 1965 et souvent relue depuis pour la force qu'elle m'a insufflée.

Dans ce roman l'auteure, philosophiquement et politiquement engagée, fait l'éloge de la farouche ténacité du créateur qui défend avec acharnement ses convictions et son indépendance, qu'elle oppose à la médiocrité et au conformisme de la société dans laquelle il vit et se débat.

C'est la lutte désespérée contre vents et marées de l'individu habité par une compréhension novatrice de son art et dont la passion confine au martyre en se heurtant et s'opposant à celle, classique mais à la mode, de son groupe social, troupeau mécanique qui constitue la majorité.

Il ne s'agit pas ici de l'éloge de l'individualisme mais de l'individualité, honnie, détestée par le courant socialo-communiste égalitaire qui voit dans toute originalité un adversaire, un opposant à l'uniformité totalitaire qui est son essence ; il s'agit ici de la défense de cette pensée individuelle qui a façonné les civilisations, toutes les grandes oeuvres comme tous les progrès, en dépit de l'opposition et des obstacles que dresse le conservatisme protecteur de toute société, de ses codes comme de ses lois, de ses coutumes comme de ses croyances.

La société, ce troupeau imbécile qui suit au lieu de précéder, est bien sûr constituée d'individus qui ont chacun une individualité propre mais qui ne s'exprime pas, ne se manifeste pas, en sommeil ou paralysée par les circonstances, par le dressage socio-culturel de l'éducation ou par quelque autre accident de la vie. D'autre part, le conservatisme de la société, qui impose ses règles par les automates que sont nécessairement les fonctionnaires, les militaires, les forces de l'ordre et les prêtres des différents clergés, est indispensable à son équilibre et à sa survie. D'où le dilemme si bien décrit dans La Source Vive.

Au sein de la reproduction mécanique d'une espèce vivante cet individu différent n'est-il pas le produit d'une mutation, comme il en est des mutations dans la chaîne de l'évolution ? Ceci n'est peut-être pas une analogie. Et toute mutation, négative ou positive, est un drame ou un espoir incertain. 

Alors que, d'une façon générale, nous ne faisons qu'appliquer ce que l'on nous a appris, c'est-à-dire dupliquer nos connaissances, notre dressage, de très rares exceptions dérogent en effet à cette règle en innovant, c'est-à-dire en apportant une nouveauté, une invention qui, avec plus ou moins de bonheur, modifiera la chaîne de production. C'est cette mutation que nous appelons le progrès. En ce sens le créateur est un mutant. D'où le rejet, pour non conformité, qu'il suscite.

C'est le Howard Roark du roman de Ayn Rand, ce héros détesté qui ne peut s'exprimer, certes avec difficultés, que dans un système social relativement ouvert, c'est-à-dire de structure libérale, contrairement à un système fermé de type totalitaire qui n'accepte pas la différence, à l'exemple des régimes socialo-communistes.

Dans les sociétés primitives, très conservatrices, le mutant est éliminé. C'est aussi le cas dans les théocraties radicales et les dictatures administratives ou militaires, au sein desquelles tout progrès est quasiment impossible. À l'inverse, ce sont les pays libres qui produisent le plus d'avancées dans tous les domaines, dont les USA sont le meilleur exemple. C'est là tout l'objet du roman de Ayn Rand qui défend avec une rare vigueur l'individu dans un pays libre, en opposition à une culture de la tradition, paralysante, sclérosante, que l'on peut observer dans certains vieux pays européens résolument tournés vers leur passé.

Ayn Rand s'est en partie inspirée du père de l'architecture organique contemporaine que fut Frank Lloyd Wright pour transposer son propre ressenti, elle-même être d'exception – tout comme Donald Trump aujourd'hui pour qui ce roman est sa bible. On retrouvera la mise en scène de tels êtres exceptionnels passionnés dans les romans Martin Eden de Jack London et L'Oeuvre d'Émile Zola.

Vilamoura, le 28 juin 2020
Olivier Fougerat
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Un ouvrage long, déroutant, parfois acerbe et incompréhensible. A l'image de son héros, ce roman sort des schémas préétablis et constitue une véritable expérience de par ses choix littéraires, son récit qui apparait parfois irrationnel, et la profondeur du message délivré. C'est une oeuvre qui se mérite. le lecteur doit s'y investir. Elle est malheureusement aujourd'hui totalement dévoyée par les interprétations que des politiques americains en font et s'en prévalent pour justifier un libéralisme effréné.
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Après avoir lu Anthem, je me demandais si les romans suivants d'Ayn Rand seraient plus matures. Alors ? Oui et non.

Non, parce que la philosophie déployée par Ayn Rand est toujours aussi peu subtile. Quelques exemples tirés du discours de fin d'Howard Roark, l'architecte de génie qui doit lutter contre un monde qui maltraite les individualistes comme lui : « All that witch proceds from man's independant ego is good. All that witch proceds from man's dependance upon men is evil. » (p.668) Rand fait des absolus. le bien et le mal sont clairs, nets, séparés. « The creator originates. The parasite borrows. The creator faces nature alone. The parasite faces nature through an intermediary. » (p.679) D'un côté il y a les bons, les forts, les indépendants, les héroïques. de l'autre, les dépendants, les socialistes, les travailleurs sociaux : des parasites. Une division du monde aussi claire, c'est agréable, certes. Il est plaisant de tout catégoriser de façon aussi limpide. Mais c'est illusoire. le monde est gris. Complexe. Quoi qu'il en soit, cette division est erronée. D'un point de vue évolutif, l'homme de base qui lutte pour la survie de son groupe, par dépendance envers son groupe, est tout aussi important que le rare génie qui invente la roue ou domestique le feu.

