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EAN : 9780941532259
264 pages
World Wisdom Books (01/01/1900)
4.5/5   2 notes
Résumé :
Ce livre est le deuxième ouvrage de Frithjof Schuon à se consacrer essentiellement à l'étude comparée des religions. Commençant par deux essais sur la distinction entre les notions de vérité et de présence dans les religions, l'auteur propose deux essais sur le bouddhisme et plusieurs exposés sur des thèmes spécifiquement islamiques, y compris la conception islamique du Christ et de Marie.
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Se convertir d’une religion à une autre, c’est non seulement changer de concepts et de moyen, mais aussi remplacer une sentimentalité par une autre. Qui dit sentimentalité, dit limitation : la marge sentimentale qui enveloppe chacune des religions historiques prouve à sa manière la limite de tout exotérisme et par conséquent la limite des revendications exotériques. Intérieurement ou substantiellement, la revendication religieuse est absolue, mais extérieurement ou formellement, donc sur le plan de la contingence humaine, elle est forcément relative ; si la métaphysique ne suffisait pas pour le prouver, les faits eux-mêmes le prouveraient.

Plaçons-nous maintenant, à titre d’exemple, au point de vue de l’Islam exotérique, donc totalitaire : aux débuts de l’expansion musulmane, les circonstances étaient telles que la revendication doctrinale de l’Islam s’imposait d’une façon absolue ; mais plus tard, la relativité propre à toute expression formelle devait apparaître nécessairement. Si la revendication exotérique — non ésotérique — de l’Islam était absolue et non relative, aucun homme de bonne volonté ne pourrait résister à cette revendication ou à cet « impératif catégorique » : tout homme qui lui résisterait serait foncièrement mauvais, comme c’était le cas aux débuts de l’Islam, où on ne pouvait pas sans perversité préférer les idoles magiques au pur Dieu d’Abraham. Saint-Jean Damascène avait une fonction élevée à la cour du calife de Damas(1) ; il ne s’est pas converti à l’Islam, pas plus que ne le fit Saint-François d’Assise en Tunisie ni saint Louis en Egypte, ni saint Grégoire Palamas en Turquie(2).

Or, il n’y a que deux conclusions possibles : ou bien ces saints étaient des hommes foncièrement mauvais, — supposition absurde puisque c’étaient des saints, — ou bien la revendication de l’Islam comporte, comme celle de toute religion, un aspect de relativité ; ce qui est métaphysiquement évident puisque toute forme a des limites et que toute religion est extrinsèquement une forme, l’absoluité ne lui appartenant que dans son essence intrinsèque et supraformelle. La tradition rapporte que le soufi Ibrāhīm ben Adham eut pour maître occasionnel un ermite chrétien, sans que l’un des deux se convertît à la religion de l’autre ; de même la tradition rapporte que Seyyid Alī Hamadānī, qui joua un rôle décisif dans la conversion du Cachemire à l’Islam, connaissait Lallā Yōgīshwari, la yōginī nue de la vallée, et que les deux saints avaient un profond respect l’un pour l’autre, malgré la différence de religion et au point qu’on a parlé d’influences réciproques(3). Tout ceci montre que l’absoluité de toute religion est dans la dimension intérieure, et que la relativité de la dimension extérieure devient forcément apparente au contact avec d’autres grandes religions ou de leurs saints.

(1) C’est là que le saint écrivit et publia, avec l’acquiescement du calife, son célèbre traité à la défense des images, prohibées par l’empereur iconoclaste Léon III.

(2) Prisonnier des Turcs pendant un an, il eut des discussions amicales avec le fils de l’émir, mais ne se convertit point, pas plus que le prince turc ne devint chrétien.

(3) De nos jours encore, les musulmans du Cachemire vénèrent Lallā, la Shivaïte dansante, à l’égal d’une sainte de l’Islam, à côté de Seyyid Alī ; les hindous partagent ce double culte. La doctrine de la sainte se trouve condensée dans un de ses chants : « Mon gourou ne m’a donné qu’un seul précepte. Il m’a dit : du dehors entre dans ta partie la plus intérieure. Ceci est devenu pour moi une règle ; et c’est pour cela que, nue, je danse » (Lallā Vākyāni, 94). (pp. 24-25)
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Le Christianisme distingue entre le charnel comme tel et le spirituel comme tel, et il n’est que logique en maintenant cette alternative dans l’au-delà : le Paradis est par définition spirituel, donc il exclut le charnel. L’Islam, qui distingue entre le charnel brut et le charnel sanctifié, est tout aussi logique en admettant le second en son Paradis : reprocher au jardin des houris un caractère trop sensuel, selon l’acception courante et terrestre du mot(1), est tout aussi injuste que de reprocher au Paradis chrétien un caractère trop abstrait. Le symbolisme chrétien tient compte de l’opposition entre les degrés cosmiques, alors que le symbolisme islamique a en vue l’analogie essentielle ; mais l’enjeu est le même(2). Ce serait une erreur de croire que le Christianisme authentique est hostile au corps comme tel(3) ; le concept du « Verbe fait chair » et la gloire du corps virginal de Marie s’opposent d’emblée à tout manichéisme.

