L'Argonos est un vaisseau-cité sillonnant la Galaxie, comptant à son bord plusieurs milliers d'êtres humains. Habitants ou passagers ? La question se pose, car si cette odyssée a une origine et un but, tous deux se sont perdus dans les mémoires depuis plusieurs siècles.
La nef des fous est le récit des évènements qui constituent vraisemblablement la période la plus critique de l'Histoire de cette petite communauté.
J'ai passé un très agréable moment de lecture, sans pour autant avoir été scotché par l'ambiance ou l'histoire.
On est sur un récit d'aventures et d'exploration spatiale que je qualifierais vaguement de classique. L'action se déroule, tour à tour et de manière équilibrée, sur une planète inconnue, dans un vaisseau alien abandonné, et dans l'Argonos lui-même.
Déjà, il faut reconnaître que les 400 pages de ce roman se lisent sans aucun effort, ce qui compense largement la présence de certaines longueurs, pour ceux qui les remarqueraient. le style est sobre et agréable, axé sur le récit et les dialogues. Les chapitres courts et homogènes (10 pages) contribuent à la fluidité de la lecture. Point de twists, point de cliffhangers. Ici la tension narrative est assurée pas la seule mécanique de la lente exploration et du suspense qu'elle suscite, avec son lot de mystères et de dangers.
Le héros et narrateur de l'histoire – Bartolomeo Aguilera – a la particularité d'être né avec des bras atrophiés, handicap qu'il compense à l'aide de prothèses métalliques. Comme dans
Roche-nuée, la difformité du héros fait de lui une personnalité atypique à l'esprit particulièrement brillant. Mais alors que dans le roman de
Garry Kilworth, le background du héros est essentiel à l'histoire et particulièrement bien exploité, celui de Bartolomeo sonne un peu creux ou artificiel : j'ai passé les quatre-cinquièmes du roman à m'interroger sur ce choix précis de difformité, avant d'en comprendre la raison.
Puisque j'en suis aux personnages, à l'exception notable de Père Veronica je les ai trouvés tantôt ternes, tantôt inconsistants. C'est l'aspect qui m'a le plus gêné, sans être rebutant.
La rivalité opposant l'évêque Soldano et le capitaine du vaisseau – Nikos Costa – sert de fil conducteur. Pourtant, la lutte de pouvoir qui nous est vendue n'impressionne pas. Nikos semble manquer de force de caractère de manière récurrente, tandis que l'évêque tarde à démontrer sa dangerosité.
La relation entre Bartolomeo et Nikos (une vieille amitié trahie) avait du potentiel, mais je l'ai trouvée par trop erratique.
Finalement, c'est peut-être le personnage de Bartolomeo qui m'a le plus posé problème : héros à la personnalité atypique et insaisissable, malaimé mais confident de tous, ses propres motivations ne sont jamais explicitées, et ses choix parfois peu logiques.
Les grandes qualités de ce roman sont à mon avis :
- le récit d'exploration dont la progression savamment dosée parvient à maintenir constant l'intérêt.
- le thème du religieux, porté par les discussions très intéressantes entre Bartolomeo et Père Veronica, mais aussi et surtout par le vaisseau lui-même et la cathédrale qu'il abrite en son sein.
Le découpage en grandes parties est assez perturbant, car on a l'impression d'une juxtaposition sans fil conducteur. Heureusement, les cent dernières pages permettent de recoller les morceaux en offrant au moins une hypothèse explicative. Ces cent dernières pages sont par ailleurs particulièrement rythmées, avec une accélération de la tension et… oui : il se passe vraiment des choses à la fin, et l'auteur fournit certaines réponses aux questions posées, sans que le mystère autour des aliens soit complètement élucidé.
Dans la première partie, l'insurrection développe de manière significative la thématique de la lutte des classes au sein du vaisseau. Cette thématique m'a semblé un peu hors sujet avec le recul. Une histoire dans l'histoire.
Le thème de la confrontation avec une intelligence non humaine dont on ignore quasiment tout m'a rappelé les romans de
Jean-Michel Calvez. En particulier, la question du choix d'attaquer le premier ou pas et ses conséquences, est traitée plus en détail dans
l'Arène des géants, du même auteur.
Celles et ceux qui auraient souhaité une lutte pour le pouvoir plus appuyée peuvent essayer
Pyramides, de
Romain Benassaya. Je n'ai pas aimé ce roman, mais il est centré sur les intrigues, et traite par ailleurs des thèmes de l'exploration et de la colonisation.
J'ai aussi pensé à l'excellent Déchronologue, de
Stéphane Beauverger, qui dans un univers complètement différent, tisse une histoire complexe autour d'un vaisseau très singulier. Aventures et exploration sont également au rendez-vous.