Pour autant que Dieu se révèle entièrement, il le fera par médiation et par le déploiement de cette puissance créatrice qui est sienne. On considère le Dieu, dont parle la religion, sous un ou plusieurs de ces aspects de son Être, où les kabbalistes voyaient les différents degrés du processus de l'émanation divine.
C'est ce monde qu'ils considèrent comme le monde des Sefiroth, et qui embrasse ce que les philosophes et les théologies ont appelé le monde des attributs divins, mais qui apparaît cependant aux mystiques comme la vie divine elle-même, pour autant qu'elle se rapporte à la création.
La dynamique cachée de cette vie fascine les kabbalistes, qui la trouvent reflétée dans ce domaine de la création. Mais cette vie n'est pas en soi quelque chose de détaché de la divinité, subordonné à elle ; c'est plutôt la révélation de cette racine obscure, dont on ne peut rien puisqu'elle n'apparaît jamais, pas même symboliquement, et que les kabbalistes appelèrent En-Sof, l'Infini. (p. 48)
...il en va tout autrement de Paul, l’exemple le plus éminent du mystique juif révolutionnaire que nous connaissions. Paul a une expérience mystique dont l’interprétation, chez lui, conduit à une totale suppression du cadre de l’autorité transmise.
Il n’est pas en état de la conserver, mais comme, en même temps, il ne veut pas renoncer au caractère d’autorité de l’Écriture Sainte tant que telle, il est obligé de l’expliquer comme étant limitée dans le temps et, par-là, abrogeable. Une exégèse purement mystique de la Parole ancienne vient remplacer le cadre originel, et fonde alors la nouvelle Autorité qu’il se sent appelé à ériger. Le choc mystique avec l’autorité religieuse s’exerce chez lui dans toute sa force.
La violence incroyable avec laquelle Paul se met à lire l’Ancien Testament, « à contre sens », pourrait-on dire, ne montre pas seulement à quel point son expérience était inconciliable avec celle du sens du texte ancien, mais aussi avec quelle constante fermeté il persistait à ne pas tenter de construire un nouveau rapport avec l’Écriture Sainte, même dans des exégèses purement mystiques. Le prix en est ce paradoxe du Texte Sacré totalement éclaté, qui étonne toujours le lecteur des lettres de Paul.
La nouvelle autorité qui est érigée, et dont les lettres de Paul se servent maintenant comme d’un Texte, est de nature révolutionnaire. Elle rompt avec celle qui fut constituée dans le Judaïsme, parce qu’elle a trouvé une autre source, mais elle s’investit aussi désormais d’une partie du monde des images de l’ancienne autorité, qui s’est alors dissoute dans le spirituel pur. (pp. 22-23)