De père inconnu

1 Pas difficile de capitaliser quand on n’a que soi à penser. La vie de couple ? Trop difficile à gérer. Pas le temps, ni la volonté de faire les concessions nécessaires à un ménage harmonieux, si tant est que l’harmonie puisse vraiment exister entre deux êtres. Les enfants ? Et puis quoi encore ? Quel intérêt de se défoncer à réussir sa vie professionnelle, si c’est pour se retrouver avec un boulet au pied et en prendre, par la même occasion, pour perpet’ ? Non Joëlle Mercier n’est pas de ces femmes qui voient en la maternité, l’aboutissement d’une vie. Elle n’a jamais eu le fantasme du pavillon en banlieue, des plantations fleuries au printemps, du chien qui court partout en aboyant joyeusement, des embouteillages en juillet pour se rendre sur les plages du Sud où l’on s’entasse les uns sur les autres. Ni celui du stress de la rentrée avec passage obligé par le rayon papèterie où des gosses trop gâtés font des pieds et des mains pour obtenir le dernier cartable à la mode ou encore le stylo plume qui donnera à ces chères têtes blondes le sentiment d’être uniques lorsqu’ils rendront des rédactions aux lignes turquoise. Non, tout ce qui touche de près ou de loin à la vie de famille lui donne des hauts le cœur rien que d’y penser. Elle préfère la seule chose que personne ne lui prendra jamais, sa liberté.

Pour Joëlle, Le Creusot est avant tout la ville où elle est née et où elle a grandi jusqu’à la mort de sa mère. La perspective de devoir la traverser au beau milieu de la nuit ne l’enchante pas plus que ça. Mais pour le moment, elle essaie de ne pas y penser. Elle doit se concentrer sur le but de cette virée nocturne et tenter de remiser dans un coin de sa mémoire ce qu’elle a fait ce soir. Elle ne s’inquiète pas de sa conscience, car contrairement à la mémoire qui grave les évènements, la conscience les laisse, la plupart du temps, disparaître avec le temps. Le poids qui pèse sur vos épaules au sortir d’une action au mieux douteuse, au pire mauvaise, s’allège généralement de façon exponentielle à mesure que le temps passe. L’humain est ainsi fait et Joëlle n’échappe pas à la règle.