« Ulysse from Badgad » est le 12ème ouvrage que je lis d'
Eric Emmanuel Schmitt. Il ne faut nier l'évidence, c'est l'un de mes écrivains préférés de ces deux dernières années. La barre est haute pour qu'il en soit détrôné. Tous les dix livres, je reviens vers lui. Une véritable addiction. La difficulté, quand on apprécie autant un auteur, c'est que l'on peut se permettre de faire preuve d'une certaine exigence envers lui, un peu comme s'il avait des comptes à nous rendre ! Je ne peux le prendre à défaut sur son écriture, précise, juste, détaillée. Elle est enivrante quel que soit l'ouvrage et « Ulysse from Badgad » ne fait pas exception à la règle.
« Au terme de ce voyage, au début d'un nouveau, j'écris ces pages pour me disculper. Né quelque part où il ne fallait pas, j'ai voulu en partir ; réclamant le statut de réfugié, j'ai dégringolé d'identité en identité, migrant, mendiant, illégal, sans-papiers, sans-droits, sans-travail ; le seul vocable qui me définit désormais est clandestin. Parasite m'épargnerait. Profiteur aussi. Escroc encore plus. Non, clandestin. Je n'appartiens à aucune nation, ni au pays que j'ai fui ni au pays que je dédire rejoindre, encore moins aux pays que je traverse. Clandestin. Juste clandestin. Bienvenu nulle part. Etranger partout.
Certains jours, j'ai l'impression de devenir étranger à l'espèce humaine… »
Au bout de 3 pages d'une sorte d'introduction-résumé de son livre, EES nous happe, sans aucune chance de faire marche arrière ou de fuir. Tout est dit (ou presque). le ton est donné. Les mots sont puissants. La thématique est tracée. La seule possibilité, la seule chance pour nous, pauvre lecteur, est de tourner la page et de suivre le périple d'Ulysse alias Saad Saad de Bagdag jusqu'à Londres.
Dans la première partie du roman, EES nous décrit l'horreur de la dictature de
Saddam Hussein. La terreur, l'injustice, la torture pour l'exemple, les privations, la peur de vivre simplement. Saad Saad retiendra sa colère grâce à « sa bibliothèque clandestine » sa « Babel de poche » qui lui permettra d'attraper le virus et le goût de la lecture et par procuration, celui de la liberté. Viendront ensuite pour Saad Saad et sa famille, l'embargo américain, la guerre et l'invasion des troupes américaines. La joie de la guerre, de l'anéantissement du régime pour le Saad Saad étudiant sera de courte durée. L'anti-américanisme s'imposera. Les 3 remèdes seront pires que le mal. EES n'épargne personne, en aucun cas le dictateur irakien, ni les pseudos sauveurs américains.
L'amour pour Leila, comme la littérature anglaise et les romans d'
Agatha Christie (« Quoi de plus apaisant qu'un monde où il n'y a que des crimes domestiques, raffinés, artistiquement mis en scène, exécutés par des criminels intelligents usant de poisons sophistiqués. Pour nous, ici, qui vivons dans un univers de brutes où la force domine, c'est délicieux, d'un exotisme enchanteur ») agiront comme une échappatoire, un rempart contre la barbarie, les bombardements, l'indifférence, la bêtise des soldats, la cruauté et la mort.
Ils seront, malheureusement, de courte durée. Les pertes familiales se succèderont à un rythme effréné. La réalité explosera en pleine figure.
Nous avons atteint, à ce stade, le premier quart du roman et là, enfin, commence le périple d'Ulysse.
Autant, la première partie m'a ravi, m'a tenu en haleine, m'a fait réfléchir, m'a bouleversé. L'identification à Saad Saad est forte. On partage sa peine, ses illusions, ses rêves futiles. le reste du roman, beaucoup moins.
Ulysse traversera l'Egypte, Malte, l'Italie, la France pour espérer arriver jusqu'en Angleterre. Les descriptions de la vie d'un migrant, d'un clandestin sont toujours justes. Les traversées en bateaux ou en camion font froid dans le dos. La mort plane et fauche par vagues répétées et insouciantes la vie de ceux qui espèrent trouver une vie meilleure. Les rencontres de Saad Saad avec Boub, Vittoria et le docteur Schoelcher parsèment ici et là quelques notes d'espoir.
La conscience de Saad Saad sous les traits de son père a néanmoins fini par me lasser. La fin du livre… une petite déception !
Mon exigence rend, il est vrai, ma critique un peu sévère et j'avoue que je suis resté un peu sur ma faim.
«
Ulysse from Bagdad » est un très bon roman, n'en doutez point. L'écriture d'EES est toujours aussi plaisante et le thème abordé loin de laisser quiconque indifférent. EES ne se sépare jamais de ce second degré, de cette humanité littéraire, de ce recul nécessaire et de cet humour léger si caractéristique de son style. L'épisode et la rencontre de Saad Saad avec les douaniers italiens en est le plus bel exemple : « Je veux porter plainte. Pardon ? Je porte plainte contre les douaniers qui ont suspendu mon voyage. Hier soir, on m'a privé de chauffeur, on m'a volé mon argent, on a anéanti mon travail de plusieurs mois, on a dilapidé les efforts de trois années pour arriver jusque-là. ».