La vie clandestine, ou comment la force d'attraction de ce qui fait un chemin d'écriture se manifeste à son auteur qui en fait la matière même de son livre.
Dans un prologue d'une vingtaine de pages,
Monica Sabolo nous parle de son état ( assez troublé) au moment du démarrage du livre, puis de ses intentions d'écriture, du sujet anti autobiographique qu'elle pense avoir trouvé : retracer le parcours des militants d'Action Directe qui mène 4 d'entre eux à assassiner froidement le 17 Novembre 1986 ( sous le mandat de François Mitterand) un homme au service du grand capital et de l'état ( le patron de la régie Renault) pour des raisons idéologiques. Elle évoque la manière dont ce sujet l'a rattrapée sur un plan intime, au travers des questions de la violence, du secret et du pardon possible ou impossible.
Le livre alterne les chapitres d'enquête entre consultations d'archives et rencontres d'acteurs proches de l'histoire, les chapitres de doute et de difficultés à l'écriture avec tout le cheminement intérieur de l'auteure et ses questionnements intimes et les chapitres de remontées de souvenirs dont les bribes viennent s'insérer dans un puzzle non totalement achevé.
La qualité de l'écriture qui crée une atmosphère en osmose avec le flottement issu d'une vie pleine de non-dits et de mystères est pour beaucoup dans le plaisir que j'ai pris à lire ce livre.
Ce livre a réouvert ma mémoire sur des faits qui ont marqué la fin des 1970 et les années 1980 que j'ai traversé avec une certaine insouciance alors qu'ils étaient clairement le prélude à ce que nous vivons aujourd'hui que ce soit au plan économique ou au plan politique.
J'ai été frappée, au travers des faits répertoriés par l'auteure de constater à quel point cette époque étaitdéjà chargée de violence aveugle avec tous les attentats terroristes des mouvements révolutionnaires comme les Brigades rouges en Italie, la Fraction armée rouge, et Action Directe en France.
Que reste-t-il de ces combats à l'heure de la toute- puissance du modèle économique libéral ?Que reste-t-il de ces hommes et de ces femmes auxquels l'auteure s'efforce de donner chair, semblant penser que cette « chair » est une aide sinon à la compréhension, du moins à une certaine empathie ?
A la lecture, j'ai bien ressenti tout le chemin de l'auteure qui nous dit constamment « d'où elle écrit », posture à laquelle je suis sensible (Qu'
Emmanuel Carrère , me semble-t-il, a installé dans le paysage littéraire français)
Ce livre est riche de toutes ses facettes, il faut accepter son côté kaléidoscope, ce n'est pas un livre d'enquête même si on apprend des choses sur Action directe et ses acteurs, ce n'est pas non plus une simple auto fiction. J'ai aimé sentir la puissance de l'inconscient et l'engagement personnel de l'auteure qui se met à nu, pas de façon égotique mais plutôt en nous invitant à nous questionner sur notre humanité.
Je remercie Babelio pour cette lecture très riche, d'une auteure à la sensibilité qui me touche, grâce à l'envoi de ce « roman » en avant-première.