Il y a du bon dans cet amour de l'égo, cet amour de l'indépendance. Je le sais intimement. Cultiver l'individualité, c'est cultiver un esprit critique, une pensée honnête, un précieux goût pour l'originalité. Mais mettre l'extrême individualité sur un piédestal, c'est se leurrer. Prenons par exemple la fameuse, ou malfamée, scène du viol. Roark, avatar de l'homme parfait selon Ayn Rand, désire Dominique. Alors il viole Dominique. Pas de souci : c'était ce que Dominique voulait. Un fantasme, en gros. Et Roark l'a de deviné. Très bien, Roark ne peut pas se tromper : étant lui-même le fantasme d'Ayn Rand, il est parfait. Mais le problème, c'est que dans la vie réelle, les gens se trompent. Dans la vie réelle, peut-être que le fantasme de Dominique serait un diner aux chandelles, ou un sensuel massage des orteils. Et c'est pour ça que les gens se parlent, communiquent, cherchent le compromis. le compromis n'est pas nécessairement un mal, comme l'affirme Rand. C'est un outil capital de paix, d'entente, de vivre ensemble. Roark ne fait jamais de compromis. C'est le meilleur architecte du monde, point final, et les autres doivent accepter intégralement sa vision ou se passer de ses services. Et si tous les professionnels se targuant d'être bons faisaient pareil ? Et si les bons libraires décidaient pour le lecteur ce qu'il doit lire ? Serait-on mieux servi que dans le communisme qui a traumatisé Rand ? Ensuite, cette notion de « meilleur ». Roark est le meilleur parce qu'il est né ainsi. Il est né intelligent et indépendant. Pourquoi pas : nous naissons tous différents, d'esprit comme de physique. Mais ici, le physique est lié à l'esprit. Roark est beau, mince, musclé. A l'inverse, le méchant communiste, Toohey, est frêle et faible. C'est le genre d'association qu'on tolère dans les productions de divertissement américaines qui ont forgé les opinions de Rand, mais qui devient problématique quand on prétend faire de la philosophie.

Le système de Rand est un fantasme. Les inclinaisons personnelles entre dépendance et indépendance sont bien réelles : Rand, traumatisée par le communisme où, née indépendante, elle est violentée par le règne de la dépendance, rêve de l'individualisme total et parfait. Dans sa préface, elle raconte une scène où son mari la réconforte longuement alors qu'elle désespère de finir son roman, ce qui lui redonne de la force. Mais dans le roman en question, Roark est en conflit professionnel terrible avec son amante : elle veut le ruiner en tant qu'architecte, car elle pense que le monde ne mérite pas son génie, ou quelque chose comme ça. Roark, comme il est parfait, aime ça : ça lui fait juste du défi en plus. Rand aurait-elle aimé que son mari se comporte ainsi ? Non : parce que dans la vraie vie, même quand on est très indépendant, l'entraide, c'est positif. Et pas seulement l'entraide basé sur l'intérêt personnel, comme le conçoit Rand.

Alors, The Fountainhead est donc un mauvais roman ? Pas du tout : c'est excellent. J'ai adoré. C'est en cela que c'est une oeuvre mature : Rand parvient dans la fiction à donner une intense cohérence à sa philosophie douteuse. Tous ses personnages sont les incarnations d'une position par rapport à son système. Roark est l'absolu, guidé par une inaltérable force intérieure. Dominique est proche de l'absolu, mais trop éloignée pour affronter le monde : alors elle le hait et entretient avec lui une relation provocatrice et auto-destructrice. Keating est l'homme de la foule, celui qui renie son identité pour suivre le flot des masses. Wynand est l'homme grandiose mais résigné, qui a mis son génie au service de la foule, seule façon de ne pas se faire dévorer par elle. Et Toohey est le vil socialiste, incarnant toute la haine de Rand pour collectivisme. Ces personnages sont extrêmes, et c'est ce qui fait leur charme. On se laisse aisément prendre à leur quête d'individualité, et pour Toohey, à sa quête de pouvoir. Toohey est d'ailleurs le vecteur d'un brillant monologue sur le totalitarisme soviétique. Les idées sont des armes, et le monde un champ de bataille métaphoriquement sanglant, jonché de victimes et de soldats fanatiques, où s'affrontent individualisme et collectivisme. Une vision terriblement réductrice, mais qui le temps d'un long roman à idées diablement bien mené emporte aisément par sa fougue narrative tout en stimulant abondamment l'esprit, et l'esprit critique en particulier en ce qui me concerne. J'ai hâte de lire Atlas Shrugged.

Lien : http://lespagesdenomic.blogs..
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New-York dans les années 1920-1930 bouillonne d'activité et d'ambition. Les gratte-ciel s'élèvent, les fortunes se font et se défont, les empires de la presse s'érigent. Un roman-fleuve, une saga philosophique sur le monde de l'architecture et de la presse, qui relate de manière brillante les idées capitalistes et individualistes qui ont fait cette ville. La longueur et l'artificialité de certains dialogues, l'absence d'évolution des personnages, la froideur de la narration et, paradoxalement, le manque d'ancrage social et historique lassent cependant trop souvent le lecteur, épuisé par la densité du propos et le peu d'empathie qu'il ressent pour les personnages.
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