Pour encadrer aphorismes, textes et vers de Schopenhauer, c'est un duo assez iconoclaste à qui le lecteur à affaire ici. Ce qui fait avec Schopenhauer un trio d'iconoclastes, quand on pense que, pour faire court, le philosophe de Dantzig préférait son caniche au genre humain, trouvait des avantages à la polygamie et s'étonnait de l'absurdité de la vie en des termes crus.
Pajak, comme l'appelle Didier Raymond, est l'auteur entre autres du Manifeste incertain (quatre volumes pour l'instant) - une espèce de mélange entre essai, réflexion, roman, le tout illustré par des dessins en noir et blanc, que l'on retrouve ici également.
Didier Raymond est un spécialiste de Schopenhauer (voir infra), un « fou de Schopenhauer » comme le décrit Pajak, qui a publié, en plus d'une bibliographie du philosophe allemand, des éditions critiques de Schopenhauer.
Raymond se charge de la préface dans laquelle il présente grossièrement la pensée de Schopenhauer et du choix des aphorismes, des textes et des vers. L'ensemble est présenté selon des thématiques : des extraits du voyage que Schopenhauer, jeune, a fait avec sa famille dans une partie de l'Europe , ses avis sur les auberges dans lesquelles ils s'arrêtaient - une espèce de Trip Advisor avant l'heure -, des aphorismes par paire de contraires - « Aimer, haïr », « Savoir, ignorer », « Se distraire, s'ennuyer », « S'émerveiller, se plaindre » et « Naître, mourir » - , d'autres aphorismes sur la polygamie - « le ménage à trois » - et, enfin, quelques vers alors même que Schopenhauer estimait « contradictoire à offrir au public des vers qui ne peuvent prétendre à aucun mérite poétique ; il n'est pas possible en effet d'être simultanément poète et philosophe. »
Comme le souligne Raymond, il y a un certain « goût des ténèbres » chez Schopenhauer. Visible dans son Journal de voyage dans lequel il décrit « la laideur du monde » qu'il visite, ce goût se retrouve dans les thèmes traités : la polygamie, la mort, l'absurdité de la (lutte pour la) vie - « le genre humain est condamné par nature à la détresse et à la ruine, car, lors même que les gouvernements trouveraient moyen d'opposer une barrière à l'injustice et à la misère, et de créer artificiellement une sorte de vie de cocagne, les hommes se battraient par ennui » ou « Les enfants me paraissent parfois semblables à des délinquant innocents qui ne seraient pas condamnés à mourir mais à vivre, sans avoir même entendu les attendus du jugement », le sort des galériens (avec sa famille, Schopenhauer est allé à Toulon où se trouvaient des galères),…
Il y a également quelques rares réflexions sur la philosophie, les philosophes et la postérité de son œuvre. Pour Schopenhauer, « Mon époque et moi ne nous accordons pas ensemble, la chose et claire. Mais qui de nous deux gagnera le procès devant le tribunal de la postérité ? » . Force est de constater que Schopenhauer a gagné tant sa postérité est grande contrairement à son vivant à en juger par les influences chez les écrivains, philosophes, peintres,… de Schopenhauer.
Frédéric Pajak se charge lui de la postface et des illustrations comme il le fait pour ses propres textes. Venant après cette accumulation de « ténèbres » - certainement accentuée par le côté répétitif d'une sélection de textes - la postface de Pajak est très drôle* d'où la remarque introductive sur le duo d'iconoclastes. le titre de la postface est « Gros lapin, portrait d'un fou de Schopenhauer ». Pajak dresse un portrait hilarant de gros lapin - professeur à Paris VIII, lauréat du Conservatoire national supérieur de musique et de celui d'art dramatique, acteur,...
La décision de travailler en commun sur ce Schopenhauer dans tous ses états, telle que Pajak la raconte, est hilarante :
« Un jour, ce monstre décomposé comme un puzzle me proposa d'illustrer des propos de Schopenhauer.
- Mais je ne suis pas « illustrateur » !
- Eh bien, tu le deviendras.
- Et qui va choisir les extraits de texte ?
- Moi. Je lis Schopenhauer depuis l'âge de seize ans, et j'en ai cinquante-neuf.
- Toi ?
- Oui, moi.
- Ah. »
Bien entourés d'une préface sérieuse et d'une postface comique, ces aphorismes, textes et vers sont une introduction à (une partie de) la pensée de Schopenhauer et valent largement la lecture. A lire probablement davantage l'été - la lumière fera alors une moyenne avec les ténèbres schopenhaueriennes.
* Disons qu'elle m'a fait cet effet.
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Qui se marie tôt traîne toute sa vie une vieille femme ; qui se marie tard attrape d'abord des maladies vénériennes, puis des cornes.
Les amis se disent sincères ; ce sont les ennemis qui le sont : aussi devrait-on prendre leur critique comme une médecine amère, et apprendre par eux à mieux se connaitre.
L’inattention totale de mes contemporains m’a préservé des deux dangers. J’ai pu aimer, poursuivre, perfectionner dans une tranquillité complète mon oeuvre pour elle seule, en me tenant à l’abri de toute influence extérieure, et mes contemporains me sont restés étrangers, comme je leur suis resté étranger moi-même.
Le genre humain est condamné par nature à la détresse et à la ruine, car, lors même que les gouvernements trouveraient moyen d’opposer une barrière à l’injustice et à la misère, et de créer artificiellement une sorte de vie de cocagne, les hommes se battraient par ennui.
Défiez-vous des métaphysiques douceâtres. Une philosophie où l’on n’entend pas bruire à travers les pages les pleurs, les gémissements, les grincements de dents et le cliquetis formidable du meurtre réciproque et universel n’est pas une philosophie.
« […] les auteurs d'aphorismes, surtout lorsqu'ils sont cyniques, irritent ; on leur reproche leur légèreté, leur désinvolture, leur laconisme ; on les accuse de sacrifier la vérité à l'élégance du style, de cultiver le paradoxe, de ne reculer devant aucune contradiction, de chercher à surprendre plutôt qu'à convaincre, à désillusionner plutôt qu'à édifier. Bref, on tient rigueur à ces moralistes d'être si peu moraux.
[…] le moraliste est le plus souvent un homme d'action ; il méprise le professeur, ce docte, ce roturier. Mondain, il analyse l'homme tel qu'il l'a connu. […] le concept « homme » l'intéresse moins que les hommes réels avec leurs qualités, leurs vices, leurs arrière-mondes.
[…] le moraliste joue avec son lecteur ; il le provoque ; il l'incite à rentrer en lui-même, à poursuivre sa réflexion. […]
On peut toutefois se demander […] s'il n'y a pas au fond du cynisme un relent de nostalgie humaniste. Si le cynique n'est pas un idéaliste déçu qui n'en finit pas de tordre le cou à ses illusions.
[…] » (Roland Jaccard.)
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Référence bibliographique :
Roland Jaccard, Dictionnaire du parfait cynique, Paris, Hachette, 1982.
Images d'illustration :
Vauvenargues : https://www.buchfreund.de/de/d/p/101785299/luc-de-clapiers-marquis-vauvenargues-1715-1747#&gid=1&pid=1
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