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Citations sur Le lit défait (75)

Tu vois comme tu es méchant, dit-elle. Mais penses-y, Édouard, dans dix ans, tu auras tout oublié de nous -et moi aussi. Toute cette passion te paraîtra bien excessive et toi, tu te réfugieras dans la tendresse avec une autre.
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Ce n'est jamais l'autre qu'on aime, c'est son propre amour. p280
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Il n'y avait rien dans cette pièce qui ressemblât à Béatrice personnellement, rien qui lui permît de s'identifier à l'héroïne. Il avait voulu lui plaire par sa seule force d'écrivain, et sans aucune autre référence que celle de la beauté ; et il n'y avait qu'elle seule, peut-être, qui soit à même de mesurer la rigueur de cette décision, à même d'apprécier la maniaquerie sublime et presque folle qu'avait impliquée pour lui cette objectivité. Il avait espéré qu'elle le comprît mais il n'y avait jamais cru. Et là, devant ses larmes, ses yeux et sa voix, il restait comme foudroyé de bonheur : elle l'aimait, elle le comprenait, elle l'admirait, il était sûr de tout, d'elle, de lui, et même de ses Nicolas à venir. Ils étaient liés à présent par ces larmes heureuses, enfin partagées, après les larmes solitaires de Béatrice sur Jolyet, ou les siennes, à lui, tant de fois et tant de nuits… Ils s'étaient fait souffrir, ils en avaient souffert, et ils pouvaient encore, après un an, se dire « Je t'aime » avec la même terreur sacrée. Et quand il le lui dit, elle se borna à répondre « Moi aussi » d'une voix comme apeurée.
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— Tu sais, dit-elle en lui lissant les cheveux, j'ai lu ta pièce ce matin, pendant que tu dormais…
Édouard eut un mouvement de tête comme s'il s'attendait à un coup, et le sentant, Béatrice ajouta très vite :
— C'est très beau, tu sais, c'est vraiment très beau. Tu es un grand écrivain, Édouard.
Il releva les paupières, rencontra le regard de Béatrice et sut qu'elle disait vrai. Des larmes de triomphe et de fatigue lui giclèrent des yeux. Et alors, en même temps que lui, elle sut que quoi qu'il dise et qu'il se soit dit, son avis à elle, l'instinctive, la féroce, était le seul qui lui importât. Il l'aimait. Ce garçon compliqué, châtain et tendre, ce grand blessé, éclatant sous ses secrets et sous ses dons, cet animal niais, irrésistible et jaloux était à elle. Et se penchant, elle posa la tête sur son front et sentir leurs larmes se mêler, comme dans les romans les plus sots. Ils pleuraient tous deux, sans secousses ; et quand le soleil de février, un soleil oublié, incongru et pâle, traversa la chambre et les rejoignit, elle faillit croire en Dieu, au genre humain et à la logique irréfutable de cette terre tournante.
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Il s'agissait de tout autre chose : du fait qu'elle avait couché la semaine précédente avec un garçon nommé Nicolas, qu'elle en avait retiré beaucoup de plaisir, et que cela ne se reniait pas. Et si, à ses yeux, les devoirs d'une femme, d'ailleurs, s'arrêtaient là, elle obéissait cette fois-ci à une loi morale, bizarre pour beaucoup, mais, à ses yeux, fondamentale : la reconnaissance. (Loi qu'observaient encore, par bonheur, de rares mais inflexibles citoyens des deux sexes.) Car vraiment, il n'était pas supportable que l'on évoquât devant elle, comme d'un eunuque ou d'un pantin, le corps solide, les mains douces, la bouche habile de cet homme qui s'était dévoué à son plaisir comme elle s'était dévouée au sien. Même si elle avait eu très longtemps une idée ridicule de l'amour sentimental, elle ne l'avait jamais eue de l'amour physique. Il lui avait toujours semblé qu'il y avait une dette d'honneur entre un homme et une femme, si cette dette avait été contractée au fond d'un lit. Et que les agios de ces dettes se soient traduits le plus souvent pour elle par des cris, des larmes et de sanglants règlements de comptes, n'était pas important. En revanche il aurait été déshonorant de renier tout cela, tous ces instants superbes passés bouche à bouche, toutes ces impérieuses questions et toutes ces évidentes réponses, toutes ces nécessités absolues, ce besoin que l'on avait eu l'un de l'autre. Même si à l'heure présente elle n'avait plus envie de ce regard, de cette bouche ou de ce corps, et même si le fait de les honorer dans sa mémoire, et de se refuser à les renier ou à les travestir, devait entraîner pour elle la plus cruelle des infirmités – c'est-à-dire la perte d'un autre corps, d'une autre bouche et d'un autre regard.