(1) La polygamie traditionnelle dépersonnalise la femme en vue de la Féminité en soi, la Rahmah divine. Mais cette polygamie à fondement contemplatif peut aussi, comme dans le cas de David, se combiner avec la perspective monogamique : Bethsabé fut la Femme unique du fait que, précisément, elle « personnifiait » la Féminité « impersonnelle ».

(2) Il y a opposition entre le corps et l’âme, ou entre la terre et le ciel, mais non dans le cas d’Hénoch, d’Elie, de Jésus et de Marie, qui sont montés corporellement dans le monde céleste ; de même, la résurrection de la chair manifeste ou actualise une réalité qui abolit ladite opposition. Maître Eckhart précise avec raison qu’en montant au ciel, ces saints corps ont été réduits à leur essence, ce qui ne contredit aucunement l’idée de l’ascension corporelle.

(3) Saint Jean Climaque rapporte que saint Nonnos, en baptisant sainte Pélagie entrée nue dans la piscine, « ayant aperçu une personne d’une grande beauté se mit à louer grandement le Créateur, et fut si porté à l’amour de Dieu par cette contemplation qu’il en versa des larmes » ; et il ajoute : « N’est-il pas extraordinaire de voir ce qui cause la chute des autres, devenir pour cet homme une récompense au-delà de la nature ? Celui qui par ses efforts parvient aux mêmes sentiments dans des circonstances semblables est déjà ressuscité incorruptible avant la résurrection générale. Il en va de même des mélodies soit sacrées soit profanes : ceux qui aiment Dieu sont par elles portés à la joie et à l’amour divins et sont émus jusqu’aux larmes » (Echelle du Paradis, XV). (pp. 27-28)
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« Il est le Premier (El-Awwal) et le Dernier (El-Akhir) et l’Extérieur (Ezh-Zhāhir) et l’intérieur (El-Bātin) et Il connaît infiniment toute chose » (Koran, LVII, 3). Ce verset de la sourate du Fer est un de ceux qui contiennent — à l’instar de la Shahādah — une doctrine à la fois métaphysique et cosmologique et par là même aussi une alchimie spirituelle ; un symbolisme temporel s’y « croise » avec un symbolisme spatial, et il en résulte une synthèse qui englobe tous les aspects fondamentaux de l’Univers.
(...)
Le soufi vit sous le regard d’El-Awwal, d’El-Akhir, d’Ezh-Zhāhir et d’El-Bātin ; il vit concrètement dans ces dimensions métaphysiques comme les créatures ordinaires se meuvent dans l’espace et le temps, et comme lui-même s’y meut en tant que créature mortelle ; il est consciemment le point d’intersection où les dimensions divines se rencontrent ; rigoureusement « engagé » dans le drame universel, il ne s’illusionne pas sur des échappatoires impossibles et ne se situe jamais dans la fallacieuse « exterritorialité » des profanes, qui s’imaginent pouvoir vivre en dehors de la réalité spirituelle, la seule qui soit.

Le monde, quels que puissent être ses contenus permanents ou transitoires, ne se détache jamais de Dieu ; il est toujours cette substance céleste tombée dans un néant et durcie dans le froid de l’éloignement ; les limites des choses et les calamités qui en résultent en témoignent. Le sage voit dans les choses et à travers elles l’origine divine devenue lointaine, et aussi — en considérant les limitations et les misères — le point de chute qui est inéluctable, et où s’écrasera finalement le monde ; il discerne dans les phénomènes le flux et le reflux, l’expansion et le retour, le miracle existentiel et la limite ontologique.

