"Ô mon premier amour ! Combien il m'en coûta !"
(P.-J. Stahl)
Quel incroyable destin, que celui de Bernardine Eugénie
Désirée Clary !
Et pourtant, j'ai failli passer à côté...
J'ai remis maintes fois "
Désirée" en bas de ma pile, en me disant que ces lectures de bonne femme sont l'un des signes fatidiques de la déchéance d'esprit. Mais comme ledit esprit se trouvait déjà dans une sorte de vacuum causé par la lecture précédente, j'ai jugé le moment opportun pour jeter enfin un coup d'oeil au-delà de la charmante couverture kitsch des années '70.
Et quelques pages plus loin, j'étais déjà en train de rire de la scène où la jeune Eugénie
Désirée essaie de convaincre son fiancé
Napoléon Bonaparte de laisser tomber cette dangereuse carrière militaire, acheter quelques poules dodues et d'aller vendre des rubans de soie dans la boutique de son frère. Imaginez - si elle avait réussi... ! Mais Napoléon n'était pas fait pour cette vie-là.
Il y a romans féminins et romans féminins. le nom de
Barbara Cartland m'indisposait déjà à l'adolescence, mais
Annemarie Selinko m'a attrapée et séduite d'une façon inattendue. "
Désirée" est le cadeau d'une femme aux femmes (mais pas seulement), un livre plein d'humour fin et intelligent, écrit par une dame mûre qui a su lui donner autant de noblesse que de légèreté.
Elle a écrit l'histoire d'une petite fille amoureuse qui a jadis balancé par jalousie un verre de champagne sous les pieds de Joséphine de Beauharnais, et qui, avec le temps, est devenue une femme forte et respectée, avec la couronne suédoise sur la tête. Mais toute sa vie, elle est restée la "petite Clary", fille d'un marchand de soie de Marseille. La politique lui importait peu, mais quelle horreur si la coiffe de sa soeur Julie était posée de travers ! Elle n'avait rien à faire du grand monde; elle y est entrée un peu malgré elle, et elle a réussi à le gérer avec bravoure.
Vous pouvez trouver la véritable histoire de
Désirée Clary même sur Wikipédia, mais ce serait dommage de passer à côté de ce roman divertissant.
Désirée est fiancée à Napoléon à 14 ans, et le livre retrace toute la carrière de celui-ci, depuis ses premières campagnes militaires et la conquête de l'Europe jusqu'à sa chute, son exil et sa mort. Cela représente beaucoup de recherches, et il est intéressant de voir comment Selinko a réussi à saisir par allusions les caractères réels, sans se lancer dans des analyses objectives et justifiées de personnages comme Napoléon ou le maréchal Jean-Baptiste Bernadotte, qui est finalement devenu le mari de
Désirée. Tous ces destins sont liés, et vous apprendrez aussi comment Bernadotte, un Français sans une goutte de sang royal, s'est retrouvé sur le trône suédois.
La deuxième partie de l'histoire se passe en Suède, et raconte les déboires de
Désirée, depuis son premier "skol" prononcé avec beaucoup d'hésitation, jusqu'à son couronnement. Après la mort de Bernadotte, elle deviendra Desiderata, reine de Suède et de Norvège, dont les descendants règnent toujours.
Mais on n'oublie jamais son premier amour, et pendant les années de guerre c'est souvent à
Désirée qu'on demande d'intervenir auprès de Napoléon têtu, fantasque et imprévisible. Et elle fait toujours de son mieux...
Très agréable, amusante et reposante lecture pour les longues soirées d'hiver (beurk, tant d'adjectifs élogieux, et je ne sais même pas où mettre la virgule !). On a chacun notre corde romantique, parfois il suffit de gratter la rouille pour la faire vibrer. Dans ce domaine,
Annemarie Selinko a réussi pratiquement le même exploit que
Margaret Mitchell avec "
Autant en emporte le vent". Et en lisant sa propre biographie, vous trouverez peut-être ce qui l'a poussée à écrire l'histoire de
Désirée Clary.
"C'est un nouveau manteau,
Désirée ?
-Oui, imagine, un cadeau d'adieu de l'Empereur. Il me l'a fait porter par un courrier à Nyborg au Danemark. Etrange, n'est-ce pas ?
-Je suppose que tu ne pouvais pas le refuser.
-Jean-Baptiste, une telle femme n'est pas encore née, qui aurait refusé un manteau de zibeline !"
Ô tempora, ô mores... ! 5/5, sans même rougir.