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— J'avais un peu peur, dit Tony – ravie d'avoir enfin quelqu'un qui l'approuvât – les gens sont si bêtes et Béatrice si imprudente… Elle aurait pu sortir avec n'importe qui, une horreur, même, comme ce pauvre Cyril, ça aurait fait jaser. Mais Nicolas, le fidèle Nicolas ! Ça a rabattu tous les caquets. Les gens ont beau être vicieux…
— Évidemment, acquiesça Édouard, évidemment…
Il était un peu déconcerté et un peu déçu. Il était parti résigné, non pas à ce que Béatrice le trompe – car cela, il ne pouvait même pas y penser sans avoir envie de se tuer – mais résigné à ce qu'elle profitât de son absence, après tous ces mois de cohabitation, pour vérifier son charme auprès d'autres hommes. Nicolas, lui, ayant subi une fois déjà ce charme et y ayant échappé, était pour lui logiquement, mithridatisé. Dans l'imagination d'Édouard, c'était les « Gino » qui étaient à craindre, les nouveaux. Il ne se rappelait pas à quel point cette jolie et nouvelle jeune femme, à New York, lui avait semblé sans charme à côté de Béatrice. Bien sûr, pendant cinq ans, il avait parfois souffert le martyre dans son lit solitaire, en se souvenant de certains gestes de Béatrice, mais il n'avait jamais pensé que ces souvenirs forcenés et brûlants puissent être les plus durables, ni que leur persistance parfois, obligent à la fidélité les cœurs les plus distraits.
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— Tu aurais tort, dit Nicolas en levant la main. Moi qui ai lu la pièce d'Édouard, cet été, je peux te dire que c'est la pièce d'un homme sensible, intelligent et tendre… Mais qu'est-ce que tu as ? demanda-t-il d'une voix changée.
Car Béatrice, qui n'avait été jusque-là qu'obscurément vexée de ce que Nicolas lui eût été préféré comme lecteur, avait de nouveau les larmes aux yeux. Elle tenait là la preuve par neuf de son impuissance, la preuve qu'elle n'était rien d'autre pour Édouard qu'une maîtresse excitante, ou un séduisant bourreau. Elle ne pleurait plus à présent sur elle-même. Elle pleurait sur les efforts qu'elle n'avait pas faits, les cruautés qu'elle n'avait pas fuies ; et sur une solitude qu'elle n'avait pas su briser et qui était celle de son amant.
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Elle gisait dans un élégant camaïeu, à base de bleu comme son déshabillé, les murs et les cernes sous ses yeux. Elle se sentait fort mal. Édouard n'ignorait pas que pour Béatrice, toute baisse de tension, toute maladie était un outrage, et il en voulut pas y confronter sa bonne santé, ni même si bonheur d'être revenu. La comprenant fort bien, enfin croyant la comprendre, il se mît à roder dans le jardin, la salle à manger, le salon, la cuisine, comme un malfaiteur ou un indésirable. Malheureusement Béatrice ne vit, dans ces ménagements, qu'une forme d'indifférence. « Il y a un an, se disait-elle, il eût été là, à trembler, avec un thermomètre, des fioles, des médecins, des lectures et des pâtes de fruit. Il ne m'aime plus. »
Le quiproquo devint total : il se voulait discret, elle le croyait ailleurs ; il chuchotait dans la cuisine, elle le croyait dans un bar, clamant ses triomphes.
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Elle se coucha et s'étira dans son lit avec félicité. Demain il y aurait un pied sur le sien, un poids en travers de son corps, un être humain près d'elle toute la nuit qui l'encombrerait autant qu'il la rassurerait, quelqu'un qu'elle ne pourrait pas, ni ne voudrait pas, rejeter de son lit même s'il la dérangeait dans ses forces vitales, celles du sommeil et de l'oubli ; quelqu'un dont pour une fois elle supporterait qu'il représente l'inconfort, le doute et les complications et auquel, même, elle les réclamerait.
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— Tu penses lui dire quelque chose ? demanda Nicolas.
Béatrice sursauta.
— Mais non, tu es fou ! Pourquoi lui faire de la peine ?
Le regard de Nicolas la quitta et revint sur le feu.
— Tu crois que cela lui ferait vraiment de la peine ? Enfin, uniquement de la peine ?
— Que veux-tu dire ? dit Béatrice.
Elle était agacée, et tout à coup en colère. De quel droit Nicolas – fût-il son plus vieil ami, son meilleur ami et son amant actuel – de quel droit se mêlait-il de ce qui était tout uniment : la base même de sa vie ? Cependant elle aurait aimé être plus surprise de sa question, ou plus indignée.
— Il l'a su une fois, dit-elle, et crois-moi, il ne l'a pas bien pris.
— Il ne peut pas prendre ça bien, dit Nicolas : il t'aime. Mais ne t'aime-t-il pas un peu pour ça ?
— Tu veux dire qu'il est masochiste ? demanda Béatrice.
— Oh non, dit Nicolas, ce serait trop simple. Quand tout va bien, il est heureux avec toi. Mais je veux dire, quand tout va mal : aussi. Il se sent vivre quand il a peur de tout perdre…
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