Au début de l'ère informatique, les femmes, nombreuses dans l'aventure, faisaient les calculs fastidieux tandis que les hommes se gardaient le câblage et vissaient les boulons, selon la règle établie que les boulots assis, à base de crayon papier, ressemblant à ceux des secrétaires comptables et dactylos, étaient réservés aux femmes. Dans la première partie de l'ouvrage,
Mathilde Saliou rappelle l'histoire chronologique des calculatrices, généralement mathématiciennes bosseuses et à fulgurances, d'Adélaïde Lovelace ou
Hedy Lamarr, à nos créatrices actuelles de startups, en passant par Grace Hopper, inventrice de l'interface femme-machine comme on devrait dire (au contraire de ma première SSII dont les ingénieurs m'ont appris sans faiblir à dire "homme-machine"), puisque c'est elle a inventé le premier langage de compilation, le Cobol, permettant de programmer des machines en utilisant des commandes proches du langage humain, et langage intéressant par sa portabilité entre systèmes. Puis à un moment tout bascule : les machines étant devenues opérables et fonctionnelles, donc dépourvues du charme pionnier, les hommes arrivent à la programmation et, selon une méthode éprouvée, s'emparent des commandes, renvoient les femmes, et effacent les pionnières en arrangeant l'histoire à leur sauce, à base de "mythes du garage où tout à commencé", et en faisant de l'endroit une "zone de prédation" : si quelques obstinées s'y aventurent, c'est à leurs risques et périls. Elles doivent en plus, forcément, en adopter tous les codes virils, id est maltraitants.
Pendant le même temps, les débuts de l'Internet libertaire des pionniers se transforment insidieusement en zone publicitaire et marchande de siphonnage de données sous la houlette des gars "du garage" buveurs de soda et mangeurs de pizzas à clavier gras, tels les fondateurs de Facebook, Google, Microsoft, Amazon and Co, leveurs de fonds et bientôt milliardaires imposant leurs standards, enfermant les utilisateurs/trices dans des "rabbit holes", faisant leur beurre avec nos métadonnées extraites à coup d'IA, de deep et machine learning, imposant leurs systèmes propriétaires, à l'opposé des aspirations libertaires et coopérantes des débuts. En outre, la dématérialisation qu'on tente de nous imposer est une idéologie, appuyée par les "nudges" ces coups de pouce en forme de 'par défaut' qui vous conduisent insidieusement à consentir sans que vous en ayez conscience (les gros boutons rouges et verts de la loi RGPD par exemple, la case cochée par défaut échappant à votre vigilance du service des impôts vous faisant adhérer à la dématérialisation en créant un compte) ; il n'y a pas plus de dématérialisation que de beurre en broche, le papier étant remplacé par des serveurs gros consommateurs d'électricité ; la pseudo-automatisation qui rend les salariés obsolètes est en fait soutenue, permise par les petites mains du tiers-monde, les "forçats du clic" de l'économie informelle ou du bénévolat. La dématérialisation est l'obsolescence du salariat mais l'avènement d'une nouvelle forme d'esclavage. L'apprentissage machine est tissé de tous les préjugés humains aka masculins, puisque ce sont les hommes qui codent. Et le code c'est le pouvoir : il gère vos allocations familiales et chômage, il oriente en France les choix professionnels des lycéens, il suit le déplacement de vos colis en ligne et répond à vos réclamations, calcule vos impôts, entre autres. Attention donc, à force de laisser le pouvoir dans les mains masculines des prétendus petits génies no life, hackeurs de l'informatique, nous sommes en terrain dangereux. Il est temps que les généralistes, les imaginatifs, les personnes à capital culturel dont font en majeure partie les femmes, les intéressées par les sciences humaines et même par la philosophie, s'emparent rapidement du sujet. C'est la recommandation impérative de cet ouvrage. Sinon, il nous restera nos yeux pour pleurer. A LIRE.