La vengeance du frelon noir

- Une fois, j'ai réalisé un film, dit-il avec un ton teinté à la fois de douce nostalgie et d'ironie mordante à son propre endroit... Pas franchement une réussite, pourtant je croyais très très fort au concept.
- Ah ? Je l'ai peut-être vu...
- Oh non. Personne ne l'a vu. Figurez-vous, chère Philomène, que j'avais écrit un script très puissant, un homme parcourait une série de décors à l'esthétisme exacerbé où chaque élément, chaque objet, lui rappelait une femme qu'il avait aimé. Il traversait un jardin japonais, une usine de métallurgie évoquant les Enfers, un chalet alpin, une vallée au coeur de laquelle coulait un torrent... Mais surtout, surtout, le texte était poignant...
- J'aime beaucoup l'idée, répondit poliment Philomène, également pour l'encourager à en dire davantage.
- Je disposais d'un budget modeste alors, in fine et après moult réflexions, j'ai décidé de filmer mon acteur en gros plan, son visage en plein cadre vous voyez. Et je lui ai demandé d'imaginer avec intensité les décors décrits dans le scénario et de déclamer son texte en son for intérieur, sans prononcer une seule parole.
- Quelle prodigieuse innovation ! s'extasia Philomène, presque sincère et admirative devant tant d'avant-gardisme. Quel fut donc le résultat à l'écran ?
- Quelque chose de très chiant, avoua Paul-André. Pas du tout aussi évocateur que je l'avais espéré...
- Vous auriez sûrement dû conserver les décors et les personnages... Et faire parler l'acteur. L'histoire aurait été plus explicite, probablement...
- On fait tous des erreurs, conclut le scénariste en resservant du vin à Philomène.