Étrangère
Être artiste au travail à l’hôpital, c’est être un étranger en exploration. Mon travail, mon geste, mon intention sont au départ étrangers. Et l’étranger est d’abord une créature ignorante et étonnée. Ici au Québec, comme dans tout autre lieu traversé, l’ignorance et l’étonnement sont mes principaux outils. Quand l’évidence disparaît, l’idée même de la familiarité et de l’habitude est balayée, et peuvent alors surgir des formes inattendues. Une artiste sur un cargo, dans une prison, dans un hôpital est d’abord en situation d’étrangeté, de celle qui vous rappelle que l’évidence n’est qu’un point de vue, que l’étonnement face au monde est une planche de salut, et que l’art ne peut advenir qu’en décalant le regard.
Cécile Raynal – Tant que tournent les roues, Sept mois dans les espaces des Chu de Montréal, 2013. (p. 96)
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« Les sculptures ne parlent pas, irradiées de tous ces espaces-temps de création, mystérieux et singuliers voyages…et pourtant elles s’adressent à nous. De ces ateliers nomades, lieux de rencontres improbables, elles cheminent, prennent forme et se nourrissent de la passion de l’autre, de ses turbulences, de ses visages. Le dénominateur commun de ces expériences de vie est bien le regard, outil d’approche, boussole, réponse à l’angoisse, il se risque sans faillir et nous garde de la barbarie (…)
Cécile Raynal tient dans le creux de ses mains un peu de ce temps, y demeure par miracle et accepte de ne pas en sortir indemne. Quand le regard se fait écoute, une écoute vibrante qui alerte, il se confronte à l’invisible ou indicible question, qui suis-je ? où vais-je ? une intranquillité qui cherche, qui débusque le désir et avance, les yeux ouverts sur le vide, pas à pas comme un funambule. Quelle liberté pour s’inventer, la réponse est peut-être dans le rapport à cet autre que soi, à cette altérité si nécessaire jamais suffisante, une navigation incertaine. »
Anne-Marie Husson, présidente de l’association Regards croisés de 2013 à 2015 (p. 103).