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Les invisibles" nous lancera sur une aventure mêlée de fantastique mais le vrai sujet se dévoilera très tôt à la lecture: les sans-abris.
Sous le prétexte de l'invisibilité extraordinaire mais subie, le roman ado traitera de la visibilité sociale, de l'exclusion.
On le lit, la mère de l'héroïne aura peur d'accoucher d'un enfant normal, comme certains parents portant un handicap de nanisme ou de surdité peuvent le ressentir, de peur de ne pouvoir élever un enfant normal dans les conditions du handicap mais aussi de peur d'être jugé par son propre enfant par la suite, on en conviendra.
Il est plus simple et rassurant d'élever un enfant qui ne se posera pas de questions sur la normalité ou la conformité de ses parents, il est plus pratique de vivre ainsi, en marge d'une société majoritaire qui ne vous considèrera pas toujours, voire même qui vous ignorera sciemment. Aussi ignorons la nous aussi.
Il y aura donc deux angles exploités sur le thème de l'exclusion: le communautarisme et l'exclusion de personnes sans toits ni attaches personnelles.
Avec sa mère, l'héroïne va former une famille hors norme, invisible, dont le monde ne soupçonnera pas l'existence.
Elles seront là l'une pour l'autre, avec leurs propres règles de vie, puisant à loisir de quoi se vêtir, se nourrir chez les autres, squattant même à leur insu leur maison comme des fantômes.
Nous nous poserons forcément des questions concernant la sociabilité de ces personnages sils n'ont de contacts avec personne d'autres qu'elles-mêmes?
Le roman répondra à cette question, Pie (l'héroïne) aura eu une amie: Tess.
L'invisibilité.
L'auteure
Mar Romasco-Moore exploitera le phénomène de l'invisibilité d'une façon intéressante pour corser la situation: le talent est un ami, un allié, jusqu'à ce que la perte de contrôle éloigne après les êtres aimés. Il aura alors tout d'une malédiction.
Bouleverser par des événements à découvrir par le lecteur, le discrète et furtive Pie comencera à se faire remarquer du public, en faisant disparaitre des choses de plus en plus importantes en les touchant et à cause de ses humeurs.
Ce qui n'arrangera pas les choses: sa mère, disparaissant de plus en plus fréquemment de la vue translucide de Pie.
Va t-elle se trouver plus seule que jamais en entendant mais ne voyant plus sa mère?
Le roman développera le thème de la solitude avec cette jeune demoiselle de 17 ans qui n'aura pas connu tous les grands moments de l'enfance et de l'adolescence classique.
Quid de l'avenir pour quelqu'un comme Pie qui n'aura pas à songer à devenir une citoyenne utile à la société en choisissant un métier, en apprenant à vivre avec les autres?
Quid de Pie si sa mère disparait complètement?
Invisibles et libres comme l'air.
Le duo jouira de la liberté d'aller où bon leur semblera, empruntant la voie des trains, vivant comme des "Hobo" (américains vivant de petits jobs sans domiciles fixes).
Et puis, Pie éprouvera le sentiment de se poser, de s'attacher, de revenir sur un lieu familier et cher.
De revenir peut-être vers quelqu'un qui compte, quelqu'un d'autre que sa mère, avec qui ce n'est pas tous les jours facile - encore moins avec l'adolescence-.
Pie est amoureuse.
On le remarquera depuis cette dernière decennie au moins, les romans ados ne s'embarrasseront plus de fausse gêne autour des orientations, pour permettre à leurs personnages de vivre l'amour qu'ils ont choisi (ou qui les aura choisi) donc on s'éloignera de façon évidente peu à peu des sujets de coming out obligatoires, qui permettaient de valider le sujet par souci de tact et de conserver un lectorat grands ados hétérosexuelle que l'on pensait majoritaire dans un esprit de bon ton.
Le roman ado et ses éditeurs définiront aussi ainsi plus exactement, on le pensera, le pouvoir qui est le leur, ils feront réfléchir mais n'influeront pas sur l'orientation sexuelle de leurs grands lecteurs.
Ces choix existent par eux-mêmes.
Pie sera amoureuse d'une autre fille mais nous, lecteurs, ne saurons pas tout de suite si cette autre fille connait son existence, si les sentiments sont partagées, Pie nous en parlera avec pudeur et tendresse, connaissant les habitudes de vie de Tess.
Pie est-elle une voyeuse, vit-elle un amour à sens unique à envisager Tess toute invisible qu'elle est?
Tout ceci offrira une bonne amorce pour s'intéresser et s'accrocher au livre.
L'écriture est fluide.
On s'attachera à ce personnage de 17 ans, sensible à sa vie d'"enfant de la balle" et mise à l'index de sa propre vie à cause du pouvoir héréditaire d'une mère qui tendra à se montrer parfois ferme pour s'assurer de pouvoir subvenir à ses propres besoins seule.
On ne sait pas qui est le père, Pie nous confiera quelque chose de troublant à son sujet.
Parfois, Pie en a marre, envoie tout valser, comme un fantôme.
Nous aurons envie de savoir ce qui peut l'attendre de prometteur et de réjouissant pour ses 20 ans, ses 40 ans...
Son orientation coupera court à toute autre hérédité.
Ce secret mourra t-il avec elle à l'insu de tous?
On aime bien.