Mais, surtout, le soufi perçoit par l’« œil du cœur » que « toute chose est Lui » ; le monde, tout en n’étant point Dieu sous le rapport de son existence particulière, n’en est pas moins « l’Extérieur » sous le rapport de sa possibilité profonde ou du miracle permanent auquel il est accroché à tout moment et sans lequel il s’effondrerait dans le néant ; en un sens, il n’est pas Dieu, mais en un autre sens, il « n’est autre que Lui » en vertu de sa causalité divine. Il se peut que les mots ne sauront jamais rendre compte d’une manière satisfaisante de ce mystère ; mais, en un certain point, le monde « est Dieu », ou il n’est pas. Dieu n’est pas le monde, et c’est pour cela, précisément, qu’il est impossible de parler de « l’Extérieur » sans parler aussi de « l’Intérieur » ; le premier n’est vrai que par le second. (pp. 76 & 86-87)
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Les deux formules fondamentales de l’Islam, — les deux Témoignages (Shahādatān), l’un concernant Allāh et l’autre son Prophète, — symbolisent également les degrés de réalité. Dans la formule lā ilaha illā’Llāh (« point de divinité sinon la seule Divinité »), chacun des quatre mots marque un degré, le hā final du Nom Allāh symbolisant le Soi (Hua). Cette formule comporte deux parties : les deux premiers mots, qui constituent le nafy (la « négation »), et les deux derniers qui constituent l’ithbāt (l’« affirmation ») ; or dans ce cas, le nafy est la manifestation formelle ou l’ordre individuel, et l’ithbāt est l’ensemble de la manifestation supraformelle et du Principe, ce qui équivaut à l’ordre universel. De ce fait, le soufi voit dans toute forme matérielle, y compris la sienne propre, le lā de la Shahādah, et ainsi de suite ; le microcosme que nous sommes n’est autre qu’une concrétisation de la Shahādah, et de même pour le macrocosme qui nous entoure et dont nous sommes.

Le second Témoignage, celui du Prophète, établit une analogie entre Muhammad et la manifestation formelle envisagée, celle-ci, en un sens positif, c’est-à-dire en tant que « Présence divine » et non en tant qu’absence ou opposition ; dans cette même formule Muhammadun Rasūlu ’Llāh (« Mohammed est l’Envoyé d’Allāh »), le mot Rasûl désigne par analogie la manifestation supraformelle en tant que prolongement du Principe. Le soufi qui voit Dieu partout, discerne ainsi dans toute forme physico-psychique la perfection d’existence et de symbolisme, et dans l’Intellect et les réalités angéliques, la qualité de Risālah, de « Message divin ».

Ainsi chaque mot des deux Témoignages marque une « manière d’être » de Dieu, une « station divine » dans le microcosme aussi bien que dans le macrocosme. (pp. 66-67)
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Les Révélations ont, à divers degrés, un caractère à la fois total et fragmentaire : total par leur contenu absolu ou leur ésotérisme, et fragmentaire par leur symbolisme particulier ou leur exotérisme ; mais même cet exotérisme comporte toujours des éléments permettant de reconstituer la vérité totale.

Un de ces éléments est, dans l’Islam par exemple, l’idée diversement exprimée de la relativité — ou de la non-éternité — de l’enfer ; rien d’équivalent n’a été formulé, que nous sachions, en ce qui concerne le Paradis, si ce n’est — de la part des soufis — qu’il est « la prison du gnostique », sans oublier ce que dit le Koran lui-même, à savoir que « toute chose est périssable, seule demeure la Face (l’Essence) d’Allāh ». La signification profonde de toutes ces allusions est la suivante : vers la consommation d’un grand cycle cosmique, « les flammes de l’enfer se refroidiront », comme l’enseigne un hadīth(1) ; corrélativement, mais sans qu’il y ait là une réelle symétrie, — car « Ma Clémence l’emporte sur ma Rigueur », — les Paradis révéleront à l’approche de l’apocatastase et par nécessité métaphysique leur aspect limitatif, comme s’ils étaient devenus moins vastes ou comme si Dieu était moins proche qu’auparavant ; ils connaîtront une sorte de nostalgie, celle de l’Un sans second ou de l’Essence, car la proximité n’est pas l’Unité, elle comporte un élément d’altérité et de séparativité. Sans entraîner aucune souffrance contraire à la définition même du Ciel, l’aspect « autre que Dieu » se manifestera au détriment de l’aspect « près de Dieu » ; ce ne sera qu’une ombre passagère, car alors interviendra l’apocatastase, dont la gloire dépassera toutes les promesses et toute attente, conformément au principe que Dieu ne tient jamais moins qu’il ne promet, mais qu’au contraire II tient toujours davantage.

(1) Abdel-Qādir El-Jīlānī spécifie qu’à l’endroit de l’enfer éteint poussera un arbre vert appelé Jarjīf, « et la meilleure des couleurs du Paradis est le vert », opposé au rouge du feu. (pp. 251-252)
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