Je ne me souviens pas de la multiplication des banques, des facilités de paiement anticipé de produits à forte probabilité d’achat. (…)
Je ne me souviens pas de la réglementation des tortures. (…)
Je ne me souviens pas de la dernière fumée sortie de la dernière cheminée, dans le dernier village laissé à l’abandon des mousses radioactives. (…)
Je ne me souviens pas des premières failles non maîtrisées entre multivers. (…)
Je ne me souviens pas de l’éloignement des marées basses, des rifts siphons brûleurs d’océans. (…)
Je ne me souviens pas des déferlements de sable. (…)
Je ne me souviens pas des stérilisations décidées sur présentation de la déclaration de revenus et des trois dernières fiches de paie. (…)
Je ne me souviens pas du PASDEM créateur de Croissance : Programme d’Aide et de Soutien au Développement des Milliardaires.
LA CRISE est la pelletée de sel sur la neige de tes illusions. (…)
LA CRISE dort d’un oeil dans une chambre de compensation. (…)
LA CRISE sauve l’entreprise – au fait, merci pour ton départ volontaire, sans rancune, à la prochaine. (…)
LA CRISE porte autour du coup un carton écrit au marqueur SVP pour manger. (…)
LA CRISE est un forfait illimité (…)
LA CRISE n’est pas le talon d’Achille du capitalisme, mais l’épée à plusieurs lames de Damoclès lancée fermement par Hercule-Janus. Ou quelque chose comme ça. (…)
LA CRISE c’est la risée des comptes rendus aux actionnaires. (…)
LA CRISE, de ses millions de bras musclés, sait manier la grue, poser des cloisons de béton armé au trente-septième étage, creuser des tunnels, extraire le pétrole et le diamant et tout ça pour un salaire d’une remarquable humilité.
LA CRISE, de ses doigts fins, sait coller les semelles sous les baskets neuves, les processeurs dans les cartes mères, les fils de cuivre dans les câbles plastiques.
LA CRISE ouvre le livre de compte et ne peut que constater, et elle est désolée, eh oui.
Sur la photo, LA CRISE C’EST CHAQUE FIN DE MOIS, le S de MOIS est effacé, ou écrit plus vite, moins fort.
La crise c’est chaque fin de moi. Le S écrit en dernier, et soudain il n’y a plus de temps, le mur orangé par les lampadaires s’éclaire un peu plus : c’est une voiture qui approche, peut-être la police. Pas le temps de repasser plusieurs fois sur la lettre. À peine celui de vite la tracer.
Écrire dans l’urgence
Fin de moi.
Chaque fin de mois, je meurs un peu. LA CRISE tue à petit feu. LA CRISE m’efface lettre à lettre.
LA CRISE vide les markers, nettoie les murs, efface les mémoires, tarit les imaginations, essore les moi.
Lecture de Joachim Séné lors de la soirée organisée au Centre Château-Landon (3ième partie)