Dimitri Marguerite, 27 ans, est correspondant à l'AFP. C'est un rêveur. Il est persuadé qu'un hasard prodigieux lui fera recroiser la fille étrange et fascinante entre'aperçue à Madrid, puis à deux reprises à Paris. Cela tourne à l'obsession. Un rêveur, et un railleur. Il dit et écrit ce qu'il pense : par exemple quand il s'intéresse à l'expressionnisme abstrait américain ; ou un peu plus tard à la manoeuvre d'un grand capitaine d'industrie français qui en 1974, a privé la nation d'une invention majeure, et par conséquent de la possibilité de faire jeu égal avec les États-Unis, voire de viser une position de leader dans la révolution numérique contemporaine naissante.
Au moment de publier ses notes, Dimitri meurt dans un stupide accident (?) de la route, aux environs de Trégastel.
Le roman commence comme ça, et finit aussi comme ça.
Dans les médias on présente le
Eric Reinhardt de la rentrée littéraire 2020 comme une enquête sur "le fiasco de l'Internet français". C'est un raccourci accrocheur qui ne rend pas vraiment justice au foisonnement de ce gros roman passionnant, étonnant, parfois irritant, mais véritablement réjouissant !
J'ai choisi de lire
Comédies françaises par curiosité pour cette histoire dont je connaissais un peu les contours, pour savoir ce qu'
Eric Reinhardt en ferait dans un roman, et comment.
Je ne suis pas du tout déçue. C'est très inattendu et original. Et drôle. Et casse gueule, avec d'un côté le risque de lasser les lecteurs et lectrices qui n'ont aucun goût pour l'histoire et les technologies d'Internet ; de l'autre, celui d'agacer ceux qui en ont une vision différente de celle qu'il leur propose.
Il y a forcément des simplifications, des interprétations, des exagérations, des ellipses, des choix narratifs (je me répète : c'est un roman !).
N'empêche, je me suis laissée embarquer sans résistance par l'aplomb de l'auteur quand il délivre sa leçon sur la commutation de paquets ! J'ai encore moins de repères et de connaissances pour juger la pertinence de son analyse du coup d'
Ambroise Roux, mauvais génie de Giscard ! En tout cas, elle est séduisante et donne naissance à des scènes fictives extrêmement drôles (comme celles où le héros harcèle VGE...).
Pourtant, le datagramme de Louis Pouzin, et le machiavélisme d'
Ambroise Roux ne sont pas les seuls thèmes du roman (je ne détaillerai pas les développements sur le surréalisme, la paternité de
Max Ernst sur la technique de dripping de Jason Pollock, le lobbyisme, le théâtre contemporain, et autres dadas du très généreux Eric Reinhardt).
Dimitri est un héros romantique 3.0. Idéaliste, surdoué, naïf, mégalo, maladroit, roublard, il se shoote à l'imaginaire, comme tout bon romancier qui se respecte, mais
Eric Reinhardt ne lui laisse pas le temps d'écrire, il l'envoie rejoindre le club des 27... Écrire, il le fait à sa place, et m'est avis qu'il le connait bien, comme qui dirait intimement !
Un drôle de zigue ce Dimitri, agaçant, pas vraiment sympathique, mais au milieu du livre, je me suis surprise à compter les jours qui lui restaient à vivre ; les derniers jours justement font basculer le roman dans le thriller (toutes proportions gardées), du suspense, de l'action, un décor de film de
Chabrol...
Comédies françaises est un roman fleuve avec boucles et affluents : digressions, incidentes, fictions dans la fiction ; des répétitions voulues, des ruptures de rythme, des longueurs et lenteurs parfois, des accélérations ; des adresses au lecteur, ironiques. C'est la manière habituelle d'
Eric Reinhardt qui m'avait plutôt gênée dans ses deux précédents romans alors que cette fois j'ai suivi le mouvement sans peine, avec plaisir.